Il y a 30 ans, Francis Fukuyama publiait son article intitulé "La fin de l'histoire" où il prédisait le triomphe du modèle démocratique sur toute la planète. L'article, plein d'optimisme sur l'avenir du monde, a depuis été commenté et souvent moqué. Mais que signifie vraiment la fin de l'histoire ?
Et si notre histoire avait une date de péremption ? C’est la prédiction étonnante faite par un intellectuel américain en 1989.
Quelques mois avant la chute du mur de Berlin, un article au titre provocateur agite le monde intellectuel, La fin de l’histoire ?
Son auteur, Francis Fukuyama, est un conseiller de l’administration Reagan.
Il explique que le communisme est sur le point de mourir et prédit le triomphe prochain de la démocratie dans tous les pays du monde et une nouvelle ère de paix grâce au libéralisme. Il n’y aura donc plus de guerre, ni de catastrophe à raconter dans les manuels d’Histoire.
Il se peut que […] ce ne soit pas juste la fin de la guerre froide, mais la fin de l’histoire en tant que telle : le point final de l’évolution idéologique de l’humanité.
Francis Fukuyama - 1989
Dans les mois qui suivent, le bloc soviétique s’effondre et le monde se transforme. Fukuyama développe ses idées dans un livre à grand succès La fin de l’histoire et le dernier homme. Mais beaucoup y voient une apologie du modèle américain.
Ce livre est devenu un tel gadget médiatique […] il fait fureur sur tous les supermarchés idéologiques d’un Occident angoissé.
Jacques Derrida – 1993
Samuel Huntington, ex-professeur de Fukuyama à Harvard, critique lui aussi la thèse de son ancien élève. Il propose une autre histoire : le clash des civilisations. Lui prédit un monde multipolaire avec l’affrontement entre de grands ensembles géographiques.
Paradoxalement, l’idée de fin de l’histoire est initialement un concept marxiste. Fukuyama s’inspire de la pensée de Hegel. Hegel aurait déjà pensé, à son époque, à un événement comme fin de l’histoire : l’année 1806, avec la victoire de Napoléon à la bataille d’Iéna.
Cette victoire aurait marqué le triomphe final des idéaux de la révolution en Europe.
Au XIXe siècle, Marx développe cette idée. A l’inverse de Fukuyama, Marx pensait que l’histoire se terminerait avec l’abolition du capitalisme. Alors, les hommes auraient vécu heureux, dans une société sans classe.
Mais Fukuyama ne fait pas que réinterpréter Marx, il avance en 1989 des idées sur le futur du monde plus nuancées qu’il n’y paraît. Il explique que la 3e Guerre mondiale n’aura jamais lieu, mais il craint une résurgence du terrorisme et des guerres de libération nationale. Il prédit la fin des idéologies du XXe siècle, au profit d’un marché mondial ouvert.
Fukuyama se détourne dans les années 2000 du courant néo-conservateur américain. Il condamne l’intervention en Irak de 2003 et soutient même Obama en 2008. Mais l’intellectuel alertait dès 1989 sur un autre danger pour les démocraties, un risque de lassitude des citoyens à l’égard de la démocratie elle-même.
Peut-être que la perspective même des siècles d’ennui qui nous attendent après la fin de l’histoire va-t-elle servir à remettre l’histoire en marche.
Francis Fukuyama - 1989