L'homme qui a fait chuter le Mur de Berlin : Christoph Wonneberger

Christoph Wonneberger, dans sa jeunesse, à côté d'une photo du mur de Berlin le 9 novembre 1989
Christoph Wonneberger, dans sa jeunesse, à côté d'une photo du mur de Berlin le 9 novembre 1989

L'homme qui a fait chuter le mur de Berlin #CulturePrime

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L'homme qui a fait chuter le Mur de Berlin : Christoph Wonneberger

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On a retrouvé l'homme qui a conduit à la chute du Mur de Berlin. Pasteur à Leipzig, apôtre de la non-violence, Christoph Wonneberger a initié les "marches du lundi", dont la dernière, il y a 30 ans, mènera à l'effondrement du symbole du bloc soviétique, 5 jours plus tard.

Le 9 novembre 1989, le Mur de Berlin s’écroulait 28 ans après son édification. Evènement cathartique, cette chute n’en reste pas moins une énigme de l’Histoire tant elle a surpris le monde entier. Personne ne s’y attendait et encore moins l’homme qui en ébranla les fondations, le pasteur Christoph Wonneberger de Leipzig. 

Des "prières pour la paix" aux "marches du lundi"

Tout commence pour lui à Dresde, en 1968 au moment de l’écrasement du printemps de Prague. Une question l'occupe. Comment lutter pacifiquement pour l’instauration d’un socialisme à visage humain ? Comment réorganiser de façon pacifique et démocratique la RDA, en particulier le pouvoir du parti communiste ? Cette question ne cessera plus de le hanter.

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Dès 1977, il organise des discutions sur la démilitarisation, sur la paix et l’engagement social, les trois fondements de ce qu’il va appeler "les prières pour la paix" qu’il met en place dès 1982 avec la conviction qu’il faut, en tant que pasteur, agir dans l’espace public en dehors du parti et de ses exigences.

"Il fallait que les gens apprennent à être responsables, à prendre eux-mêmes les choses en mains tout en prenant en compte le fait que nous vivions dans une dictature. Il était important d’agir comme ça en RDA et c’est pour ça que je l’ai fait", explique t-il. En RDA, l’Eglise, catholique et protestante, est la seule organisation qui n’est pas intégrée au système. "C’est lié à la constitution de la RDA : les groupes religieux devaient s’organiser eux-mêmes. Toutes les autres organisations n’étaient pas démocratiques. Elles étaient organisées de haut en bas. Et donc nous avions une liberté relative au sein de l’Eglise en Allemagne de l’Est et moi j’ai eu une marge de manœuvre et une liberté que je n’aurais pas eu si j’avais eu un autre métier. L’Eglise n’était pas une organisation homogène. Il y avait des orthodoxes et des réformateurs. Il y avait donc des tensions entre nous. Et notre église était un endroit où il y avait un toit, ce n’était pas très grand, mais c’est là que nous nous sommes abrités."

Un relais charismatique de la dissidence

En 1985, à peine installé à Leipzig, il contacte la "dissidence", organise des débats sur l’Etat de droit, les droits de l’homme, la justice et explique ses prières pour la paix. Charismatique, Christoph Wonneberger attire les foules. Pas moins de 25 groupes dissidents vont participer à ces prières organisées dans l’église St. Nikolaï jusqu’à la chute du Mur. L’idée était de trouver un lieu fixe et unique (il ne voulait pas changer de lieu à chaque fois) pour se retrouver une fois par semaine, au centre de la ville, afin de permettre aux Allemands des autres villes de l’Est de venir également. Il fallait que ces prières se déroulent en fin de journée pour qu’il n’y est pas uniquement les chômeurs et les étudiants et que ceux qui travaillaient puissent également venir. "Ces prières avaient lieu dans le cadre des offices religieux mais elles contenaient nos plaintes, nos mécontentements, comme un psaume qui rendait compte de nos revendications tout en respectant la liturgie". Quant au choix du rythme hebdomadaire : "C’était un rythme qui me paraissait raisonnable, ça nous permettait de ne pas être dépassé par la situation. Ce n’était pas une grève mais une expression politique particulière et réaliste. Je n’aurais jamais appelé à des marches quotidiennes".

Beaucoup de ceux qui venaient à ses prières étaient des gens qui voulaient quitter le pays, qui avaient fait des demandes officielles de départ, des gens qui ne voulaient pas changer l’Allemagne de l’Est de l’intérieur. Et comme ils n’avaient rien à perdre, contrairement à des gens comme le pasteur qui voulaient réformer le système de l’intérieur, ils sont vite descendus dans les rues notamment au moment des grandes foires commerciales qui avaient lieu au printemps, à Leipzig.

"Car il ne s’agissait pas uniquement de prier. Il fallait également être dans l’action. Qu’allions nous pouvoir faire tous ensemble ? Une grève ? Descendre dans la rue ? Comment toucher l’opinion publique et sortir de notre groupe ? Allions nous publier des tracts ? C’est de tout ça dont nous parlions dans ces prières pour la paix. Et nous avons utilisé les manifestations des candidats au départ pour revendiquer nos propres exigences". C’est ainsi que la première des "Montagsdemonstrationen", des manifestations du lundi, voit le jour le 4 septembre 1989, et va être violemment réprimée par la police. 

Un apôtre de la non-violence

"Mais nous, on a décidé de continuer malgré les arrestations. On a aidé ceux qui étaient interpellés, on a mené des actions de solidarité. Mais face à la violence de la police et de la Stasi, il fallait que l’on prenne une décision. Comment faire face à cette violence ? C’est pourquoi, le 25 septembre 1989 j’ai axé la prière pour la paix sur la violence et la non-violence. Comment trouver le courage d’affronter cette violence tout en restant non violent ? Comment faire face la tête haute ? Ce soir-là, l’église était trop petite pour contenir tous ceux qui étaient venus assister à cette prière. Plus de 8 000 personnes s’étaient déplacées. Nous sommes sortis de l’Eglise et ce fût la première manifestation que nous avons organisée, avec cette idée qu’il fallait sortir de l’Eglise".

À la surprise générale, la police a laissé faire sans intervenir. Ainsi, le 2 octobre, ils étaient 25 000 personnes à la prière avant de marcher à nouveau dans les rues de Leipzig. Une fois encore, la police ne bouge pas.

"Nous nous sommes dit que si la police ne bougeait pas, nous allions être des centaines de milliers à manifester la semaine d’après. Mais nous n’étions pas préparés à ça et nous ne savions pas ce qu’allait faire la police si nous étions si nombreux. Pour prévenir la population, nous avons fait un tract pour toucher le maximum de gens. Le 9 octobre, la situation était très tendue. On ne savait pas ce qui allait nous arriver".

La police laisse faire une fois de plus. Le 30 octobre, ils sont 500 000 à battre le pavé. C’est alors qu’à Berlin Est, les groupes de dissidents ont pris le relais en organisant des manifestations gigantesques, comme celle du 4 novembre 1989 sur le modèle que nous avons initié à Leipzig. "Les projecteurs n’étaient désormais plus sur Leipzig, mais sur Berlin Est qui était resté en retrait de ce mouvement". Tout le Berlin-Est des arts, de la culture et du monde intellectuels est dans la rue. Mais personne ne parle de faire tomber ce mur. Ils veulent se libérer mais à l’intérieur des frontières de la RDA.

5 jours après, le 9 novembre 1989, le mur s’effondrait.

Et pourtant, pour le pasteur humaniste, "la question du mur n’était pas au centre de mes préoccupations. J’étais plus axé sur la question des droits de l’homme en général. Comment préserver la paix en Europe ? C’était ça qui me travaillait le plus. La question du mur et de la division de l’Allemagne était une partie seulement du problème. En revanche, cette question était centrale pour ceux qui voulaient quitter la RDA, qui parlaient de leur liberté individuelle en dehors de la RDA. Ma perspective à moi était celle de l’Europe. Le mur a également joué un rôle plus important à Berlin qu’à Leipzig, car les Berlinois l’avaient tous les jours sous les yeux. Mais personne ne parlait de sa chute. Que le mur tombe quelques jours plus tard, c’est quelque chose que je trouve assez surprenant."

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