"L'Incorrect", un nouveau média pour rassembler les droites
Par Catherine Petillon, Christine MonclaLes tenants de la pensée conservatrice et nationale se dotent de médias. La sortie d'une nouvelle revue, "L'incorrect", s'inscrit dans un mouvement éditorial plus large, porté par une nouvelle génération.
“Malgré ce qu’en disent les apparences, les temps nous sont favorables”, affirme Jacques de Guillebon dans l’édito du premier numéro de L’Incorrect. Et le directeur de la rédaction l’annonce d’emblée, l’adversaire, c’est “la gauche”, précisant : “nous appelons gauche tout ce qui a le visage d’Edouard Philippe (...) tout ce qui a les caractères crus du libéralisme (...) tout ce qui identifie la France à un Etat pieuvre étouffant ce qu’il embrasse”.
Ce mensuel, lancé par des personnalités de droite et d’extrême-droite, sort ce jeudi 7 septembre. Financé par Charles Beigbeder et Laurent Meeschaert membres de l'Avant-Garde ( le think tank de l’ancien ministre Charles Millon), le mensuel affiche une volonté de toucher le grand public. 82 pages au fil desquelles se déploie la pensée conservatrice, nationale.
Ce lancement, dans un secteur moribond, apparaît comme un signe de plus d’une presse d’opinion de droite et d’extrême- droite qui se porte bien. Une vitalité frappante par son contraste avec les difficultés de la presse d’opinion de gauche (comme L'Humanité ou Politis, en difficultés financières).
Et c’est plus particulièrement le cas de médias qui défendent une pensée conservatrice. “Plus que s'inscrire dans une tradition historique de la presse d'extrême -droite, le lancement d’une revue comme celle-ci reflète ce que vit la droite aujourd’hui. Il y a un espace à occuper, laissé vacant, estime l’historien Olivier Dard, professeur à Paris IV. Reste la question de l’espace politique qu’ils vont trouver dans un terrain déjà occupé notamment par le site Causeur et par Valeurs Actuelles_”_. Car cet hebdomadaire, qui a fêté en grandes pompes ses 50 ans l'an dernier, revendique lui-même un combat contre “la bien-pensance” en se plaçant au carrefour de toutes les droites.
Des ponts entre droite et extrême-droite
L'objectif clair - créer des liens entre droite et extrême-droite - est au cœur du dossier principal de ce premier numéro, intitulé “J’étais la droite, qu’est-ce qu’il en reste? “. Benoît Dumoulin, (coauteur avec Charles Beigbeder de l'ouvrage Charnellement de France) s'y attaque à la "division artificielle machiavéliquement instaurée par Mitterrand, (...) le front républicain". Et appelle à une grande formation politique de droite. Et Chantal Delsol conclut sa description de la droite d’un point de vue philosophique, en estimant qu'elle "se définit davantage par le conservatisme que par le libéralisme". C'est la droite conservatrice, antilibérale et eurosceptique que ce nouveau média espère toucher.
"La droite hors les murs"
Pour le casting, c’est bien la galaxie de la “droite hors les murs” que l’on trouve derrière les signatures. Catholiques traditionalistes, identitaires gros bras et polémistes de chez Causeur, toutes les signatures de la jeune revue ont un point commun : elles partagent les mêmes idées que Marion Maréchal Le Pen - et vice versa. La petite fille du fondateur du Front national s'est retirée momentanément de la vie politique, et elle n'est pas aux manettes de cette revue, mais ce sont ses amis politiques ou ses amis tout court qui la dirigent.
A commencer par le directeur de la publication, Jacques de Guillebon, un trentenaire éditorialiste à La Nef, mensuel catholique traditionaliste, proche relation de l'ex députée. On y trouve aussi son ancien attaché parlementaire, Arnaud Stéphan, qui signe comme "grand reporter" un article sur le Brexit. Pour les idées "marionistes", sont représentées la famille anti-avortement, avec un chroniqueur de Causeur, fils de Jean-Marie Le Méné, ex-directeur de la Fondation Lejeune. Dans la famille "union des droites" et "droite décomplexée", l'épouse de Charles Millon, Chantal Delsol, décrypte l'effondrement de la droite classique. Charles Millon, qui avait fait alliance avec le Front national pour gagner les élections régionales, anime aujourd’hui un cercle de réflexion, "l’Avant-garde" ; on y trouve de nombreux signataires. Un ancien rédacteur en chef de Minute épingle Marine le Pen pour avoir méprisé les fillonnistes pendant sa campagne. Enfin dans la famille identitaire, que Marion Maréchal-Le Pen a contribué à réhabiliter au sein du FN, le leader de Génération identitaire, Damien Rieu, signe lui-même un reportage sur le bateau anti-migrants qui a sillonné la Méditerranée cet été.
C'est plutôt bien pour le Front d'avoir des expressions comme l'Incorrect, cela permet à Marine le Pen de se recentrer. Commentaire d'un cadre du FN
Recettes classiques
On ne s’étonnera donc pas de retrouver, égrainées au fil des pages de L'Incorrect les théories du complot et intox devenues des sortes de classiques de l’extrême droite. Comme le témoignage d’une professeure anonyme intitulé “l’éducation nationale a mis en place un système d’immigration parallèle et illégal”. Elle y dénonce des diplômes “donnés” à des "élèves illettrés sinon analphabètes”. Non sans passer par les désormais classiques de l’intox comme sur l’Aide médicale de l’Etat : “Je ne reviendrai pas sur la forme scandaleuse que prend assez souvent l’AME qui a par exemple permis à mes deux jeunes Arméniennes de se faire refaire un nez qu’elles jugeaient disgracieux aux frais de l’Etat”, poursuit l'auteure. Les youtubeurs de la fachosphère (...) esprits gaulois et libres qui renversent les idoles d’une époque emmerdante” sont en bonne place. Mais sur le fond et dans le ton, c'est assez loin du positionnement “intellectuel” et sur les idées que souhaite afficher le mensuel.
Intellectuels
La sortie de L'Incorrect s'inscrit pourtant dans un mouvement éditorial plus large. Un certain nombre de revues sont nées (ou ont été toilettées) ces dernières années, comme Elements, Limite, Philitt... (*) Elles ont en commun de se revendiquer antilibérales, conservatrices et, pour certaines, chrétiennes. Et de s'attaquer au champ des idées, dans une posture volontiers intellectuelle. Assez confidentielles, elles accompagnent néanmoins ce mouvement conservateur nouvelle génération.
_“Ce qui est nouveau, c’est peut-être la médiatisation de la chose. Cela s’explique sans aucun doute par un renouvellement générationnel. La Manif pour tous est passée par là. Ce sont aussi des gens rompus à la communication numériqu_e”, observe l’historien Olivier Dard.
Derrière ces revues, des trentenaires, très diplômés, remettent dans le débat un certain nombre d’écrivains et intellectuels de droite - mais utilisent aussi des références très hétéroclites, quitte à opérer des récupération. Philitt, “revue de philosophie et de littérature” fait ainsi bonne place à des écrivains comme Bernanos, Peguy, Leon Bloy ou encore à Georges Orwell. L’auteur de 1984 a déjà par ailleurs fait l’objet d’une forme de récupération par le “Comité Orwell” - renommé Les Orwelliens, un collectif fondé entre autres par Alexandre Devecchio, en charge du Figaro Vox, et la journaliste Natacha Polony. Rattrapée par les ayant-droit de Georges Orwell qui se sont opposés à cette utilisation, Orwell TV est depuis devenue Polony.tv.
Certains auteurs signent d'ailleurs dans plusieurs de ces revues. Dans L'Incorrect on trouve ainsi une tribune contre la PMA de Paul Piccaretta, directeur de Limite "revue d’écologie intégrale" lancée en 2015 (alors avec l’aide des éditions du Cerf) . Il anime cette "_revue de combat culturel et politique, d'inspiration chrétienn_e" avec entre autre Eugénie Bastié, journaliste... au Figaro.
(*) MAJ : La formule initiale a été corrigée. Elle pouvait prêter à confusion et laisser entendre que certains collaborateurs de Philitt avait écrit dans ce numéro de L'Incorrect.