
Plus de 90% de la flotte mondiale d'avions est clouée au sol depuis le début de la crise du Covid-19. Les pertes financières sont colossales et la reprise s'annonce lointaine et incertaine. Malgré le soutien de l'État, pour Air France notamment, l'horizon est loin d'être dégagé.
Une situation aux conséquences très lourdes sur le plan économique. Le prêt de 7 milliards d’euros accordé par l’État français va certes sauver la compagnie de la faillite. Mais l’horizon n’est pas encore dégagé pour le groupe Air France KLM. Tout comme pour l’ensemble du secteur aéronautique.
Pourquoi Air France à besoin d’argent frais
Face à cette crise inédite encore plus grave que les attentats du 11 septembre, il en allait de la survie de la compagnie. Car, malgré les mesures de chômage partiel pour 76% des salariés et les prise de congés anticipés, les caisses sont vides, faute d’entrées d’argent. Et ce ne sont pas le report des charges fiscales ou des taxes aéroportuaires qui suffiront à éponger les déficits. Certes, ces mesures permettront de réaliser pour l’année 2020 une économie d’un milliard d’euros, mais cela ne suffira pas.
Dans la mesure où il reste toujours les charges fixes, comme les salaires, même s’ils sont pris en charge en partie par l’État. Des salaires qui ont dû être revus à la baisse pour les pilotes et les hôtesses et stewards. En restant chez eux, ils gagnent 30 à 40% de moins par mois, car une partie de leur rémunération est variable - elle tient compte des heures de vol et des heures de nuits.
A cela, il faut ajouter également les crédits des avions à rembourser, pour ceux qui ont été achetés en propre, et les loyers pour ceux qui sont en location. Enfin, il y a les frais de maintenance. Même si les appareils ne volent pas, il faut continuer de les entretenir régulièrement afin qu’ils puissent repartir le plus rapidement possible une fois la crise passée. En effet, contrairement à une voiture, les avions sont plus vulnérables et s’usent plus rapidement quand ils sont cloués au sol. Il faut donc les faire rouler un peu pour faire tourner leurs moteurs et les mettre sous cocon ; des opérations qui mobilisent quotidiennement prêt de 1 000 personnes au sein de la compagnie. Autant de raisons pour lesquelles le groupe Air France KLM a dû solliciter une aide financière des États français et néerlandais, qui détiennent chacun 14% du capital du groupe. Le transporteur qui vient notamment d'accélérer la fin de l'exploitation de ses neuf A380 (cinq sont la propriété de la compagnie ou en crédit-bail, les quatre autres sont en location d’exploitation). En juillet 2019, il justifiait déjà : "Avec ses quatre réacteurs, l'A380 consomme 20% à 25% de carburant en plus par siège que les appareils long-courriers de nouvelle génération et émet plus de CO2".

Un prêt de 7 milliards d'euros sous conditions
Air France n'avait plus sollicité d'aide de l’État depuis vingt-six ans. C'était en 1994 sous la présidence de Christian Blanc. À cette époque, la compagnie connaissait de très graves difficultés financières et avait obtenu une recapitalisation de 20 milliards de francs, l’équivalent de 3 milliards d’euros, pour éviter le dépôt de bilan.
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"Il faut sauver notre compagnie nationale", a déclaré Bruno Le Maire le 24 avril en n’hésitant pas à qualifier ce plan de 7 milliards d’euros d’historique. Le ministre de l’Économie qui a également précisé qu’une nationalisation de la compagnie n’était pas à l’ordre du jour. En effet, au début de la crise du coronavirus, ce scénario a été souvent évoqué pour sauver Air France, dans le but d’éviter des OPA hostiles (Offre publique d’achat), de la part d’investisseurs privés ou publics étrangers.
Car il en va de la souveraineté de l’État. Air France, comme d’autres entreprises (Renault ou encore le groupe hôtelier Accor) sont considérées comme stratégique par le gouvernement, qui entends bien les protéger. "C’est pourquoi Bruno Le Maire prépare un décret qui prévoit qu’une entreprise non européenne devra d’abord avoir l’accord du Trésor public, dès lors qu’elle souhaite acquérir plus de 10% du capital d’une entreprise française dans des secteurs stratégiques dont les transports", indique Bastien Thomas, avocat et associé spécialiste du droit à la concurrence au sein du cabinet Racine.
"Initialement, le seuil prévu par le décret était de 25% mais il a été abaissé à 10% jusqu’à la fin de l’année à cause de la crise du Covid-19, pour protéger nos entreprises de prise de participation non voulues. Notamment des pays du Golfe, qui disposent de fonds souverains très importants, mais aussi d’Asie ou des États-Unis. Car, il faut rappeler que l’origine de ce texte prend sa source en 2005, lorsque l’Américain PepsiCo avait voulu racheter le champion de l’agro-alimentaire français Danone, e que General Electric a racheté la branche énergie d’Alstom". - Bastien Thomas, avocat et spécialiste du droit de la concurrence au cabinet Racine
En attendant, en contrepartie de ce prêt garanti par l’État à hauteur de 90% et financé par 6 banques, dont certaines sont étrangères comme la Deutsche Bank, Air France va devoir consentir de gros efforts. Comme l’a rappelé son PDG, le Canadien Ben Smith : "Ce n’est pas un chèque en blanc mais un prêt que nous allons devoir rembourser". À la demande de Bercy, la compagnie tricolore va donc devoir faire de gros efforts au niveau de la réduction de ses coûts. Ce qui va passer par la fermeture de lignes domestiques jugés non rentables. Un trafic domestique qui reste déficitaire avec 200 millions de pertes l’année dernière, en particulier sur les tronçons inter-régionaux, notamment à cause de la concurrence de plus en plus importante des compagnies low-cost, comme la britannique Easyjet, et du TGV. Des efforts qu’avait déjà engagé l’entreprise en présentant en novembre dernier son nouveau plan stratégique mais qu’elle va devoir amplifier.
Initialement prévu sur cinq ans, il devra finalement être réalisé d’ici 2021, ce qui aura des conséquences sur le plan social : avec des suppressions de postes sous la forme d’un plan de départs volontaires ainsi que des redéploiements en interne via des formations, précise Ben Smith au journal Les Echos. Des déclarations qui inquiète le personnel au sol, qui a déjà payé un lourd tribut ces 10 dernières années avec les différents plans de restructuration mis en œuvre par la compagnie.
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Tweet de la Commission européenne le 4 mai 2020 approuvant le prêt de l'État français à Air France.
Enfin, la compagnie devra respecter et poursuivre ses engagements en terme d’écologie. À savoir une réduction de 50% de ses émissions de dioxyde de carbone d’ici 2030 pour l’ensemble de sa flotte et de 50% dès 2024 pour ses vols domestiques. Pour y parvenir, elle entend réduire ses vols intérieurs sur le marché français mais surtout renouveler une partie de sa flotte avec des avions plus modernes et moins gourmands en carburant. Le 4 mai sur France Inter, Bruno Le Maire a par ailleurs confirmé que certaines lignes seraient supprimées : "Très franchement, quand on peut faire le trajet en train en moins de 2h30, l'avion ne se justifie pas".
Malgré les difficultés financières, le PDG du groupe Air France KLM a confirmé que la commande de 60 Airbus A220 annoncée l’année dernière pour remplacer ses A318 et A319 serait maintenue, avec des premières livraisons dès 2021. Ce qui permettra de baisser les émissions de CO2 de sa flotte de 20 à 25%, tout comme l’usage des bio carburants dès qu’ils seront disponible en France, ce qui n’est pas encore le cas pour l’instant. Si techniquement leur utilisation est déjà possible jusqu’à 50% d’un plein, leur coût reste encore un frein pour les compagnies car ils sont deux à trois fois plus chers que le kérosène. Ce n’est qu’une fois généralisé que leur prix pourront baisser grâce au volume. Avec toutefois une interrogation, puisque la crise du Covid-19 a littéralement fait plonger le prix du baril de pétrole.
Alors que le carburant était l’une des principales sources de dépense des compagnies aériennes, à hauteur de 30%, il ne représente plus aujourd’hui que 15% de ses dépenses, ce qui pourrait avoir à terme un effet négatif sur les politiques environnementales des compagnies. En effet, elles pourraient profiter de la crise sanitaire pour reporter, voire annuler le renouvellement de leur flotte, et cela au-delà même de leurs difficultés financières. Rappelons qu’avant l’effondrement du trafic aérien suite à la crise du coronavirus, l’aviation représentait 2 à 3% des émissions de CO2 au niveau mondial.
Des sous-traitants menacés
Si les compagnies aériennes sont à l’arrêt, elles entraînent dans leur sillage les constructeurs et les sous-traitants. À commencer par Airbus : l’avionneur européen (qui est devenu numéro un mondial en terme de livraisons devant son principal concurrent Boeing) tire la sonnette d’alarme. Il vient d’annoncer 481 millions d’euros de pertes au premier trimestre. Dans une lettre envoyée à ses 135 000 salariés le 25 avril, son PDG Guillaume Faury se dit très pessimiste pour l’avenir de l’entreprise, suite à la crise du coronavirus.
Airbus, qui à déjà dû réduire un tiers de sa production d’avions, se prépare à des jours compliqués. L’avionneur, qui à déjà reçu des annulations et des reports de commandes, va se retrouver avec des centaines d’avions sur les bras qui vont devoir attendre sur ses parkings, en particulier dans sa branche moyen-courrier, la plus rentable pour elle. La production de ses A320 est donc passée de 60 à 40 par mois, une baisse qui pourrait encore s'accentuer si la situation devait durer.
Et cette onde de choc va se propager à tous les sous-traitants, notamment les plus petits d’entre eux, plus fragiles sur le plan financier. Or, certains ont lourdement investi dans de nouveaux équipements pour augmenter leur production, car le secteur aéronautique connaissait une forte croissance jusque-là, de l'ordre de 5% par an. Aujourd’hui, leur activité à été réduite de moitié et certains d’entre eux ont même dû fermer, faute de pouvoir s’approvisionner en pièces et de mettre en place les mesures de distanciations sociales.
Actuellement, 20% d’entre eux ont déjà des problèmes de trésorerie et d’autres ne pourront jamais s’en remettre, estiment les experts. Rien que dans la région Occitanie, berceau de l’aéronautique en France, 40 000 emplois directs pourraient être détruits selon la CCI (Chambre de commerce et d’industrie). Une situation qui n’épargne pas non plus les plus grands d’entre eux, comme Safran, 3e équipementier mondial, qui fabrique notamment des freins ou des aménagements pour l’intérieur des avions (comme les sièges), ainsi que les moteurs des Boeing 737 et la moitié de ceux des Airbus A320. La production a été divisée par deux en mars par rapport à mars 2019.
Le groupe, qui emploie 50% de ses salariés en France, soit 48 000 personnes, à dû mettre la moitié d’entre eux aux chômage partiel et a déjà dû supprimer des centaines de postes dans ses usines aux Etats-Unis, car il n’existe pas là-bas de mesure d’accompagnements aux entreprises pour maintenir les emplois. Au Canada en revanche, Safran a pu compter sur l'aide des autorités : 2 000 dollars canadiens par mois pour tous les employés qui perdront leur travail à cause du coronavirus. Pour protéger ses collaborateurs et faire face à la baisse d’activité, le groupe à dû fermer temporairement 45 de ses 250 sites dans le monde.
Des difficultés qui n’épargnent pas non plus l’Américain Boeing, avec des répercussions en France. Notre pays est l'un des principaux fournisseurs de l'avionneur, qui a annoncé le 29 avril une perte de 641 millions de dollars depuis le début de l’année, et la suppression de 10% de ses effectifs, soit 16 000 personnes. Avec la crise sanitaire, Boeing va également devoir ralentir la production de ses avions long et moyen-courrier. Un nouveau coup-dur pour le constructeur, qui a déjà accumulé des milliards de dollars de pertes avec l’interdiction de vol de son 737 Max, cloués au sol en raison de deux accidents mortels dus à des défauts de conception.
À quel scénario de reprise faut-il s’attendre
Les dirigeants des compagnies, comme les experts, s’accordent au moins sur un point : il faudra au moins deux, voire cinq ans, pour que le trafic puisse reprendre normalement et retrouver son niveau de 2019. En effet, contrairement à d’autres événements survenus par le passé, comme les deux guerres du Golfe, les attentats du 11 septembre ou la crise financière de 2008 (où l’activité dans les aéroports était repartie de l’avant au bout de 6 mois), il s’agit cette fois d’une crise sanitaire mondiale qui va littéralement limiter nos déplacements durant une période longue et dont on ne connaît pas la fin.
La reprise économique est dépendante d’un nouveau traitement ou d’un vaccin qui n’arrivera pas avant l’automne 2021, selon l’institut Pasteur. La réouverture progressive des frontières dépend aussi des décisions de chaque pays, sans compter les freins psychologiques, puisque beaucoup de voyageurs hésiteront à prendre l’avion, de peur d’être contaminés. Autant de raisons qui pourront avoir un impact sur les prix, selon Xavier Tytelman, expert aéronautique au Cabinet CGI Conseil :
"Après les attentats du 11 septembre, de nouvelles mesures de sécurité sont apparues avant l’embarquement des passagers, ce qui a rallongé les délais avant d’accéder à son vol, et aussi généré des coûts supplémentaires pour les compagnies. Avec cette nouvelle crise, il faut s’attendre à de nouvelles mesures sanitaires qui viendront s’ajouter aux filtrages sécurité. Avec par exemple la prise systématique de température, voire des tests sanguins comme le fait déjà la compagnie Emirates basée à Dubaï, pour vérifier que chaque passager n’est pas atteint du coronavirus. Des tests qui peuvent déjà révéler leur résultats en 15 minutes. Encore faut-il que les voyageurs acceptent de les passer, en sachant qu’ils pourront être exigés par certain pays pour entrer sur leur territoire". - Xavier Tytelman, expert aéronautique
En revanche, les compagnies devront prévoir en plus des dispositifs de décontaminations pour les tablettes et les sièges, comme l’utilisation d’ultraviolet pour tuer les virus. Un procédé qui existe déjà et qui a fait ses preuves en Asie et en Russie, notamment dans le métro. Toutes ces mesure auront des répercussions sur les prix des billets d’avion. À l’avenir, il faut donc s’attendre à des hausses de tarif comprises entre 10 et 30%, en particulier si les compagnies aériennes doivent respecter des espaces entre chaque passager, ce qui les obligeraient à remplir leurs avions à 50 voire 65% de leur capacité.
Hors, pour être rentable, un aéronef doit être occupé au moins à 80%, et même 90% pour les low cost. Sans compter que la crise que nous traversons changera nos habitudes. Il y a fort à parier qu’elle nous interrogera sur nos modes de consommation. En réduisant notre usage de l’avion au profit de moyens de transport moins polluants, comme le train ou le co-voiturage quand cela sera possible. Ou tout simplement en voyageant moins souvent vers des destinations lointaines. Une tendance venue des pays du nord, particulièrement de Suède ces dernières années, avec un mouvement anti-avion qui porte même un nom : "Flygskam" , littéralement "honte de l'avion", incarnée notamment par la militante écologiste suédoise Greta Thunberg. Dans les 5 prochaines années, la demande d’avions neufs pourrait baisser de 40 à 60% selon une étude du cabinet Archery Strategy Consulting publiée le 9 avril dernier.