L'Internationale des "gilets jaunes"

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L'Internationale des "gilets jaunes"

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Dernier exemple en date de "gilets jaunes" à l'étranger : en Israël. Ce vendredi, des manifestations inspirées du mouvement français ont eu lieu à Jérusalem et à Tel-Aviv (ici sur la photo)
Dernier exemple en date de "gilets jaunes" à l'étranger : en Israël. Ce vendredi, des manifestations inspirées du mouvement français ont eu lieu à Jérusalem et à Tel-Aviv (ici sur la photo)
© AFP - Jack Guez

Les contestations contre les taxes sur les carburants et contre la vie chère ont gagné de nombreux pays, en Europe et dans le monde. De la Belgique à Israël, en passant par le Burkina Faso ou l'Irak, de larges pans des populations protestent contre l'appauvrissement et l'humiliation nationale.

De Bruxelles à Bassorah, en passant ce vendredi par Tel-Aviv et Jérusalem, la contestation des "gilets jaunes" s'est internationalisée. En Serbie, la désormais fameuse chasuble réfléchissante est même apparue dans l'Assemblée, portée par un député nationaliste. Et fin novembre, au Burkina Faso, elle a pris aussi la couleur de drapeaux rouges, alors qu'en Irak certains réclament la paternité d'un mouvement qui y avait été lancé en 2015. Petit tour du monde des revendications.

Mêmes décisions, mêmes effets

L'Union européenne qui globalement applique des politiques néolibérales rigoureuses, traverse un malaise évident : les indignations et les mobilisations anti-austérité ne cessent d'essaimer. Depuis 2008 et les événements en Grèce, se développent un mouvement social et une forme de résistance populaire qui se traduisent par des occupations en tout genre, blocages de routes, sit-in, barrages...

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Nos voisins belges ont débuté leurs actions aussi contre l'augmentation du prix du fioul. La Belgique est le quatrième pays de l'UE le plus taxé sur le carburant et le mouvement français y a trouvé des échos très tôt, souvent avec des blocages de raffineries ou de dépôts de carburant, comme à Feluy, au bord de l'autoroute Paris-Bruxelles :

Reportage à Feluy auprès des "gilets jaunes" belges. Par Pierre Bénazet, le 16 novembre dernier

1 min

Entre 300 et 400 personnes ont commencé à manifester à Bruxelles, le 30 novembre. D'abord dans le calme, puis des casseurs ont fait dégénérer la situation. Là-bas aussi, le dispositif de sécurité était important et la police a fait usage d'auto-pompes à eau pour riposter aux jets de projectiles. Après la capitale belge, c'est la ville de Charleroi qui a connu une nuit chaude, entre le 23 et 24 novembre, manifestants et forces de l'ordre se sont affrontés. 

A Bruxelles, en Belgique, les "gilets jaunes" s'inspirent de leurs voisins français
A Bruxelles, en Belgique, les "gilets jaunes" s'inspirent de leurs voisins français
© Maxppp - Nicolas Landemard

400 arrestations en Wallonie

Seule la Wallonie (la Flandre reste calme) connaît des blocages de rond-points et dépôts de carburant et son lot d'actions violentes. Ces derniers jours, plus de 400 personnes ont été arrêtées après que des camions citernes, des voitures de police et des poids lourds ont été incendiés. Parallèlement, l'idée de la création d'un mouvement politique prend forme et pourrait voir le jour pour les prochaines élections (scrutin législatif le 26 mai 2019).

L'Espagne se met en route elle aussi et des groupes se forment à partir de Facebook. Des Chalecos amarillos (gilets jaunes) entendent désormais manifester à Madrid car, disent-ils "l_a situation est pire ici qu'en France"_. Même chose, en Italie, les revendications formulées sur une page Facebook depuis le 19 novembre vont du prix du carburant aux taxes, en passant par l’europhobie. Aux Pays-Bas, les Néerlandais se mobilisent pour les mêmes raisons et y ont ajouté les problèmes de corruption. 

En Bulgarie, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Sofia et des grandes villes. Certains postes frontières avec la Turquie et la Grèce ont été barrés. Les Bulgares dont le niveau de vie est le plus pauvre de l’UE s'élèvent eux aussi contre la flambée du prix du carburant

À Sofia, la capitale bulgare, plusieurs dizaines de manifestants ont perturbé la circulation sur les principaux boulevards le 18 novembre 2018, en scandant "mafia !" et "démission !"
À Sofia, la capitale bulgare, plusieurs dizaines de manifestants ont perturbé la circulation sur les principaux boulevards le 18 novembre 2018, en scandant "mafia !" et "démission !"
© AFP - Dimitar Dilkoff

Des milliers de manifestants en Serbie

Plus politique qu'ailleurs, en  Serbie, c'est à l'appel de l'opposition que des milliers de manifestants se sont rassemblés dans le centre de Belgrade. En juin dernier, la hausse du prix de l’essence n'avait provoqué qu'un bref mouvement de protestation dans plusieurs villes du pays. Mais, le 4 décembre, le député nationaliste Boško Obradović, patron et fondateur de la formation de droite Dveri, a porté un gilet jaune à l'Assemblée. Ce candidat à la présidentielle en 2017 a aussi plusieurs fois appelé à des manifestations pacifiques alors que dans la capitale du Monténégro, Podgorica, 1 000 "gilets jaunes" ont réclamé la libération d'un opposant politique.

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A Berlin, ce sont des organisations d'extrême droite qui ont demandé aux "gilets jaunes" de se mobiliser contre le gouvernement allemand. Les principaux reproches concernaient l'immigration et le pacte de Marrakech. En Angleterre aussi, l’apparition des "gilets jaunes" est  fortement liée aux groupes d’extrême droite, dans le contexte particulier du Brexit.

Fin du monde, fin de mois, même combat 

Dans d'autres pays de l'UE, des mobilisations commencent à naître. Le coût de la vie qui ne cesse d'augmenter est devenu le dénominateur commun aux ménages européens, auquel s'ajoute souvent un rejet d'une élite qui méprise son peuple. Pour les pouvoirs, les "gens d'en bas" doivent rester à leur place et ils n'ont pas vu venir ces demandes d'une répartition des richesses plus équitable et d'une prise de décisions plus démocratique. 

Un protagoniste novice a donc surgi sur la scène sociale et politique : les "gilets jaunes" qui se sont formés en un mouvement populaire et hétéroclite. Internet et les réseaux sociaux ont fait le lien. On pense aussi à Charlot le chômeur qui, dans les Temps modernes, ramasse un drapeau tombé du camion et court pour le rendre. Immédiatement, d'autres gens emboîtent le pas à Charlie Chaplin. 

Au-delà de l'Union Européenne, ces mouvements ne sont pas sans rappeler celui d'Occupy Wall Street, en 2011, ces Américains qui campaient dans le quartier d'affaires de New York. Ce mouvement avait pris une dimension sans précédent depuis les mobilisations contre la guerre du Vietnam. 

Des drapeaux rouges au Burkina Faso et des "gilets jaunes" interdits à la vente en Egypte

En Afrique, au Burkina Faso, plus de 3 000 personnes se rassemblent dans les rues de Ouagadougou pour dénoncer l'augmentation du prix du carburant le 29 novembre. Les manifestants burkinabés portaient des drapeaux et des chemises rouges pour désapprouver l'actuelle paupérisation générale de la population.

La colère monte au Burkina Faso
La colère monte au Burkina Faso
© AFP - Olympia de Maismont

A un mois du huitième anniversaire du printemps arabe, l'Egypte, elle, serre la vis.  Une nouvelle loi a été mise en place pour contrôler les réseaux sociaux. Outre ce durcissement du contrôle d'internet , les autorités du Caire ont interdit la vente de "gilets jaunes" aux particuliers. Seules les entreprises y ont accès. 

En Irak : "Nous sommes les premiers à avoir arboré des gilets jaunes, dès 2015" 

A plus de 5 000 kilomètres des Champs-Elysées, à Bassorah, dans le sud de l'Irak, des centaines de "gilets jaunes" se rassemblent régulièrement devant le bâtiment du gouvernorat. Des manifestations ont ainsi lieu depuis cinq mois dans la troisième ville du pays. Les habitants s'insurgent contre le chômage endémique dans cette région pourtant très riche en hydrocarbure, mais ils râlent aussi contre l'état général de ville, et en priorité contre la corruption et contre les interruptions d'électricité et d'eau. La région fait face à une crise économique sans précédent : la moitié de sa population y vit sous le seuil de pauvreté.

Reportage de Noé Pignède sur ces "gilets jaunes" irakiens

1 min

Manifestation de jeunes "gilets jaunes" à Bassorah le 7 décembre 2018
Manifestation de jeunes "gilets jaunes" à Bassorah le 7 décembre 2018
© AFP

Le quotidien irakien Al-Mada, cité par Courrier international, nous apprend par ailleurs que certains revendiquent la paternité du mouvement. Un des militants précise : “Nous sommes les premiers à en avoir arboré, dès 2015, quand nous voulions signifier que nous étions des éboueurs venus pour enlever les détritus politiques.” 

Enfin, ce vendredi quelques centaines de "gilets jaunes" sont apparus en Israël, à Jérusalem et Tel-Aviv. Là aussi organisés par le biais des réseaux sociaux. Les Israéliens ont appris cette semaine par la presse que les prix des produits alimentaires, de l'électricité, de l'eau ou encore des abonnements téléphoniques, mais aussi les impôts locaux allaient augmenter l'année prochaine, sous l'effet de l'affaiblissement du shekel, la monnaie nationale, par rapport au dollar et à l'euro. Israël est déjà connu pour le coût élevé de la vie. "La lutte contre l'augmentation du coût de la vie ne fait que commencer", a affirmé à l'AFP Azi Nagar, 63 ans, un des instigateurs de la manifestation place de France à Jérusalem, non loin de la résidence du Premier ministre Benjamin Netanyahu.

Ces révoltes qui s'organisent sous des formes et des proportions rarement vues ces dernières années tournent toutes autour du pouvoir d'achat, des injustices sociales et fiscales et d'un système politique jugé de plus en plus antidémocratique. De quoi inquiéter bon nombre de dirigeants de pays où la pauvreté, les inégalités et la gouvernance excluent des millions de citoyens.