L'origine des mondes culturels | L’opéra de Sydney est l’une des œuvres architecturales les plus célèbres et les plus belles du XXe siècle. C’est aussi l’un des centres culturels les plus dynamiques du monde. Pourtant, personne n’y croyait… Retour sur un rêve qui devint le cauchemar de son architecte, Jørn Utzon.
Certains y voient un voilier. D’autres, des coquillages qui s’entremêlent. L’opéra de Sydney trône, majestueux, surplombant la baie. Avec le kangourou, le monument fait partie des symboles de l’Australie, fierté des Australiens. Malgré sa terrible acoustique, il est l’un des bâtiments les plus célèbres du XXe siècle. Son emplacement et son architecture en font un lieu unique au monde. Son histoire est aussi complexe que sa construction. Il est devenu le cauchemar de son concepteur. Pourtant, tout a commencé par un rêve un peu fou. Retour sur cette histoire incroyable.
Un architecte inconnu, mais brillant
L’Australie a besoin d’un opéra ! Au début des années 1950, le Premier ministre de l’Etat de Nouvelle-Galles du Sud, Joseph Cahill lance cette idée soufflée par le chef d’orchestre du Sydney Symphonic Orchestra de l’époque. En 1955, Joseph Cahill annonce donc un grand concours international d’architectes pour dessiner l’opéra, qui devra être multifonctions : deux auditoriums et tous les équipements pour diffuser la culture musicale en Australie. "C’était l’un des premiers, si ce n’est le premier, concours d’envergure international de l’après-guerre, selon Françoise Fromonot, architecte et auteure du livre : Jørn Utzon et l’Opéra de Sydney. L’économie redémarre, c’est le début de la mondialisation". Plus de 200 architectes participent au concours, et le choix se porte sur un jeune Danois, peu connu : Jørn Utzon.
Le site est déjà choisi. "La pointe sur laquelle se dresse aujourd’hui l’opéra, était auparavant un dépôt de tram, un ancien fort militaire, qui avançait sur la baie. Et après mille tergiversations, le gouvernement a décidé de choisir ce site extraordinaire comme site du projet", détaille l’architecte.
Jørn Utzon, comme la plupart de ses concurrents lors du concours, n’a jamais mis les pieds en Australie. Quand il arrive à Sydney, en 1958, les Australiens découvrent un homme de 38 ans, prometteur, ambitieux et "très bel homme, ajoute Françoise Fromonot, certains l’appelaient Gary Cooper, mais en mieux !".
Un projet audacieux inspiré notamment de l'opéra Garnier de Paris
Son projet est très ambitieux et incroyablement novateur. Le bâtiment trône sur une large plateforme minérale, couronnée par un ensemble de coquilles blanches. "C’était du jamais vu, tous les architectes du monde ont eu les yeux rivés sur lui et l’ont suivi dès le début", raconte Françoise Fromonot. Et en effet, quel projet ! Jørn Utzon a très vite compris que, par sa position, l’opéra serait vu de tous les côtés. Par les navires naviguant dans la baie, mais aussi par le haut de la ville.
En somme, le bâtiment devait avoir cinq façades, résume la spécialiste. Utzon s’inspire alors de l’opéra Garnier de Paris, notamment pour comprendre les ingrédients nécessaires à un grand opéra. Le grand escalier, les foyers, les dispositions des scènes, des loges, etc. qu'il réarrange de manière inédite en raison de la configuration particulière du site de Sydney.
L’architecte s’inspire également de ses nombreux voyages, au Mexique où il a découvert les constructions mayas, avec leurs vastes plateformes accessibles par des escaliers monumentaux, ou encore au Japon, en Inde et en Chine. Son projet mêle de nombreuses références à l'architecture des grandes civilisations antiques, mais aussi des influences navales, son père étant architecte naval.
Voici comment Utzon décrit son projet :
Au lieu de faire une forme carrée, j’ai fait une sculpture. J’ai voulu que cette forme soit un peu une chose vivante, que lorsque vous passez devant il se passe toujours quelque chose. Vous n’êtes jamais fatigué de la regarder se détachant sur les nuages, jouant avec le soleil.
Dans cette vidéo, Jørn Utzon explique son projet (en anglais) :
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Nous devons créer quelque chose comme une sculpture, qui serait vue de tous les côtés. A côté, il y a le port et toutes les infrastructures, les immeubles. Il ne faut pas que l'on écrive "Opéra de Sydney" sur le bâtiment, il faut que l'on puisse savoir au premier coup d’œil, comme une église, que c'est un opéra.
Une première phase difficile sur un terrain mou
La construction de l’opéra est étalée en trois phases. La première consiste à construire le socle, la plateforme en béton armé, censée accueillir les services de l’opéra, les loges, etc. Ce n'est pas une mince affaire car aucun test de sol n’a été effectué auparavant et les ingénieurs découvrent que le terrain est mou, "_et qu’il va falloir forer des pieux, presque comme à Venise__, pour supporter le poids du bâtiment",_ décrit Françoise Fromonot. Le coût total annoncé lors du lancement du projet est alors englouti pour la seule plateforme.
Une deuxième phase très compliquée par l'esthétique des "voiles"
Durant la construction du socle, Jørn Utzon réfléchit déjà à la deuxième phase : il faut résoudre le problème des voiles ou des coquilles. Au départ, l’architecte souhaitait des voiles minces, en béton armé, pour utiliser les recherches les plus avancées des ingénieurs de l’époque. Or, le plan de l’opéra est irrégulier : les auditoriums ne sont pas prévus pour être placés parallèlement. Impossible de réaliser les "voiles" à un coût et dans des délais raisonnables avec cette technique.
Il a des exigences d’intégrité architecturale. Selon Françoise Fromonot, qui a pour son livre, notamment, recueilli les témoignages d’anciens assistants de Utzon :
Il voulait que ces voiles aient une cohérence, que tout cela soit élégant, que l’on puisse laisser le béton brut, et donc cela veut dire qu’on ne peut pas bricoler, puis ensuite recouvrir. Il faut que la solution constructive soit la solution esthétique.
Finalement, il trouve la solution après des années de réflexion, en 1962. "Il va pré-fabriquer sur place des 'triangles de voile', comme une orange que l’on découpe en triangle, des demi coupoles pliées et les assembler comme un mécano, à l’image d’une construction gothique », explique Françoise Fromonot.
Le revêtement pose également problème. Jørn Utzon voulait du carrelage blanc. Mais comment recouvrir une surface courbée ? Il décide alors d’importer de Suède des carreaux blancs, en deux finitions, mat et brillant, et fait préfabriquer sur le chantier de grandes tuiles carrelées, suivant la même géométrie que celle des coquilles. "Ce qui donne un rendu incroyable, selon la spécialiste, comme une peau d’écailles". Un million de carreaux-tuiles sont nécessaires. Cette solution simple et cohérente trouvée par l'architecte va faire avancer la construction assez rapidement, alors qu’elle avait posé des problèmes insurmontables aux ingénieurs pendant plusieurs années.
Reportage sur la construction de l'opéra dans les années 1960 (en anglais) :
Une troisième phase qui ne verra jamais le jour, Utzon acculé à la démission
Jørn Utzon n’aura jamais l’occasion de réaliser la troisième phase : construire les auditoriums, recouverts d’une sorte de seconde coque, en contreplaqué. Il avait pourtant tout étudié pour que l’acoustique soit parfaite. "On a alors l’impression d’une expérimentation au bord de s’accomplir, ajoute la spécialiste, c’est très poignant. Mais hélas, il est coupé dans son élan".
En 1965, l’Etat de Nouvelles-Galle du Sud change de gouvernement. Le ministre des Travaux publics remet en cause la conception de l’opéra et surtout son coût, qui a explosé depuis le départ. A cela s’ajoute la colère des entreprises australiennes qui reprochent à l’architecte de ne pas faire appel à elles.
Jørn Utzon est alors acculé à la démission, les maîtres d’œuvre cessent de le payer. Il quitte l’Australie, quitte "sa créature" et n’y remettra jamais les pieds. Sa carrière est brisée, sa réputation salie.
Trois architectes australiens sont nommés pour achever la construction.
Le bâtiment a été mutilé, regrette Françoise Fromonot. Les nouveaux architectes ont abandonné le projet d'Utzon pour la troisième phase et le grand auditorium qui devait être polyvalent, accueillir de l’opéra et de la musique symphonique, et pour lequel Utzon avait énormément travaillé, et qui ne sera plus polyvalent.
Inauguration en grande pompe en 1973 par la reine Elisabeth II
Sept ans après le départ de Jørn Utzon, l’opéra est achevé. En 1973, la reine Elisabeth II l’inaugure officiellement, en grande pompe, avec feux d’artifice et la Neuvième symphonie de Beethoven en fond sonore. L'événement est retransmis à la télévision. Des centaines de bateaux sont présents à ce moment-là dans le port, une foule impressionnante s’est massée sur les berges. L’architecte ne reçoit aucun carton d’invitation, son nom n’est même pas mentionné lors de la cérémonie.
"L'opéra de Sydney a fait travailler l'imagination du monde entier, cependant, je sais que la construction n'a pas été sans poser de multiples problèmes", dira la reine. Mais elle ajoute :
L'esprit humain doit parfois prendre de la hauteur et créer quelque chose qui n'est pas juste utile et commun.
Pour devenir l’une des plus prestigieuses scènes au monde, mais à la piètre acoustique
Des millions de personnes assistent chaque année à tout type de spectacle dans l’ opéra. Avec près de 2 500 événements chaque année, des ballets, du théâtre, des concerts, des cabarets, de la musique classique, mais aussi des conférences. Dans l'opéra, se trouve également le plus grand orgue mécanique du monde, avec 10 244 tuyaux !
Un problème majeur a toutefois déclenché depuis mai 2017 des travaux inédits : son acoustique exécrable. La grande salle de l’opéra doit ainsi gagner, sans trahir Jørn Utzon, de nouveaux déflecteurs acoustiques pour mieux distribuer le son, ainsi qu'une installation pour le son en 3D et une climatisation silencieuse. Le Suisse Alexandre Oguey, joueur de cor anglais à l’Orchestre symphonique de Sydney, a confié à Caroline Taïx pour Le Monde sa surprise, quand il a joué pour la première fois il y a vingt ans dans le Concert Hall :
J’étais perdu. C’est comme jouer à l’extérieur, comme si le son n’allait nulle part. Il y a aussi beaucoup d’écho, en particulier pour les percussions. Un trompettiste peut jouer fort et ne pas s’en rendre compte car le son ne revient pas vers lui. Pour le public, c’est comme s’il y avait un couvercle sur l’orchestre.
Dans les années 1970, l’une des salles de l’opéra, The Playhouse, est utilisée pour des projections de films sportifs. Les surfeurs blonds australiens s’y retrouvent. Quelques années plus tard, Arnold Schwarzenegger remporte aussi le titre de "Mister Olympia", un titre de body-building, dans la grande salle de concert !
En 1974, la grande cantatrice australienne Joan Sutherland se produit dans l’opéra, l’une des salles prendra son nom en 2012.
De l’opéra partira également la première transmission radio en direct de l’Australie vers l’Europe, retransmission d’un concert de l’orchestre symphonique de Sydney, en 1981.
De grandes stars internationales ont illuminé la scène principale de la salle de concert : Sting, The Cure, Björk, Patti Smith, Bob Dylan, Massive Attack…
Aujourd’hui, les voiles de l’opéra de Sydney sont l’un des monuments les plus visités au monde, la carte de visite de l’Australie.
Scène internationale de l’Australie
Le bâtiment devient aussi au fil du temps un lieu "vitrine". En 1986, le pape Jean-Paul II y fait un discours, dans lequel il affirme la foi face à une Eglise australienne en crise. Il met également en garde le pays contre les manipulations génétiques, domaine dans lequel l’Australie fait beaucoup de recherches, et enfin, il défend les aborigènes et leur culture.
Le 24 octobre 1990, sur les marches de l’opéra, Nelson Mandela lève le poing à la tribune, devant plus de 40 000 personnes. La foule se presse devant lui. Le leader sud-africain est sorti de prison quelques mois auparavant et ce discours sera l’un de ses premiers à l'étranger, pour remercier l’Australie de son soutien durant l’apartheid :
Vous nous avez donné beaucoup d’inspirations. Vous nous avez donné la force de continuer le combat. Et de continuer les négociations, le monde entier et le peuple d’Australie et surtout de Sydney, nous a soutenu.
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En 2003, quand l’Australie décide de participer à la guerre en Irak pour se joindre à la coalition américano-britannique, deux opposants au conflit écrivent "No War" à la peinture rouge sur la partie la plus haute de l’opéra.
Et Utzon ?
L’architecte n’aura jamais assisté à un spectacle à l’opéra de Sydney. En 1998, l’Australie s’est officiellement excusée de l’avoir disgracié. Le pays l’a rappelé à cette époque pour effectuer des travaux dans le bâtiment. Il a poliment décliné l’invitation mais y a envoyé son fils, lui aussi architecte, qui inaugura la salle : Utzon Room.
En 2007, le bâtiment est classé au patrimoine mondial de l’Unesco : "C'est une expérience audacieuse et visionnaire qui a eu une influence durable sur l'architecture émergente de la fin du XXe siècle et au-delà".
L’architecte reçoit le prestigieux prix Pritzker en 2003. Il meurt cinq années plus tard, à 90 ans, sans jamais être retourné à Sydney !
Visite virtuelle de l'extérieur de l'opéra :
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