"L'Opinion", nouveau modèle économique de la presse en ligne ?

Un nouveau média d’information est lancé ce mardi en France. L’Opinion, c’est son nom, est à la fois un site web et un journal papier quotidien. Son modèle économique est inédit, puisque pour la première fois, le papier n'est que l'extension d’un support web majoritairement payant. Solution miracle pour sauver la presse ?

C'est Nicolas Beytout, l'ancien patron des Echos et du Figaro, qui est à l'origine du projet, et qui a levé les capitaux nécessaires au lancement. Il reste d'ailleurs très évasif sur l'identité de ses partenaires, quitte à faire polémique . Basé sur une ligne éditoriale libérale, "pro-business" et pro-européenne, cet ovni médiatique sera d'abord basé sur un site web d'information, avec plusieurs rendez-vous au cours de la journée, et sur une publication papier quotidienne comprenant les articles les plus fouillés. Une trentaine de journalistes devraient composer l'équipe à terme, et, là encore, c'est inédit, aucun ne sera spécialisé web ou papier. Tous travailleront pour les deux supports, entre temps long et temps court. **Écoutez le reportage diffusé mardi matin dans les journaux de France Culture : **

Un modèle économique inédit
Jusqu'ici, la presse en ligne française se composait à la fois de sites web d'information dits "pure player" ( Rue89, Atlantico...) et de l'offre numérique des journaux papier. Pour la première fois, avec "L'Opinion", le papier ne sera qu'une extension d'un média en ligne, un média web qui occupera la majorité du temps de travail de ses journalistes.

Pour autant, l'imprimé demeure, via une publication quotidienne d'une dizaine de pages. Conserver une part d'imprimé, le choix peut paraître risqué.

Mais pour Nicolas Beytout , ce mélange entre audience du web et revenus publicitaires du papier est la seule solution économique viable pour sauver la presse :

"Oui, quoiqu'on en dise, le papier reste le plus attirant pour les annonceurs " ajoute le sociologue des médias Jean-Marie Charon, spécialiste de la presse en ligne, "il permet de les rassurer, eux qui sont encore très frileux à investir des espaces publicitaires sur le web ". D'ailleurs, d'autres sites d'information plus classiques l'ont compris, ils se sont engagés aussi mais plus timidement dans quelques publications papiers (Rue89 a par exemple lancé un mensuel en kiosque, avant d'y renoncer et de le faire migrer sur tablettes).

Sur le plan éditorial, "le traitement de l'information à L'Opinion sera construit sous la forme d'une grille de radio ", confie Luc de Barochez, l'un des rédacteurs en chef. Toute la journée, des newsletters et des mini-JT s'imposeront comme des rendez-vous réguliers, entre les publications quotidiennes. Le journal papier sera édité lui vers 22 heures et disponible immédiatement sous format électronique pour les abonnés. Le site offrira aussi 40 minutes de vidéos par jour : interviews, débats, journal en images et vrai journal télévisé à 18h.

**Le média fait aussi le choix d'une ligne éditoriale tranchée ** "libérale, pro-business et pro-européenne ". Ce choix fait aussi partie de la stratégie économique selon Nicolas Beytout, pour sortir du flux habituel de l'information en ligne: "le seul moyen d'émerger, c'est de faire une information très sélectionnée et engagée, qui a un sens éditorial, et qui a donc de la valeur ".

Ce nouveau modèle exige de repenser complètement l'organisation d'une rédaction et de changer les habitudes des journalistes, comme l'explique **Vincent Ejarque, le chef d'édition ** :

**Si on bouge pas, on meurt. Dans la presse écrite, je me sentais comme un dinosaure ! **

Sur la trentaine de journalistes de " L'Opinion", la plupart sont très expérimentés et plutôt âgés, bien loin du stéréotype du journaliste web. En grande majorité, ils ne viennent pas d'une autre rédaction web mais de titres classiques. Pour eux, penser web et papier au quotidien exige une remise en cause complète de l'écriture et de la gestion du temps. Chaque jour, ils seront sollicités à la fois pour l'article fouillé de la version papier, la longue enquête sur le web mais aussi pour l'information de dernière minute, à publier immédiatement. Ils devront à la fois écrire et manier l'éditorial vidéo. Cette gestion du temps court et du temps long et des différents supports est la plus difficile à appréhender pour Irène Inchauspé, membre de l'équipe, ancienne journaliste économique à Challenges :

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** Le pari du payant
Les fondateurs de "L'Opinion" ont aussi fait le choix d'un média majoritairement payant, basé sur abonnement. Seule une petite partie des articles sera accessible gratuitement. Là aussi, c'est un renversement de tendance déjà expérimenté depuis plusieurs années aux Etats-Unis notamment. La stratégie du "tout gratuit" sur le web est désormais abandonnée par la plupart des titres de presse : le Washington Post vient d'y renoncer, et les internautes du New York Times ne peuvent désormais lire qu'une dizaine d'articles gratuits sur le site du journal chaque mois, via un système de "mur payant" ("pay wall"). Au-delà, ils doivent s'abonner, et la stratégie commence à porter ses fruits, puisque le journal vient d'augmenter de 40% sa diffusion sur Internet. Le choix de "L'Opinion" est symptomatique de cette nouvelle tendance, comme l'explique Jean-Marie Charon, sociologue des médias et co-auteur de " La presse en ligne" :

L'objectif de Nicolas Beytout est d'atteindre 50.000 abonnés d'ici trois ans, en tablant sur deux tiers d'abonnements et un tiers de ventes au numéro. Le sort de l'extension papier quotidienne devrait être scruté avec attention par les sites d'information concurrents.

> Nicolas Beytout évoque son projet dans l'émission de Frédéric Martel, " Soft power", du 12 mai

"L'Opinion de Nicolas Beytout peut-il réussir son pari fou ?"

Le journaliste spécialiste du numérique Erwan Gaucher analyse sur son blog la stratégie de Nicolas Beytout.

Les investisseurs mystères de "L'Opinion". Le Monde

Par Xavier Ternisien, ce lundi.

Questions à l'Opinion. Snj-Cgt

Dans ce tract, le syndicat "invite Nicolas Beytout à publier la liste de ses actionnaires ; le pluralisme y gagnerait en éclairant les lecteurs potentiels de son quotidien ; les journalistes pourraient eux aussi savoir qui sont leurs véritables patrons, au moment où la profession exige de plus en plus fortement que soit reconnue l’indépendance rédactionnelle vis-à-vis des détenteurs du capital".

Le site internet de "L'Opinion"

La version numérique est mise en ligne à partir de 18h mardi 14 mai, sa version papier en kiosque le 15 mai.

"La presse américaine s'invente un nouveau modèle". Le Figaro

Cet article de Pierre-Yves Dugua revient sur la stratégie du "payant" des journaux américains sur le web. Une stratégie qui commence à porter ses fruits outre-atlantique.

"Le journal papier en sursis". Le Monde

Cet article de Marie de Vergès revient notamment sur les succès encourageants des "murs payants" aux Etats-Unis. Le New-York Times a vu sa diffusion bondir de 40% sur le web en quelques mois.