Alpes, Pyrénées, Atlas, Andes, Sierra Nevada, Himalaya, Tibet... : elles nous semblent immobiles et là de toute éternité. Avec Jean-Pierre Peulvast, invité de Planète terre dans "Naissance, vie et mort des montagnes" (disponible en mp3 ci dessous), ce 14 juillet, je vous propose de visualiser la croissance et l'affaissement bien réels des montagnes de notre planète.
Édification et mort des orogènes

- Edification et mort des orogènes : construction, soulèvement, amenuisement des reliefs et aplanissement final. Modèle d'extension crustale et d'évolution morphostructurale tardi-orogénique des parties centrales d’un orogène de collision. ©D'après J. Malavieille et. al. (1990), redessiné.
En haut : phase active de collision, compression latérale, charriages, épaississement de la croûte et de la lithosphère. Ex : chaînes himalayennes (voir photos du Karakorum).
Au milieu : équilibre entre forces tectoniques et forces gravitaires (tendance à l’étalement) ; croûte épaisse, soulèvement et érosion actifs, lithosphère amincie (enfoncement et détachement de la base dans l’asthénosphère ?). Ex : chaînes alpines.
En bas : fin du processus de convergence, compression réduite, étalement gravitaire non contrarié, effondrement, fluage dans la croûte inférieure, amincissement, dislocation dans la croûte supérieure cassante (failles, bassins et fossés d’effondrement) : conditions favorables à la réalisation de l’aplanissement final. Ex : Grand Bassin du sud-ouest des Etats-Unis (Basin and Range), mer Egée, chaîne hercynienne en fin d’évolution.

Carte mondiale des plaques tectoniques ©DR
Chaînes de collision : exemple du Karakorum (D’après : PEULVAST, J.P., 2004. Paysages de haute montagne : le Karakorum (Pakistan). In D. Mercier (Dir.), Le commentaire de paysages en géographie physique. Documents et méthodes , Armand Colin, Paris, coll. U, p. 32-35.)Quelques traits généraux du Karakorum A l’ouest du Tibet et de l’Himalaya, le Karakorum culmine à 8 611 m (K2) : c’est une des plus hautes chaînes du globe. Sur 200 km de largeur, ses pics et ses vallées offrent les plus fortes dénivelées visibles dans le monde : 6 000 m sur 11 km entre le sommet du Rakaposhi et le fond de la vallée de l’Indus près de Gilgit ! Ils sont taillés dans les roches d’un ancien arc volcanique charrié vers le sud sur la plaque indienne, puis affronté au nord à la marge eurasiatique lors de la collision Inde-Asie. Cet ensemble est structuré en massifs parallèles entre lesquels l’Indus et ses affluents décrivent des tracés en baïonnette. Les taux de soulèvement et d’érosion sont parmi les plus forts connus au monde (jusqu’à 8 et 12 mm par an respectivement autour du Nanga Parbat, 8126 m, un peu plus au sud), entretenant de très fortes pentes propices aux phénomènes catastrophiques.

- Un haut massif englacé : la face NW du Rakaposhi (7 788 m), depuis la Karakorum Highway à Nilt (entre Baltit et Gilgit) ©J.P. Peulvast, juin 1992
Les montagnes du Karakorum sont arides, car peu affectées par les précipitations de mousson et abritées des perturbations cycloniques de secteur ouest (orages de printemps et d’été) par les montagnes de l’Hindukush. Néanmoins, les plus hauts pics sont puissamment englacés. La limite des neiges permanentes se trouve vers 4 700-4 800 m d’altitude sur le Rakaposhi. Le front du glacier visible au premier plan n’est qu’à 2 600 m d’altitude, 5 200 m en contrebas du sommet. Malgré des pentes supérieures à 60°, les glaciers supérieurs adhèrent au versant. Très crevassés, ils sont le lieu d’avalanches qui viennent alimenter un des glaciers de vallée situés en contrebas, ce qui explique la basse altitude atteinte par le front glaciaire. La vallée « en auge » taillée par la langue glaciaire dans les pentes inférieures n’est pas complètement remplie par ce glacier très rapide (100 à 1 000 m/an). De tels glaciers, beaucoup plus puissants pendant les glaciations quaternaires, ont contribué à l’intense érosion qui affecte les chaînes himalayennes.
Érosion, phénomènes gravitaires et aménagement

- Erosion, phénomènes gravitaires et aménagement : le flanc nord de la vallée de la Hunza en amont de Baltit ©J.P. Peulvast, juin 1992
Juste en amont de la forteresse de Baltit, le versant nord de la vallée de la Hunza relie un fond situé à 2 600 m et des pics englacés dépassant 6 500 m. Creusé dans des marbres, ce secteur était, comme l’ensemble de la vallée, complètement englacé il y a 20 000 ans. Il en subsiste une grosse terrasse de dépôts glaciaires (moraine) visible sur 150 m d’épaisseur, à la faveur de l’incision de la Hunza. L’érosion, en réponse à un soulèvement rapide, est une des plus actives au monde. Le paysage en porte la marque, tout d’abord avec la raideur des pentes : 30 à 60° au-dessus du replat, 50 à 70° et plus dans la gorge affluente (à droite). Les pentes supérieures portent la cicatrice d’un écroulement de paroi (au centre). A l’écroulement a succédé la mise en place d’un grand tablier d’éboulis, maintenant partiellement cultivé. L’ingéniosité humaine a su tirer parti des avantages de ce site quasi-désertique, exposé au sud, et soumis à de nombreux dangers (écroulements, chutes de blocs, glissements et ravinements dans le rebord de la terrasse). La terrasse et les basses pentes de l’éboulis bénéficient d’un système d’irrigation alimenté par des canaux creusés à flanc de montagne depuis le torrent voisin (lignes peu inclinées soulignées par un liséré de végétation). L’eau qu’ils fournissent en abondance y permet une polyculture prospère (orge, avoine, légumes…) sur des terrasses abritées par des haies de peupliers.

- Coulées de débris, cônes et terrasses en aval de Sost ©J.P. Peulvast, juin 1992
A 3 300 m d’altitude, la vallée de la Hunza rassemble les eaux de fonte des glaciers qui couvrent les massifs formant la frontière entre Pakistan, Chine et Afghanistan. La rivière achemine une abondante charge de galets dont une partie se dépose sous forme de terrasses fréquemment ré-entaillées au gré des déplacements latéraux des chenaux lors des hautes eaux d’été et des crues d’orage. Sur ces terrasses, en rive droite, un énorme cône de débris s’étale au débouché d’une gorge en V creusée sous un vaste cirque glaciaire, dans les contreforts de massifs aux formes acérées atteignant ici 5 500 m d’altitude. L’aspect déchiqueté des crêtes enneigées, et celui des parois qui dominent les cônes d’éboulis situés de part et d’autre du cône, suggèrent une puissante fourniture de débris par les effets du gel et du dégel de l’eau contenue dans les roches. Néanmoins, la masse de débris grisâtres en transit le long du chenal peut aussi représenter le remaniement de matériaux morainiques encore présents dans le cirque glaciaire. La forte pente du cône, l’aspect des chenaux encadrés de levées qui en sillonnent la surface, ainsi que la structure grossièrement stratifiée des dépôts visibles en coupe, montrent que la dynamique dominante est celle de coulées de débris, particulièrement fréquentes dans cet environnement.
Chaînes de collision : exemple des chaînes alpines

- Le Mont Blanc (4 807 m) ©J.P. Peulvast, juillet 1996
Grande écaille de granite du socle hercynien poussée en direction et au-dessus des Préalpes (à gauche, le rebord du massif du Giffre) et fortement soulevée en réponse aux dernières phases de la compression alpine. Au soulèvement a répondu une érosion profonde accentuée par les glaciers qui ont couvert la plus grande partie de la chaîne à de nombreuses reprises au Quaternaire.
Chaînes de subduction : exemples dans la Cordillière des Andes

- Cerro Aconcagua, face sud, Argentine. Point culminant de la Cordillère des Andes et des Amériques (6 962 m) ©J.P. Peulvast, octobre 2005
Paquet de roches volcaniques anciennes (andésites) charriées sur une série sédimentaire fortement plissée et elle-même charriée sur son socle. Dispositif illustrant la violente compression associée ici à la subduction de la plaque de Nazca sous la plaque Amérique du Sud et le soulèvement récent qui répond à l’épaississement de la croûte. A l’arrière-plan, des formes lourdes et plus basses illustrent l’aplanissement qui a affecté la chaîne avant ce soulèvement tardif qui a déclenché une profonde érosion fluviale et glaciaire.

- Baños del Toro, Vale del Elqui, Chili ©J.P. Peulvast, octobre 2005
Dépôt lacustre d’âge miocène (~15 millions d’années) soulevé à plus de 3000 m d’altitude et tranché par une profonde vallée creusée en réponse au soulèvement intervenu depuis; le substrat de l’ancien lac, visible en coupe sous les sédiments beiges légèrement inclinés est de nature volcanique et reflète un des modes de structuration de la chaîne (volcanisme et plissement). L’acquisition de l’altitude actuelle survient après une longue phase de déformation de la cordillère en marge de la plaque Amérique du sud, phase qui se poursuit actuellement.
Une chaîne intracontinentale et son piémont : les Tian Shan (Xinjiang, Chine)

- Le plateau central des Tian Shan au SW d'Urumqi, vu vers l'E. ©J.P. Peulvast, septembre 1990
Surface d'aplanissement soulevée et disséquée entre les deux rangées de montagnes bordières de la chaîne.

- Les Tian Shan et leur piémont sud dans la région d'Aksu (Xinjiang, Chine), vus vers le NW. ©J.P. Peulvast, août 1990
Les plis parallèles à la chaîne répondent à l’incorporation à celle-ci des débris entassés au débouché des vallées creusées au fur et à mesure d’un soulèvement actif induit par la propagation de la compression himalayenne à l’intérieur du continent eurasiatique.
Chaînes en voie d'écroulement gravitaire et de destruction

- Paysages de la Province Basin and Range, Nevada, Etats-Unis : Shoshone Mountains ©J.P. Peulvast, septembre 1988
Large série de blocs faillés (horsts, grabens) formés en régime d’extension aux dépens d’une partie de l’ancienne chaîne laramienne édifiée au début du Tertiaire. L’extension se poursuit encore. Bassins occupés par des lacs salés et des sédiments provenant d’une érosion de la bordure des blocs faillés qui peut préluder à leur aplanissement complet. Certaines parties de la chaîne hercynienne d’Europe occidentale et centrale ont pu présenter ce types de paysages au Permien, avant leur ensevelissement sous les sédiments des mers secondaires.

- La façade nord de Mykonos (archipel des Cyclades, mer Egée, Grèce), flanc de "complexe métamorphique". Vue vers l'est depuis la péninsule du Cap Mavros. ©J.P. Peulvast, juin 2001
Retombée nord d'une partie d'un vaste complexe de roches métamorphiques (gneiss) centré sur les îles de Naxos et Paros et dont le bombement s'est effectué en régime d’extension au Miocène (10-15 Ma), accompagné de déformations et, en fin de processus, de l'intrusion d'un corps granitique qui forme l'essentiel de l'île. Celui-ci se dégage par décoiffement d'une couverture de roches volcaniques et détritiques plus anciennes, le long d'une zone intensément. Le mouvement de la couverture s'est effectué vers le NE (vers la gauche) et des lambeaux de celle-ci forment les différents caps visibles sur la photo. Les contacts avec le granite sous-jacent, dont l'un est souligné par une étroite bande claire inclinée au NE (centre gauche de la photo), se prolongent par les pentes douces qui forment la retombée nord de l'île, en particulier celle du massif du Prof. Ilias Anomeritis (341 m, au fond).

- Plis hercyniens arasés : la carrière de Villedieu-lès-Bailleul (Nord d'Argentan, Normandie, France) ©J.P. Peulvast, avril 1977
Le déblaiement partiel de calcaires marins du Jurassique moyen dans les régions de Caen et de Falaise fait affleurer la surface infra-jurassique, dite aussi post-hercynienne, tronquant de façon imparfaite les conglomérats, les schistes et les Grès armoricains du Paléozoïque inférieur conservés dans les anciens plis de la chaîne (vigoureux synclinaux de May, d'Urville et de la zone bocaine). Participation probable de l'abrasion marine au nivellement avant l'enfouissement de la surface. L’échelle est donnée par les poteaux téléphoniques.
**Ishtar Terra (Vénus) : des chaînes plissées à la périphérie d'un haut plateau **

Altimétrie du pôle nord de Vénus ©NASA

Vue perspective d’après des images radar Pionneer Venus (code couleurs : teintes de plus en plus chaudes avec l'altitude) ©NASA-JPL
Sur la vue en perspective (ci-contre), Ishtar Terra (bas de l’image), centrée sur 65°N et 0° de longitude, est vue de l’ouest. Il s’agit d’un haut plateau de taille à peu près égale à celle de l’Australie, situé 3,3 km au-dessus des basses terres environnantes et entouré par des massifs aux pentes marquées : Akna Montes et Freya Montes le long des bordures W et NW, Maxwell Montes à l’est (en blanc sur la vue polaire ; en rouge et blanc sur la vue perspective). La partie orientale d’Ishtar Terra, à l’est de Maxwell, est un terrain accidenté complexe situé 1 km plus bas que le plateau et dépourvu des reliefs bordiers. Maxwell Montes atteint plus de 10 km d’altitude au-dessus des plaines : c’est le point le plus élevé de la planète.
Parfois comparé au plateau tibétain, un vaste môle entouré de différents rameaux des chaînes himalayennes, Ishtar Terra est le plus imposant des « plateaux crustaux » de Vénus. Selon certains modèles, il pourrait correspondre à un vieux noyau de croûte épaissie, analogue par sa « quille » de matériel du manteau à un continent terrestre, contre lequel un enfoncement le long d’une de branches descendantes d’un vaste système de convection viendrait entasser des matériaux du manteau supérieur (d’origine magmatique). Ces matériaux s'enfonceraient sous la croûte supérieure en se plissant et en s’épaississant, formant des chaînes plissées analogues à certaines chaînes terrestres – mais intactes du fait de l’absence d’érosion.