La Biélorussie aux yeux de Moscou

Vladimir Poutine et le président biélorusse Alexandre Loukachenko participent à un match de hockey sur glace à Roza Khoutor, en Russie, le 7 février 2020.
Vladimir Poutine et le président biélorusse Alexandre Loukachenko participent à un match de hockey sur glace à Roza Khoutor, en Russie, le 7 février 2020.

La Biélorussie aux yeux de Moscou

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La Biélorussie aux yeux de Moscou

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Le regard de l'autre | Le soulèvement démocratique en Biélorussie suscite une vague de soutien en Occident. Mais rien ne se résoudra sans la Russie. Parce que Moscou considère la Biélorussie comme une chasse gardée. Explications par la géographie, l'histoire, le droit, l'économie, la psychologie et la sociologie.

Ce dimanche encore, des dizaines de milliers de Biélorusses devraient manifester dans le pays contre le régime d'Alexandre Loukachenko. Un président autocrate contesté par la rue depuis son élection frauduleuse début août et que l'Union européenne a refusé de reconnaître jeudi dernier. La diplomatie européenne estimant que sa prestation de serment en secret et son sixième mandat n’ont aucune légitimité démocratique.

Mi septembre, en quête de soutien de Vladimir Poutine, Alexandre Loukachenko avait lancé à son intention à Sotchi : "C'est dans le besoin que l'on reconnaît ses amis". Avant de le remercier et de qualifier la Russie de "grand frère" de son pays.

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Analyse du point de vue russe en six points clés pour " Le regard de l'autre" : géographie, Histoire, droit, économie, psychologie et sociologie.

La géographie

La Biélorussie se situe dans l’aire naturelle d’influence de la Russie. Très à l’Est de l’Europe, c’est un pays totalement enclavé. Donc il dépend de ses voisins. Et son voisin principal, à l’Est, c’est la Russie : 950 kms de frontière commune. Moscou, c’est la porte à côté : moins de 500 kms séparent la capitale russe de la frontière biélorusse. Vu de Moscou, la Biélorussie est donc logiquement non seulement un petit voisin sur lequel on exerce spontanément son influence, mais aussi une sorte de sas de protection par rapport à l’Ouest et aux pays de l’OTAN.

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L’Histoire

L’Histoire place aussi la Biélorussie en grande partie dans la zone d’influence de Moscou. La zone a certes été rattachée un temps à la Lituanie et la Biélorussie a connu de brèves périodes d’autonomie, notamment à la fin de la Première Guerre mondiale : on parle alors de Belarus, avec son drapeau rouge et blanc qui ressurgit aujourd’hui dans les manifestations. Le pays est indépendant depuis 1991 et l’éclatement de l’Union Soviétique. Mais il n’en reste pas moins que les liens sont ancestraux avec Moscou.

La région a été rattachée à l’empire russe à la fin du XVIIIe siècle. Moscou impose alors son administration, sa langue. Et c’est là aussi que se déroule la célèbre bataille de la Bérézina, sous Napoléon. Et de 1918 à 1991, hormis la période de l’occupation nazie, c’est un satellite de l’Union Soviétique. L’Histoire elle aussi fait donc de Moscou un acteur incontournable en Biélorussie.

Le droit

La Russie peut aussi se prévaloir d’accords internationaux qui l’autorisent à se mêler de la situation dans le pays. La Biélorussie fait partie de l’Union eurasiatique pilotée par la Russie. Et les deux pays ont signé en 1999 un accord de sécurité et de défense : formation commune des militaires, partage de renseignement, etc. Et surtout un regroupement régional des forces baptisé RGV et dirigé de fait par la Russie. Dix divisions russes sont en alerte permanente à proximité de la frontière. Et Moscou pourrait parfaitement se prévaloir d’un appel à l’aide du président Loukachenko pour justifier juridiquement une intervention militaire dans le pays. Ce n’est pas nécessairement l’intérêt de Vladimir Poutine. Mais cela pourrait se défendre juridiquement.

L’économie

Les liens économiques sont encore plus flagrants. En fait, sans l’aide de Moscou, l’économie biélorusse se serait effondrée depuis belle lurette. Après la Seconde Guerre mondiale, la Russie a porté à bouts de bras la reconstruction du pays, en grande partie détruit. Elle a aussi imposé son modèle dirigiste, qui a perduré sous Loukachenko, après l’indépendance. Avec notamment de grosses usines automobiles.

La Russie subventionne fortement l’économie biélorusse : cela représente jusqu’à 15% du produit intérieur brut. Moscou est le 1er partenaire commercial et de loin : 60% des importations biélorusses viennent de Russie, 40% des exportations vont vers la Russie. 75% des touristes étrangers venant dans le pays sont russes. 10 traités de libre échange lient les deux pays. Et le géant Gazprom est un acteur majeur en Biélorussie.

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Psychologie et sociologie

Vu de Biélorussie d’abord : la Russie est perçue comme un allié, pas comme un ennemi. La comparaison avec l’Ukraine n’a donc pas de sens : en Ukraine, une majorité des habitants de l’Ouest du pays regardent vers l’Union européenne et l’OTAN. Ce n’est pas le cas en Biélorussie. La population est majoritairement russophile, et en bonne partie respectueuse de ce que le communisme a apporté : de la stabilité, du progrès social, un taux de chômage limité, une espérance de vie en hausse, un système de santé correct. Aujourd’hui, les manifestants dénoncent le dictateur Loukachenko, le trucage des élections, la répression des opposants. Mais ils ne voient pas Moscou comme l’adversaire, du moins pas jusqu’à présent.

Du point de vue de Vladimir Poutine maintenant, la Biélorussie est un domino qui ne peut pas tomber. Cela demeure un satellite, même si les relations avec Loukachenko sont compliquées de longue date. Poutine sait en revanche qu’une intervention militaire lui mettrait à dos la population biélorusse. Donc le plus probable est plutôt la recherche d’une solution politique, comme en Arménie il y a deux ans. En favorisant l’accession au pouvoir d’un homme fidèle à Moscou, comme Viktor Babaryka. Mais pour toutes les raisons ci-dessus, en aucun cas, la Russie ne laissera la Biélorussie sortir de son giron.

Avec la collaboration d'Éric Chaverou

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