La Chine déménage! Aspects territoriaux d'une présence croissante en Afrique
Par Laure Birckel, Sylvain Kahn
Globe vous propose cette semaine de poursuivre la réflexion de Géraud Magrin, invité de Planète le mercredi 12 octobre 2011, en parcourant les conséquences de la présence chinoise en Afrique, tant sur le modelage du territoire, que sur les ressources du continent, ou sur les économies locales.
Pour écouter l’emission, rendez-vous ICI.
(photo vignette : l'entrée du site de forage de la centrale géothermique Olkaria, dans la vallée du Rift au Kenya, exploitée par une entreprise chinoise. Laure Birckel - 2009)
La présence chinoise en Afrique se saisit à travers plusieurs indicateurs, qui varient selon les sources. Une certitude cependant : elle a considérablement augementé depuis le début des années 2000. On peut ainsi prendre en compte, pour ces estimations, les investissements chinois, d'un montant de 1,4 milliards d'euros en 2009 ; la valeur de la totalité des échanges entre les pays d'Afrique et la Chine, qui est de 100 milliards de dollars en 2009, quand les échanges avec la France sont de 50 milliards. les marchandises exportées vers Chine (38,5 millions de tonnes de pétrole exportées) ; les produits chinois massivement importés en Afrique ; la diaspora chinoise dans les pays africains : Géraud Magrin évoque une immigration chinoise comprise entre 750 000 et 1,5 millions d'individus.
La caractéristique de cette présence est qu'elle ne privilégie aucun pays. Elle se trouve à des degrés divers dans la totalité du continent, ce qui la distingue de la présence américaine, française ou anglaise. L’Afrique est devenue un nouvel espace d’investissement prometteur des chinois. Le dernier sommet sino-africain de 2009 dit bien ces nouvelles affinités, qui sont d’ordre financier, motivées par le besoin en approvisionnement de matières premières, mais aussi d'ordre diplomatique.
Pour Roland Pourtier, la présence massive de la Chine en Afrique est "l'évènement majeur de la dernière décennie" (dossier des Images économiques du monde en 2012 , p. 22).
Les premiers partenaires économiques de la Chine en Afrique sont l'Angola, le Soudan, l'Afrique du Sud et le Nigeria. La République Populaire a parfois même créé des zones de coopération économique et commerciale avec ces pays, en plus de celles déjà implantées en Zambie, à Lagos, ou en Ethiopie. Les échanges commerciaux ne cessent de croître, passant de 12,4 milliards d'euros en 2003 à 106,84 en 2009.
Mais cette dynamique ne doit pas masquer la permanence des structures héritées du siècle dernier : si 10% du commerce extérieur africain sont réalisés avec République Populaire de Chine, 13% le sont avec les Etats Unis, et 37% avec l'Europe.
Par ailleurs, cette présence fait l'objet de critiques. Si d'aucun considère que le développement des échanges entre la Chine et l'Afrique a permis aux pays africains de revenir dans la mondialisation des échanges et de gagner des marges de manoeuvre en diversifiant ses partenaires, la République Populaire de Chine est criitiquée pour avoir à nouveau favorisé le sur-endettement des pays africains dont la dette avait été en partie effacée par ses créanciers occidentaux.
L' emission avec Géraud Magrin propose un bilan raisonné des avantages et des inconvénients de la coopération chinoise en Afrique.
Introduction en images et en vidéos !
Voici quelques images de la présence chinoise en Afrique. Le site est en chinois, mais il n’empêche pas la compréhension des photos ! Ici, sur le site "Ministry of Tofu", quelques commentaires supplémentaires en anglais.
Ce court extrait d'un reportage que l'on peut retrouver sur le blog Françafrique montre rapidement comment les produits chinois se trouvent en très grand nombre sur les marchés africains. "Les chinois ont remporté le marché, ils nous ont simplifié la vie", peut-on entendre à Douala...
Une interview de Michel Beuret, co-auteur de La Chinafrique .
Infrastructures Les infrastructures majoritairement financées par les investisseurs chinois concernent en premier lieu l’énergie et l’électricité, puis les transports, et, dans une moindre mesure, les télécommunications (bien que cet
article de la revue Echo géo en rappelle l’importance). En 2007, la Chine finançait ainsi 10 projets de centrales hydroélectriques pour un montant de 3,3 milliards de dollars (Fonds de Conseil en infrastructure publique-privée).
L’aménagement du territoire et l’importance des infrastructures
Cet article de la Revue d’Outre Mer dit, en guise d'introduction, l'importance des enjeux liés à l’aménagement du territoire en Afrique sub-saharienne.
Cas d'étude : la République Démocratique du Congo (RDC) Roland Pourtier montre dans cet article à quel point la reconstruction territoriale de la RDC est importante pour asseoir la puissance de l'Etat, et cette reconstruction passe nécessairement par le renforcement des infrastructures dans le pays.
Le Monde Diplomatique insiste quant à lui sur les liens étroits et ambivalents unissant le déploiement des infrastructures en RDC, l'aide de la Chine, et les conséquences sur la population locale.
Ici, quelques exemples d’infrastructures financées par la Chine, extraits de Africa Nouvelles.
Enfin, la plupart des pays d'Afrique initient une réduction de leur déficit d'infrastructures grâce à l'intervention de nouveaux financiers, comme la Chine, ce que cet article d 'Afrique Renouveau illustre encore.
Energies
Les enjeux de la construction d’une usine d’extraction de pétrole au Sud Soudan
D’aucun parle de « diplomatie pétrolière », lorsque qu'ils évoquent la politique d'implantation chinoise en Afrique .
Cet autre article, du site "Contre Information", porte sur l’importance stratégique et diplomatique pour la Chine de contrôler les prinicpaux gisements pétroliers. Il développe, à l’aide d’un support cartographique, le cas de l’installation de quasi monopoles chinois au Sud Soudan, alors que le conflit au Darfour embrasait la région en 2007. Cette hégémonie chinoise se lie intrinsèquement à des enjeux diplomatiques internationaux, que met en lumière cet article de Inter Press Service, dans la mesure où la Chine a fortement appuyé la reconnaissance du Sud Soudan par la communauté internationale.
**** ** Transports et mobilités **
Les grands investissements chinois pour le développement des transports se sont essentiellement portés sur :
- la Tanzanie et la Zambie(mythique ligne TAZARA, intialement financée par la Chine dès 1970, comme nous le montre cette carte en chinois, ainsi que les photos qui l’accompagnent !), où 1350 km de voies ferrées ont été rénovés, et 1600 km créés ;
- le Nigéria ;
- et le Gabon.
Cas d'étude : la réhabiliation du chemin de fer en Angola, le projet Benguela.
La ligne de chemin de fer de Benguela a été construite en Angola au début des années 1970, avec l'aide, déjà, de la Chine. Le période de l'indépendance et les révoltes qui l'ont accompagnée ont contribué à la détérioration, voire à la destruction de la ligne. C'est actuellement un financement chinois qui, depuis 2005, permet au pays de renouveler ses perspectives économiques en remodelant son territoire par le biais des voies ferrées. Cet exemple de financement d'infrastructure est lourd de symboles, à plus d'un titre :
- la ligne de chemin de fer est un héritage des coopérations entre colonies, puisque la ligne était exploitée par les autorités portugaises et une entreprise belge.
- il s'agit d'une ligne ravagée par la guerre civile en 1976 en Angola. Les reconstructions et réhabilitations en cours font de cette ligne une cicatrice, spatiale et symbolique, d'un conflit long à s'apaiser, et dont les conséquences politiques ont été fortes.
- elle ouvre les voies d’une coopération régionale entre les pays traversés par la ligne : l’importance des échanges transnationaux et régionaux. (pour aller plus loin sur les question d'échanges transnationaux, voir cet article d'Echo géo sur les mobilités et échanges entre Mauritanie, Mali et Sénégal).
- elle est financée par la Chine.
Voici une CARTE de la ligne de chemin de fer.
***Pour aller plus loin sur les questions financières : * **
- Sur la dimension technique des accords de financement des infrastructures en Afrique par la Chine : un économiste Sud Africain, Craig Bond, présente les partenariats financiers et bancaires entre Chine, Afrique et Afrique du Sud (la Tribune).
- Sur les nouvelles donnes économiques : les financements d’infrastructures révèlent l’importance de la r econfiguration des relations Sud-Sud, comme le montre cet article du blog Multipol.
Formes urbaines Sylvie Bredeloup et de Brigitte Bertoncello apportent un regard inattendu sur les conséquences de la présence chinoise en Afrique (Sénégal et Cap-Vert) dans leur article " la migration chinoise en Afrique : un accélérateur du développement ou « sanglot de l’homme noir »". Elles développent deux exemples, où les formes urbaines traditionnelles sont remises en question, voire parfois bousculées par la présence croissante des commerces et des commerçants chinois.
- **Cap-Vert ** : l’émergence de bazars Chinois dans les anciens centres historiques et coloniaux restructurent les cœurs urbains , et en permettent parfois la réhabilitation.
- **Dakar ** : les commerçants chinois s'installent le long des allées du Centenaire (principales artères centrales de la ville) sous forme de petits comptoirs sans grande arrière boutique, qui ont fait exploser les prix du foncier . Leur installation dans des quartiers à forte valeur symbolique et patrimoniale génère des conflits.
Sur les défis des transformations urbaines, et l’importance de l’interconnexion urbaine, voici cet article de Jeune Afrique.
**Insertion dans la mondialisation / diplomatie ** Petite introduction par le biais de cet article presse sur l ’intensité des relations sino-africaines et l’importance diplomatique qu’elles revêtent. « Nous souhaitons que la Chine dirige le monde », y affirme l'ancien président du Nigeria, M. Obasanjo.
Quelques articles sur l'importance diplomatique des relations sino-africaines :
- "Les relations sino-africaines, facteur et résultante de la dynamique mondiale ». Article de Chris Alden sur la coopération bilatérale publique et privée comme moyen privilégié de s’imposer durablement dans l’économie mondiale.
- "Pékin au Congo" – article de Ronan Morin-Allory sur les s tratégies financières de la Chine en Afrique et leurs conséquences.
- Sur la formule "diplomatie économique", un article de Michal Meidan.
Démocratie
Dans son article, Valérie Niquet envisage les conséquences de la présence chinoise et des financements chinois sur les politiques nationales africaines : la Chine apporte un soutien inconditionnel en terme de politique intérieure aux Etats africains, en vertu de la mise en œuvre d’une solidarité Sud-Sud héritée des années 1960. Elle prône, pour les pays qu’elle « soutient », un « découplage voulu entre développement économique et réformes politiques dans une stratégie de survie des régimes autoritaires. » (Valérie Niquet, 2004).
**Economie locale ** En introduction, un article d’Emmanuel Guérini destiné à mieux comprendre ce qu’est l’aide financière chinoise à destination de l’Afrique, avec un tableau synthétique présentant quelques chiffres clés.
Cette brève interview de Valérie Niquet aborde le fait que les investissements chinois en Afrique ne profitent que peu aux populations locales : bien que les produits de grande consommation soient désormais plus accessibles et meilleur marché grâce à leur importantion de Chine, ils entravent les opportunités de développement des commerçants et petits entrepreneurs africains eux-mêmes.
Voici un contre-point d’un sondage Afrobaromètre réalisé en 2008, qui montre au contraire une réelle satisfaction des populations interrogées quant à la présence chinoise dans leur pays.
Cet article d’Antoine Kernen et Benoit Vulliet sonde la présence des petits commerçants chinois et entrepreneurs chinois au Mali et au Sénégal. Il s'interesse particulièrement aux "attentes non-étatiques de la relation Chine-Afrique", et met en lumière les effets paradoxaux de l’émergence de secteurs monopolisés par les commerçants chinois, et les conflits qui en découlent.
A une autre échelle : l’exemple des conséquences des investissements étrangers et Chinois dans l’économie Centrafricaine, qu'étudie Ibrahim Ngouhouo dans sa thèse.
Enjeux écologiques
L'une des principales raisons souvent avancée pour expliquer la forte présence chinoise en Afrique est le besoin de la République Populaire de Chine en matières premières (pétrole, minerais). Or l'Afrique représente 8,9% des réserves mondiales de pétrole (voire carte), et c'est de ce continent que la Chine importe annuellement 25% de son pétrole. Si les enjeux pétroliers sont bien connus, nous avons choisi de présenter le cas des extractions de minerai de fer à Bélinga, au Gabon.

principaux gisements pétroliers en Afrique de l'Ouest ©Wikipedia
Pour mieux comprendre le projet d’exploitation minière de Belinga au Gabon, voici une CARTE de la superposition des espaces en jeu, montrant l’enchevêtrement des intérêts de natures différentes dans le site de Bélinga.
Cette région de la côte Ouest de l'Afrique possède un sous-sol riche en minerais, dejà exploités depuis plusieurs dizaines d'années. Cet article (le Post.fr) présente clairement les étapes de la mise en exploitation de cet espace depuis 1957. En 2006, la Chine signe des accords avec le gouvernement gabonais pour reprendre l'exploitation des mines, et poursuivre les projets de raccordement ferroviaire entre les mines et les grandes villes du pays. Depuis cette date, de nombreuses associations écologistes, comme Brainforest, s'opposent à la poursuite du projet dans une zonen certes très riche en minerais, mais surtout classée en espace protégé.
Pour aller plus loin sur le projet Belinga comme aubaine économique, mais menace écologique et politique :
- article de Léandre Edgard Ndjambou des Cahiers d’Outre mer sur les réseaux de transport au Gabon, et les perspectives du projet Belinga, tantôt perçues comme des aubainses, tantôt comme des menaces.
- article de IPS sur les enjeux de politique intérieure liés au projet.
- article de Jeune Afrique qui rappelle les tensions relatives aux mines de Bélinga.
- un contre-point de l’ONG Brainforest, impliquée dans le processus de blocage des travaux, sur l’extension du projet et ses répercussions écologiques.
Pour aller en voir et en écouter plus : une série de reportages de Radio-Canada sur la Chine en Afrique et les i nvestissements dans le domaine des ressources naturelles.
Pour aller plus loin
Sur le site « Ritimo », une bibliographie complète sur la Chinafrique.
Le revue Chinafrique.
Inversons la tendance : la présence africaine en Chine.
Le livre de John IGUE, Le territoire et l’Etat en Afrique : les dimensions spatiales du développement , Paris, Karthala, 1995.
Sur les « ambivalences du commerce Sud-Sud », article du Monde Diplomatique : "la Chine à l’assaut du marché africain".
Introduction au dossier sur les indépendances africaines dans la revue en ligne Echo Géo.
Article de Roland Pourtier dans le dossier des Images économiques du monde 2012 (Armand Colin 2011).
Jean-Raphael Chaponnière, " Afrique : quand la Chine change la donne", L'économie Politique , n°38, avril 2008, (ed. Atlernatives Economiques).
Emissions et billets précédents sur l'Afrique
- émission : "l'Afrique est-elle bien partie?", avec Géraud Magrin et René Otayek.
- billet de blog : "Afrique, ne pas substituer un nouveau cliché à une idée reçue!".