Entretien. C'est une première diplomatique qui a eu lieu le 29 mars à l'Unesco à Paris : quatre pays du Maghreb (Tunisie, Maroc, Algérie et Mauritanie) ont demandé l'inscription du couscous au patrimoine mondial immatériel de l'humanité. L'ambassadeur de Tunisie à l'Unesco, Ghazi Gherairi, raconte.
L'unification du Maghreb pourrait-elle se faire autour du couscous ? Ce plat qui remonte à la nuit des temps à base de semoule, de légumes, d’épices, de viandes ou de poissons est un élément culturel commun à tous les pays de cette région. Le 29 mars, les ambassadeurs de Tunisie, d’Algérie, du Maroc et de Mauritanie ont déposé un dossier pour inscrire ce met au patrimoine mondial immatériel de l’Unesco. La réponse est attendue d’ici un an et demi d’après Ghazi Gherairi, ambassadeur de Tunisie à l’Unesco, qui a accordé un entretien à France Culture.
Quel est l’intérêt de demander l’inscription du couscous au patrimoine mondial de l’Unesco ?
Tout d’abord, c’est la reconnaissance de la valeur universelle d’un élément culturel national. En terme de reconnaissance internationale, c’est le nec plus ultra. L’autre objectif est de protéger ce patrimoine, qui devient établi, décrit précisément. Il est ainsi protégé de disparition ou de distorsion, par exemple commerciale. Le résultat est politique aussi : tous les pays concourent à inscrire les éléments saillants de leur culture. Cela converge vers l’idée que les expressions culturelles sont différentes mais égales in fine. Chaque pays apporte sa diversité mais il met ces éléments sur la même table afin qu’ils soient mesurés avec les mêmes instruments. C’est tout à fait l’idée que défend l’Unesco : la diversité des expressions culturelles mais l’unité de l’humanité.
Au delà du plat en lui-même : est-ce l’occasion d’unifier le Maghreb ? Une diplomatie du couscous ?
La tentation est facile d’utiliser ce genre d’expression. Mais en tout état de cause, c’est la preuve que les éléments culturels (ici culinaires mais demain, musicaux ou autres) peuvent transcender les tensions ou les divergences et montrer que les éléments qui nous rapprochent sont plus forts que ceux qui nous divisent. Si le couscous peut être un vecteur diplomatique, pourquoi pas ! A l’Unesco, on a vu quatre ambassadeurs signer le même document et se tenir la main ensemble, c’est une photo qui est bonne à prendre et qui correspond à l’esprit de cette institution : à savoir, bâtir la paix par la culture, la science et l’éducation.
De là à dire que les Maghrébins ne peuvent tomber d’accord que sur des questions de cet ordre là, c’est un pas que je ne franchirai pas. Il y a un enchevêtrement de notre histoire, un passé commun, qui font que les liens sont indéfectibles et très forts. Même si par moments, les aléas et les circonstances peuvent créer des distances ou des tensions mais c’est la nature même des rapports humains.
Pour revenir au couscous, ce plat est antérieur aux Etats eux-mêmes. Il s’agit d’un élément de l’anthropologie maghrébine. Il ne faut pas que les éléments advenus plus tard, politiques ou institutionnels, viennent fragiliser ce qui est plus solide et beaucoup plus profond dans les racines de cette région. Il s’agit d’un marqueur de la maghrébinité si on peut s’exprimer ainsi. Un grand leader politique de mon pays [Bourguiba] avait dit que le Maghreb allait jusqu'où le couscous s'arrête.
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Par le passé, des rapprochements diplomatiques ont commencé par un biais qui pouvait sembler anecdotique, comme la diplomatie du ping pong entre les Etats-Unis et la Chine dans les années 70. Le couscous peut-il avoir ce pouvoir pour le Maghreb ?
Le couscous est un élément qui rapproche les Maghrébins mais il n'est pas le seul. Nous partageons aussi un mode de vie, des dialectes de l’arabe assez proches, un rapport au sport, à l’espace public, un rapport au monde… Tout en ayant chacun nos spécificités. D’ailleurs, le couscous lui-même n’est pas un plat unifié : on ne le prépare pas de la même manière en Tunisie (où l’une des options est de le faire au poisson) ou dans d’autres régions du Maghreb. Et il y a bien quatre pays qui déposent un dossier demandant l’inscription du couscous au patrimoine mondial (Tunisie, Algérie, Maroc et Mauritanie). La Libye pourrait aussi nous rejoindre à terme mais le pays n’a pas ratifié la Convention de 2003 de l'Unesco pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Espérons qu'elle le fasse.
A-t-il été difficile de vous mettre d’accord ?
Il y a eu beaucoup de réunions, je ne saurais pas les recenser et je tiens à rendre hommage aux équipes techniques qui travaillent à la protection et à la mise en valeur du patrimoine. La coordination a été effectuée par l’Algérie mais le rapport final n’a pas vocation à être l’encyclopédie définitive du couscous. Il vise à montrer que ce plat remonte très profondément dans l’histoire et dans la vie quotidienne jusqu'à nos jours : les Maghrébins le préparent très souvent, au moins une fois par semaine. C’est surtout un plat que l’on retrouve dans les grands moments de fête ou de deuil et qui est accompagné à la fois de solennité quand il le faut et de décontraction quand il le faut aussi. C’est le plat des pauvres et des très riches, des villes et de la campagne et c’est en cela qu’il s’agit d’un élément marqueur de l’identité maghrébine.
A l’origine en 2016, seule l’Algérie voulait déposer ce dossier. Ce projet n’avait de sens que s’il était présenté par tout le Maghreb ?
Je ne saurais pas établir l’antériorité de l’idée. Il y avait des idées en Tunisie, au Maroc. L’Algérie a eu l’avantage de proposer sa coordination. Mais cette question n’est pas la chose la plus importante. En revanche, il faut saluer la capacité à transcender les méthodes et les états d’esprit qui peuvent être différents. A l’avenir, on peut imaginer d’autres dossiers maghrébins à déposer en commun.
Le raï par exemple ?
Oui, mais dans ce cas il faudrait ajouter toutes les appellations de ce type de musique traversant le Maghreb et qu’on appelle différemment selon les endroits. Cela peut être aussi des techniques ou des savoir-faire liés à la confection de quelque habit, à la broderie ou encore la musique qui nous vient du legs andalou et que nous avons en commun en Algérie, au Maroc et en Tunisie. Nous avons énormément d’expressions culturelles communes et nous avons l’embarras du choix.
Avez-vous trouvé un accord sur l’histoire et la recette du couscous ?
L’Unesco n’est pas un lieu où l’on établit une version de l’Histoire gravée dans le marbre. Mais en tout état de cause, l’ensemble des équipes qui ont travaillé sur les quatre dossiers différents ont établi l’extrême profondeur historique de ce mets dans les différents pays, qui est antérieur aux Etats eux-mêmes. On peut très facilement le trouver dans les strates berbères de l’ensemble du Maghreb : c’est un plat du désert, des steppes, des reliefs… qui est arrivé ensuite sur les villes côtières. C’est pour cela que l'on trouve des déclinaisons où le couscous devient saucé - avec la tomate -, l’influence méditerranéenne est évidente. On trouve aussi des plats où l’on rajoute des éléments pêchés, poissons ou fruits de mer, qu’on ne voit pas dans le désert. Cela montre aussi la dynamique et la circulation de ce plat à travers la géographie et l’histoire.
Aujourd’hui, le couscous a voyagé : c'est l’un des plats préférés des Français, un plat mondial. L’Unesco est censé le protéger ?
Oui mais cette protection ne se fait pas au sens du droit d’auteur. Le but est de reconnaître son origine et son expression telle que nous la présentons. La Convention de 2003 [qui a créé la notion de patrimoine immatériel) permet à d’autres Etats de rejoindre une inscription s’ils en apportent la preuve technique et scientifique ; ça n’est pas figé. D’ailleurs, le festival international de couscous n’a pas lieu au Maghreb mais en Sicile, qui a connu une présence tunisienne [au IXe siècle], qui venait de Kairouan. Le couscous est parti là-bas et il est revenu, influencé par les traditions culinaires siciliennes. C’est notre histoire de la Méditerranée : un échange d’influences. [ndlr : il existe aussi un festival international en Algérie, dont la deuxième édition a eu lieu en février]