Vidéo. Le paysage intellectuel français s’est-il appauvri depuis l’époque de Sartre et de Foucault ? Pour Christian Salmon, avec l’arrivée des nouveaux philosophes dans les années 1970, c’est aussi l’apparition d’un nouveau phénomène : l’intellectuel médiatique.
Qu'est-ce qui fait autorité aujourd'hui parmi les intellectuels français ? Est-ce le parcours universitaire ? Des ouvrages validés par la communauté scientifique ? Ou au contraire une présence médiatique accrue et une ingérence systématique dans les débats d'actualité ? Christian Salmon, auteur de Storytelling (La Découverte) et éditorialiste à Mediapart, donne son point de vue sur ces nouveaux intellectuels médiatiques.
"L’intellectuel médiatique étant une contradiction dans les termes, c’est la figure même de l’intellectuel qui est en train de se dissoudre. C’est une figure du passé".
1. Ils n’ont plus de champ de compétence
"Sous Sartre, l’intellectuel était celui qui disait le droit pour les autres. C’est l’intellectuel qui intervenait contre les Etats, en fonction de sa propre idéologie. Avec Foucault, on a eu l’intellectuel spécifique, qui s’engage sur des causes qui sont liées à son savoir propre. Quand Foucault écrit Surveiller et punir, sur la société disciplinaire, il s’engage sur la question des prisons en créant le Groupe d’information sur les prisons. Depuis l’intellectuel spécifique de Foucault, on n’a guère que cet intellectuel médiatique".
2. Leur légitimité vient de leur médiatisation
"On est passé de l’intellectuel autorisé, l’auctoritas, à l’intellectuel médiatique, on l’a très bien vu au moment des nouveaux philosophes. On est passé de Bourdieu aux nouveaux philosophes. Ce sont des intellectuels qui s’autorisent non pas de leur œuvre ou de leurs diplômes, mais de leur capacité à provoquer des polémiques, c’est extrêmement dangereux. On s’éloigne de la distinction du vrai et du faux, du réel et de la fiction. Gilles Deleuze disait à propos des nouveaux philosophes, que ce qu’il y a de vraiment nouveau chez eux, c’est le marketing. La production intellectuelle s’aligne sur toutes les autres productions de marchandises et se vend, comme n’importe quelle marchandise, à coup de marketing".
3. Leur engagement est confus
"Avant, il y avait un clivage politique qui structurait les intellectuels de gauche et de droite. Les enjeux ont été bouleversés depuis la fin de la guerre froide. Ce clivage s’est défait et on a vu des intellectuels classés à gauche défendre la guerre en Irak. On a vu des intellectuels classés à droite qui, sur des positions souverainistes, anti-américaines, ont adopté des positions qui auraient pu être celles de Sartre. C’est la confusion, là aussi".
4. Leur nom dépasse leur œuvre
"Les grandes œuvres effacent leurs auteurs. "L’auteur est absent, comme Dieu dans sa création" disait Flaubert, "invisible et présent partout à la fois". La personnalité de l’auteur, son histoire personnelle devient plus importante que l’œuvre, qui se réduit souvent à des articles prolongés. C’est une logique de comment construire une notoriété dans le champ intellectuel à partir de positions semblables à la construction de l’image d’un sportif ou d’un acteur".