La fonte des 220 000 glaciers du monde s'accélère

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La fonte des 220 000 glaciers du monde s'accélère

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La Mer de Glace en février 2020 : ce glacier situé sur l'un des versants du massif du Mont-Blanc ne cesse de reculer, à l'image de tous les autres sur Terre.
La Mer de Glace en février 2020 : ce glacier situé sur l'un des versants du massif du Mont-Blanc ne cesse de reculer, à l'image de tous les autres sur Terre.
© AFP - Ludovic Marin

Les glaciers du monde fondent à cause du réchauffement climatique mais les données sur ce phénomène restaient très incomplètes. Grâce à des observations satellites, une équipe de chercheurs internationaux vient de livrer l'analyse la plus précise de l'évolution des 220 000 glaciers du monde.

Une étude publiée le 28 avril met en lumière l'accélération de la fonte des glaciers sous l'effet du réchauffement climatique. Une dizaine d'organismes internationaux de recherche y ont participé, dont le CNRS en France (avec le soutien du CNES, Centre national d'études spatiales) : ils ont établi la cartographie la plus précise et la plus complète de ce phénomène à ce jour. L'ensemble des 220 000 glaciers de la planète ont été auscultés.

L'étude publiée dans la revue Nature a été chapeautée par Étienne Berthier, glaciologue au CNRS, qui répond aux questions de France Culture.

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A gauche, représentation en fausse couleur des données acquises par les caméras du satellite Terra, au-dessus du champ de glace Ha-Iltzuk (Canada). A droite, cartographie de l’amincissement cumulé de ces même glaciers entre 2000 et 2019, en mètres.
A gauche, représentation en fausse couleur des données acquises par les caméras du satellite Terra, au-dessus du champ de glace Ha-Iltzuk (Canada). A droite, cartographie de l’amincissement cumulé de ces même glaciers entre 2000 et 2019, en mètres.
- Romain Hugonnet / Legos

Quelle méthode avez-vous utilisé pour observer la fonte des glaciers ?

L'étude court sur la période entre 2000 et 2020. Nous avons utilisé des couples d'images stéréoscopiques : deux images de la surface terrestre prises par satellite mais pas exactement du même endroit, avec un léger décalage entre les deux images. C'est ce léger décalage qui nous permet de reconstruire le relief. De même que nos deux yeux nous permettent de voir la réalité en trois dimensions, d'avoir une notion de la profondeur : avec deux images légèrement décalées dans l'espace, on peut reconstruire de manière précise la topographie de la surface terrestre.   

Vous avez pu réaliser une cartographie précise à partir de combien d'images satellites ?  

Nous en avons traité environ 500 000, ce qui fait que pour chaque glacier du globe, on a environ une quarantaine d'observations de leur altitude entre l'an 2000 et 2020 en moyenne. Cela nous permet de reconstruire une série de mesures de l'altitude des glaciers qui nous permettent d'estimer leur changement d'épaisseur et leur changement de volume. C'est un peu l'originalité de cette cartographie de l'ensemble des glaciers du globe qui sont 220 000. L'intérêt par rapport aux autres études, c'est que les incertitudes sont considérablement réduites. La valeur de la perte des glaciers sur les 20 dernières années en soi ne constitue pas une grosse surprise : 270 gigatonnes de glace en moyenne par an. Chaque année, cela représente l'équivalent d'une couche d'eau de 50 cm qui recouvrerait l'intégralité de la France métropolitaine. 

Cette méthode est importante car elle apporte une haute précision dans nos mesures et cela a été une surprise de voir que la perte de masse s'est considérablement accélérée au cours des 20 dernières années. Dans certaines régions, les amincissement ont plus que doublé. D'ailleurs, si le chiffre moyen de perte de glaces entre 2000 et 2020 est de 267 gigatonnes par an, il est passée de 220 gigatonnes au cours des 5 premières années étudiées (2000-2005) à près de 300 gigatonnes par an sur les 5 dernières (2015-2020). L'accélération est rapide, avec des amincissements constatés d'une région à l'autre : par endroit, les glaciers perdent plus d'un mètre par an, quand d'autres régions résistent plutôt mieux.  

Quelles sont les régions du monde  où les glaciers fondent le plus vite ?   

Sur 20 ans, il s'agit de l'Alaska,  de l'Islande, des Alpes et des Andes. Sur des périodes plus courtes (5 ans), on voit que cela varie d'une région à l'autre. 

Par exemple, sur les 5 dernières années, l'amincissement record est mesuré en Nouvelle-Zélande : les glaciers y ont perdu plus de 1m50 en moyenne chaque année. 

C'est l'intérêt de la résolution fine de nos données : pouvoir aller explorer glacier par glacier le taux d'amincissement. Et on voit des glaciers qui s'amincissent extrêmement rapidement dans leurs parties basses, jusqu'à 10 mètres, voire 15 mètres de perte d'épaisseur chaque année, ce qui est vraiment colossal.  

Lesquels ?

Le glacier Upsala en Patagonie (Argentine) par exemple, et un autre qui s'appelle HPS 12, il n'a pas un joli nom mais son amincissement est vraiment très rapide. Il y a aussi un glacier en Alaska qui s'appelle Colombia.

Le glacier Upsala en Patagonie (Argentine).
Le glacier Upsala en Patagonie (Argentine).
- Etienne Berthier

C'est évidemment un effet du réchauffement climatique ?

Oui car on voit que les précipitations et l'accumulation neigeuse ont peu varié. En revanche, la perte de masse des glaciers - et son accélération - est directement liée à l'augmentation des températures. Ensuite, quand on rentre dans le détail région par région, ou qu'on regarde des périodes plus courtes, on se rend compte que les changements de précipitations peuvent aussi jouer un rôle et vont en fait moduler l'effet de l'augmentation de la température. On observe des périodes de sécheresse, où l'accumulation de neige va être réduite, ce qui amplifie les pertes de glace. Mais il y a aussi des périodes où les précipitations neigeuses augmentent et les pertes de masse des glaciers sont alors ralenties.

Ce sont des observations inquiétantes ?

Oui, C'est très inquiétant, d'autant que ces observations reflètent d'autres alarmes sur le front des indicateurs climatiques : les calottes polaires, qui avaient été plutôt stables jusqu'aux années 2000, ont aussi connu une accélération de la perte de leur masse. Tout cela contribue à la hausse du niveau de la mer, qui s'accélère aussi sur la période récente.  

Ces nouvelles observations vont permettre de mieux préciser l'évolution future des glaciers du monde ?

Cela permet d'avoir des scénarios plus fiables de l'évolution des glaciers : 

Des glaciers qui, dans certaines régions, jouent un vrai rôle de château d'eau car ils stockent l'eau en hiver à cause de l'accumulation neigeuse. Et puis, ils rendent l'eau en été, au moment où les populations en ont le plus besoin, où il en faut pour l'agriculture. Donc, ils sont capables de décaler dans le temps la disponibilité de l'eau. C'est ce rôle de château d'eau qui est menacé alors qu'il est vraiment important dans certaines régions arides. Donc il est important de mieux anticiper le moment où il n'y aura plus de glaciers.  

Le glacier Klinaklini en Colombie britannique (Canada).
Le glacier Klinaklini en Colombie britannique (Canada).
- Brian Menounos

Mais que faire puisque ces réserves d'eau douce que constituent les glaciers sont vouées à disparaitre, ou en tout cas à se réduire ?   

Il n'y a pas d'autre solution que d'aller vers une réduction de nos émissions de gaz à effet de serre et donc de limiter l'augmentation de la température. C'est vraiment la seule manière d'essayer de préserver un peu ces glaciers. Sinon, que faire ? C'est une question difficile. On peut espérer stocker l'eau en construisant pleins de barrages. Mais la construction de barrages pose aussi des problèmes. On l'a vu tout récemment avec une catastrophe qui s'est produite en Inde, où un pan de montagne s'est écroulé avec un glacier. Des inondations dévastatrices ont eu lieu et ont détruit des barrages hydroélectriques qui se trouvaient en aval, causant plusieurs centaines de victimes. Ce n'est donc pas forcément la solution d'aller construire des barrages pour remplacer les glaciers, surtout dans les régions sismiques. Réduire nos émissions de gaz à effet de serre est la seule manière pour espérer préserver une part de ce rôle de château d'eau des glaciers et de limiter aussi la hausse du niveau de la mer.   

Quels glaciers sont les plus menacés en premier ?  

Les petits glaciers vont disparaître en premier. Il en reste encore dans les Pyrénées mais d'ici 2030 à 2040, ils auront disparu de cette chaîne de montagne. Dans les Alpes, ils vont résister un peu mieux mais on estime qu'environ 80% à 90% du volume des glaciers alpins aura disparu en 2100, si l'on suit un scénario moyen d'émissions de gaz à effet de serre. 

Et puis, il y a des régions où les glaciers sont beaucoup plus gros en très haute montagne ou dans les régions polaires : ces glaciers résisteront mieux de par leur taille et de par leur localisation dans des régions plus froides. Mais là encore, une bonne partie disparaîtra si l'on n'agit pas : 30 à 40% d'entre eux auront fondu à l'échéance 2100 si on n'agit pas de manière extrêmement rapide et forte sur nos émissions de gaz à effet de serre.