La Forêt de Higas : une forêt comestible pour répondre aux enjeux du réchauffement climatique
Par Annabelle GrelierDemain l'éco. Sur l’idée d’une forêt nourricière, Yoann Lang et Frank Lutic vont planter 20 000 arbres fruitiers et plus de 1 000 variétés d’espèces végétales sur une parcelle de 7 hectares dans les Landes à Estibeaux. L’objectif est de créer un écosystème autonome, sans intrants et sans arrosage.
Ils y tiennent à leur statut d’exploitant agricole, d’autant que cela n’a pas été simple à obtenir ne pouvant entrer dans aucune case déjà existante à la Chambre d’agriculture des Landes. Une toute nouvelle catégorie vient donc d’être créée pour inscrire les forêts comestibles au registre faisant de Yoann Lang et son associé Frank Lutic aujourd’hui les premiers à cultiver à titre professionnel ce nouveau genre d’exploitation agricole. Des pionniers qui espèrent à travers leur projet encourager de nombreux agriculteurs à se lancer à leur tour car passée la complexité administrative, il y a bel et bien derrière cette initiative une innovation agro-écologique.
Reportage en forêt de Higas par Annabelle Grelier
3 min
Un projet en open source
S’inspirant du fonctionnement d’une forêt, il s’agit de faire pousser des arbres fruitiers, des arbustes comestibles, des plantes vivaces et aromatiques et maraîchères ou encore des champignons afin d’obtenir une production alimentaire diversifiée et abondante.
Au lieu d’avoir 7 hectares avec une seule espèce, on va planter au moins un millier de variétés différentes sur notre parcelle. L’avantage de planter serré et jamais la même variété l’une à côté de l’autre est aussi d’aider la nature à mieux se défendre. On plante par exemple un cerisier entre deux pommiers, si le premier pommier est attaqué par une maladie ou un ravageur, le cerisier à côté de lui empêchera que cela se propage au deuxième.
En associant d’anciennes pratiques paysannes aux connaissances scientifiques récentes, la forêt de Higas contribuera à faire progresser l’agriculture de demain.
Ce n’est pas la première forêt comestible en France mais l’une des plus grandes exploitée de façon professionnelle et ses propriétaires ne demandent qu’à faire des émules. Ils partageront leur expérience, leur méthode jusqu’à leur compte d’exploitation en parfaite transparence. "Tout sera accessible en open source" assure Yohann Lang qui souhaite que son exploitation devienne un véritable laboratoire d’expérimentation des différentes façons de cultiver et la preuve qu’elle peut être rentable et même créer de l’emploi.
Circuit court et autonomie alimentaire
Il faudra bien quelques années, trois ou cinq ans pour que les arbres fruitiers produisent alors en attendant dès ce printemps 2 hectares de la parcelle seront consacrés au maraîchage. Yohann Lang emploiera différentes méthodes de plantation comme les cultures en butte, sur paille, sous broyat de bois et d’autres inspirées de la permaculture. L’ensemble du projet est pensé pour ne pas avoir à utiliser d’intrants, produits phytosanitaires et engrais et sans avoir besoin d’arroser.
L’année dernière, pour la culture de nos tomates, nous avons couvert la terre de cinquante centimètres de broyat et on n’a absolument pas arrosé de la saison. Pourtant, nous avons subi quatre épisodes caniculaires consécutifs mais nos plants n’en ont pas souffert et ils ont produit comme d’habitude.
Des tomates, des concombres, des courgettes, des salades, des radis, des fraises et tous les légumes que l’on a habitude de voir dans le Sud-Ouest de la France seront cultivés dans le but d’approvisionner la population locale des 20 kilomètres environnants.
Car le premier mot d’ordre des deux compères est le circuit court pour limiter leur empreinte carbone. Quand la forêt de Higas donnera tout son potentiel, l’objectif serait même de pouvoir assurer l’autonomie alimentaire en y ajoutant des produits plus exotiques qui font aujourd’hui partie de notre quotidien comme le café, le thé, les avocats et pourquoi pas des bananes !
Nous allons installer des verrières équipées de panneaux solaires pour aussi produire des légumes et des fruits que nous avons l’habitude d’importer. Ce sont des produits qui traversent le globe et qui sont cultivés on ne sait comment et dans quelles conditions alors que ce sont des produits que l’on peut cultiver aussi chez nous. Ce sont en tous cas de nouvelles voies à ouvrir.
Il est prévu également de faire un peu d’élevage sur le domaine : des volailles et des poules, quelques brebis et même des bovins mais tout cela progressivement sans logique de rendement.
Les enjeux du réchauffement climatique
L’essor de l’agriculture bio et de la permaculture en France a mis du vent dans les voiles au projet de Yohann Lang et Frank Lutic qui ont récolté plus de 20 000 euros lors de leur dernière levée de fonds participative. Pour autant, la forêt de Higas ne fait pas l’unanimité dans le village et le maire d’Estibeaux, agriculteur conventionnel, n’a pas reçu leur initiative avec beaucoup d’enthousiasme. Mais Yohann Lang peut compter sur la bienveillance de son voisin le plus proche : le pépiniériste Antoine Scrive, spécialiste du lagerstroemia, le lilas des Indes. Il y a quelques années, il avait connu de gros problèmes d’oïdium sur ses plantes, que d’une façon conventionnelle avec des produits phytosanitaires il n’arrivait pas à résoudre. Sur les conseils de son célèbre confrère Jean Thoby, expert mondial du camélia installé tout près à quelques kilomètres à Gaujacq, il a pu en venir à bout grâce à un traitement d’eau dynamisée. Son objectif d’ici cinq ans est de pouvoir se passer totalement de produits phytosanitaires, convaincu que l’avenir de l’agriculture passera par des approches du végétal innovantes.
D’ailleurs, les forêts comestibles ou les jardins comestibles pour les plus petites surfaces, comptent de plus en plus d’adeptes dans l’hexagone. Des expérimentations ont eu lieu dans plusieurs régions, l’une des premières menée par l’institut Sylva ayant débutée en Normandie en 2017 à la Ferme du Bec Hellouin. Des grands noms de l’agronomie comme celui de Marc Dufumier, professeur honoraire à AgroParisTech, soutiennent également ces projets estimant qu’ils répondent parfaitement aux enjeux du réchauffement climatique.
Yohann Lang n’est pas fils d’agriculteur mais il nourrit depuis son enfance une passion pour la terre et les potagers. Sans apriori, il aime a essayer de nouvelles pratiques agricoles comme par exemple la méthode Miyawaki du nom d’un botaniste japonais expert en écologie végétale qui consiste à planter de façon très dense.
Notre exploitation fonctionnera selon le principe des strates de végétation c’est-à-dire qu’il y a une première couche végétale pour la fertilisation des sols puis des buissons comme fixateur d’azote et sur les strates hautes, des arbres. On favorise la biodiversité tout en luttant contre la pollution et l’érosion des sols.
Selon le modèle d’affaire que Yohan Lang a planifié, il faudra sur l’exploitation des agriculteurs, un apiculteur, des transformateurs à la ferme, une activité qui contribuera à créer de l’emploi en milieu rural, il prévoit 7 à 8 embauches dans les prochaines années.