Le recours quasi-systématique aux cartogrammes dans l'exposition Territoires 2040 est une innovation majeure. Un cartogramme déforme le fond de carte proportionnellement au phénomène qu'il cherche à reprénsenter. Si l'Île-de-France compte 20% de la population française, alors elle occupera 20% de la superficie de la carte.
Un cartogramme ne cherche donc pas simplement à localiser une donnée statistique selon une métrique euclidienne, mais à rendre compte visuellement du phénomène observé par une mesure des distances qui lui est spécifique. Karine Hurel explique l'intérêt de recourir à tout le spectre cartographique.
Globe vous invite à comparer le diagnostic en cartogrammes de la France de 2012 et ceux réalisé par la même Datar en 2000 et en 1971 avec des cartes classiques et conventionnelles.
Retrouvez ici l'émission Planète terre du 21 mars 2012 en écho à l'exposition Territoires 2040 , avec Karine Hurel et Michel Lussault.
Trouvez l'actualité géographique de la campagne présidentielle dans le billet de Globe, "Ni Est, ni Ouest : F. Hollande et N. Sarkozy labourent les terres qui sont à leur droite"
L'urbain français métropolisé dans la mondialisation par
Michel Lussault et
Karine Hurel
De la carte au cartogramme : de l'imaginaire rural à l'imaginaire urbain
Voici deux cartes qui traitent le fait métropolitain de deux manières différentes. La première est un cartogramme qui représente la France en 2012 dans le rapport et l'exposition Territoires 2040 par la Datar. La deuxième est une carte conventionnelle datée de 1971. Elle est issue du
« Scénario de l’inacceptable », un rapport de la Datar, présidée alors par Jérôme Monod : il imagine la France de l’an 2000 à partir du diagnostic porté sur la France de 1970.


"La France est sans conteste insérée dans cette dynamique de la promotion mondiale de l’urbain, qui bouleverse ses cadres d’habitat. Il n’est pas inutile de le rappeler dans un pays qui reste marqué par des idéologies politiques et des imaginaires sociaux manifestant leur méfiance à l’encontre de l’urbanisation, souvent présentée comme destructrice – en particulier de cette ruralité qui constitue encore un des fondements de notre propre image nationale." (Michel Lussault)

En 1971, Jérôme Monod publie un portrait repoussoir de la France de l'an 2000. Ce "scénario de l’inacceptable", comme il l'intitule, a la particularité de distinguer quatre sociétés : urbaine, rurale ; industrielle et agricole. Un paradigme qui n'est en 2010 plus d'actualité quand Michel Lussault explique que 97% de la population française est urbaine.
Pourtant, dans les années 1970, le choix d'une cartographie classique et conventionnelle est la manifestation d'un sur-moi ruraliste. Le fait urbain métropolitain était déjà plus que prégnant. Néanmoins, il est graphiquement minimisé : il est indiqué par les zones de polarisation, cartographié sur la carte par les hachures bleues qui le noie. De plus, la carte met davantage en valeur le fait non-métropolitain : c'est le phénomène non-représenté sur la carte - le blanc - qui occupe sur celle ci le plus d'espace, comme s'il était difficile d'accepter, d'annoncer et de représenter la fin de la ruralité dès 1971.
L'inconscient ruraliste et méfiant à l'égard du fait métropolitain se traduit aussi dans le registre utilisé tout au long du rapport. La société urbaine est ainsi caractérisée : « surpopulation, engorgement, inaccessibilité du centre, urbanisme sauvage, ségrégation sociale », tandis qu’un soupçon de nostalgie lyrique et bucolique pointe lorsqu’on en vient à déplorer le dépérissement de la société rurale : « elle n’avait aucun moyen de résister à la transformation de la société agricole et à la pénétration de la société urbaine. » Ce lent et difficile travail de deuil d'une France dont l'essence serait rurale se manifeste aujourd'hui encore (pas plus tard que lundi dernier dans l'éditorial de Population et avenir , "un meurtre géographique : la France rurale" (non disponible en ligne) par Gérard-François Dumont !
Le cartogramme permet donc d'exprimer dans le discours cartographique la position de Michel Lussault et de ses collègues du premier des sept groupes de chercheurs de Territoires 2040 : "Ainsi, dans un pays comme la France, le mouvement d’urbanisation est si accompli qu’on pourrait estimer que le rural n’existe plus à l’heure actuelle en tant que modalité spécifique d’organisation et de fonctionnement d’une société. Bien sûr, le rural et la ruralité sont toujours présents, mais comme des catégories de discours – politique, patrimonial, culturel. Les espaces de ruralité sont des survivances très artificiellement entretenues."
Les espaces de faible densité par
Laurence Barthe et
Karine Hurel
L'avantage du cartogramme
"les epaces de faibles densité" par rapport à la carte des densité de l'Insee, est de mettre en avant la corrélation entre la densité et l'espace occupé. Plus le nombre d'habitant au km² est petit (vert foncé), plus cet espace est vaste sur la carte. De fait les villes disparaissent presque totalement alors qu'elles restent encore très visibles sur la carte de l'Insee. Ce cartogramme est le négatif du cartogramme précédent sur le fait métropolitain. Ces deux représentations de la France sont tout aussi légitimes l'une que l'autre. Mais, à la différence de la carte conventionnelle Insee qui postule la fiction d'une France objectivement là, elles annoncent la couleur du lieu d'où elles parlent (c'est le moment où jamais d'emprunter à Roland Barthes son fameux énoncé sur l'analyse textuelle ;-)



Pour aller plus loin :
Retrouvez l'intégralité de
Territoires 2040 :
- La démarche
Sur la question cartographique
"la carte en débat", café géographique, 18 janvier 2011
Cartes et carto, clioweb
La cartographie dans les manuels scolaires est décortiquée sur clioweb
Carto et géo, un divorce ?, clioweb
Géoclip et langage carto, clioweb
Réécoutez en ligne l'émission de Planète Terre du 25 janvier 2012 "La France mise en relief : le choix des cartes" consacrée à l'exposition la "France en relief"
Lisez le billet de Globe "Petit historique des cartes IGN géantes (1990-2012)"
**Sur l'histoire de la Datar et les rapports précédents **
Un historique de la Datar par elle-même
Jean-Luc Bodiguel « La DATAR : quarante ans d'histoire »,Revue française d'administration publique 3/2006 (no 119), p. 401-414.
Aménager la France de 2020 : mettre les territoires en mouvement . Sous la direction de Jean-Louis Guigou, 2002
Une image de la France en l'an 2000 : scénario de l'inacceptable , La Documentation Française, 1971