
Il a suffi que, à Tbilissi, le gouvernement tente de faire passer en force sur un projet de loi sur "les agents de l’étranger" pour que la rue géorgienne voie rouge. Deux jours de manifestations auront suffi à enterrer le texte. Mais le malaise reste patent, et l’influence russe bien comprise.
Le texte présenté le mardi 7 mars 2023 au parlement géorgien stipulait que toute organisation financée à plus de 20 % par des non-nationaux devait être considérée comme un "agent de l’étranger". Une grammaire très inspirée par le Kremlin et par une loi russe de 2012, mais surtout un outil, pour le gouvernement de Tbilissi, clairement destiné à intimider les médias, les ONG et les partis politiques d'opposition.
La rue géorgienne ne s’y est pas trompée. Après deux jours de manifestions et de combats souvent très violents avec la police anti-émeutes et d’arrestations, les manifestants ont eu raison du projet gouvernemental. Mais qu’on ne s’y trompe pas : si la pression est retombée, et si les personnes incarcérées ont été libérées, la patte de l’ours russe est toujours posée sur ce voisin caucasien, qui semble désormais partagé entre un désir d’Europe et le souci de pacifier ses relations avec Moscou.
La présidente géorgienne Salomé Zourabichvili, une jeune diplomate française naturalisée géorgienne, a pris la défense des manifestants. Depuis New York, où elle était en visite officielle, elle a salué sur la télévision de son pays ceux qui, pour elle, "représentent aujourd’hui la Géorgie libre, qui voit son avenir dans l’Europe et qui ne laissera personne lui voler cet avenir". Un tropisme qui n’est pas nouveau : déjà, en 2005, lorsqu’elle était ministre des Affaires étrangère dans le gouvernement de Mikheil Saakachvili, Salomé Zourabichvili militait pour l’intégration à l’UE.
Le symbole Maidan
Rêve géorgien, en revanche, le parti historiquement pro-européen au pouvoir, dont elle était proche, a pris quelque distance avec l’Ouest. L’actuel Premier ministre Irakli Garibachvili en est issu. Et c’est lui qui portait le projet de loi contesté. Avec la guerre en Ukraine, le discours du Rêve géorgien a changé. Pour les responsables du parti, la 'révolution de Maidan' – symbole, en 2014, de l’émancipation des Ukrainiens à l’égard de la Russie – n’est plus le rêve européen de toute l’Europe de l’Est. Elle a coûté à l'Ukraine "20 % de son territoire", constate-t-il.
Entre les aspirations des Géorgiens, clairement européennes, et les contraintes du pouvoir en place, un fossé se creuse. Le parcours du fondateur de Rêve géorgien, à une époque proche de Vladimir Poutine, n’y est sans doute pas pour rien. S’il demeure très discret, l’oligarque Bidzina Ivanchvili a fait sa fortune en Russie. De quoi alimenter les doutes de la rue sur son indépendance à l’égard de Moscou.
Dans le même sens que la Russie, qui voit à Kiev "la main des États-Unis" et déplore un "sentiment anti-russe", le Premier ministre Irakli Garibachvili dénonce "des rumeurs de tentatives de coup d'état venues d’Ukraine". Les premières lignes d’un scénario malheureusement bien connu.