"La gouvernance, l'organisation et le financement de l'audiovisuel public sont à bout de souffle"
Par François-Pierre NoëlEntretien. Sénateur Les Républicains, Jean-Pierre Leleux est aussi membre de la commission culture au Sénat. En 2015, il a rendu un rapport, avec le sénateur André Gattolin (LREM), sur un nouveau modèle de financement pour le service public. Selon lui, il est important d'agir dès le premier semestre 2018.
Le débat sur l'audiovisuel public est au cœur de l'actualité. Moins de moyens, une réorganisation des équipes, des changements dans la direction des chaînes, les chantiers sont nombreux. Jean-Pierre Leleux milite depuis des années pour plusieurs de ces changements. Le sénateur LR des Alpes-Maritimes avait rendu un rapport en 2015, avec André Gattolin (LREM), sur le financement de l'audiovisuel public. Début octobre, il a envoyé une lettre à la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, pour demander une réforme de la télévision et la radio publique_" dès le premier semestre 2018"_.
On parle beaucoup d'économies actuellement, 80 millions d'euros dès l'année prochaine pour l'audiovisuel public. Mais le chantier n'est pas simplement financier selon votre rapport, il est aussi systémique. Que faut-il changer dans l'audiovisuel public ?
La gouvernance, l'organisation et le financement de l'audiovisuel public me semblent, aujourd'hui, au niveau structurel, à bout de souffle. Au fur et à mesure des années qui sont passées, on a le sentiment que l'adaptation de l'audiovisuel public au monde de l'audiovisuel national, européen, n'a pas fait les pas suffisants pour affronter "cette tempête". Je préconise une nouvelle organisation du service public. Nous estimons aujourd'hui que les collaborations entre les quatre membres de l'audiovisuel public (Radio France, France Télévisions, l'INA et France Médias Monde) ne sont pas suffisantes. Aujourd'hui, il faut donner plus de puissance, plus de force et une meilleure synergie entre ces quatre acteurs, au service des citoyens. Prioritairement, il faut redéfinir le périmètre du service public (...), comment son message, son image, sa ligne éditoriale se distingue-t-ils des autres médias ? C'est une nécessité.
Concrètement, à quoi doit ressembler l'audiovisuel public après cette "future" réforme ? Comment l'imaginez-vous ?
On a toujours dit que l'audiovisuel public doit "informer, éduquer et distraire". Mais on se rend compte que les chaînes privées font à peu près la même chose. Il faut aller plus loin dans l'utilité sociale du service public. Pourquoi paye t-on pour l'avoir ? C'est une question importante et les notions d'élévations des esprits par la culture et de la citoyenneté sont des choses à redéfinir. S'il ne le fait pas, l'audiovisuel public risque de perdre en adhésion populaire. Aujourd'hui, il doit s'imposer comme une nécessité et un besoin, dans un monde où les médias privés sont de plus en plus nombreux. Ces derniers peuvent être soumis à une certaine pression économique qui impacte la qualité des programmes, ce qui ne doit pas être le cas du service public.
On parle de "réformer" l'audiovisuel public depuis des années. Est ce que cette fois-ci, c'est possible ? Peut-on, réellement, réformer les télévisions et les radios publiques ?
C'est nécessaire ! Si il y a des réticences sur cette réforme et que l'on reste dans le même système, l'audiovisuel public risque de mourir. Il risque de se faire recouvrir par ce qui se fait ailleurs. La télévision, par exemple, est en train de complètement évoluer, elle est appelée à muter totalement. L'époque où le programmateur décidait du jour, de l'heure et du contenu que les gens devaient écouter, c'est terminé. Aujourd'hui, c'est le citoyen qui va décider, quand, à quel moment et quel contenu, il va aller chercher. C'est le monde à l'envers ! Si l'audiovisuel public ne comprend pas cela, c'est qu'il a une génération de retard.
Vous voulez dire que l'audiovisuel public n'est pas adapté à ce nouveau mode de consommation ?
Selon moi, pas encore. On sent que la prise de conscience est là, mais il faut aller beaucoup plus loin. Des plateformes sont déjà mises en place (pour France Télévisions notamment), mais il faut s'adapter encore davantage et je souhaite que l'audiovisuel public soit uni pour être plus puissant, plus entendu et plus recherché par le citoyen. Il faut que l'on mette peut-être moins de moyens dans les coûts structurels et plus d'argent dans la production de sujets ou d'émissions. Parce que c'est ça qui va faire le choix, c'est le contenu.
Vous avez dit que vous souhaitiez que "l'audiovisuel public soit uni". Dans vos différents discours, vous souhaitez un changement dans la gouvernance de l'audiovisuel public, que préconisez-vous ?
Oui, je souhaite un rapprochement étroit entre ces quatre acteurs de l'audiovisuel public. Je pense qu'il faut un conseil d’administration unique et un seul président. Je ne dis pas qu'il faut fusionner les chaînes de télé ou de radio. On doit maintenir l'identité de chacune d'entre elles. Ce conseil d’administration unique doit nommer le président (aujourd'hui il est nommé par le CSA). Ce "fameux" conseil doit être composé de professionnels, même si, bien entendu, l'Etat, qui est l'actionnaire unique, doit être représenté. Mais par un seul organisme qui serait une agence des administrations extérieures de l'Etat. Il faut simplifier la relation entre la tutelle et les managers de l'audiovisuel public.
On annonce des économies, à hauteur de 80 millions d'euros en 2018 pour l'audiovisuel public. C'est un sujet délicat, surtout pour les patrons de chaînes qui doivent trouver où faire des économies. Que doit-on réduire selon vous ?
Quand je lis le rapport de la Cour des comptes de l'an dernier, je vois qu'ils ont identifié plusieurs "gisements" d'économies potentielles. Déjà, il faut augmenter les revenus, il ne faut pas supprimer la création française dans les séries par exemple. Il faut les développer et mieux vendre ce que l'on produit à l'étranger. Ensuite, il faut réformer la contribution à l'audiovisuelle public (CAP). Ceux qui doivent la payer aujourd'hui sont ceux qui ont un "simple" téléviseur. Or, on utilise désormais des tablettes, des smartphones qui ne sont pas fiscalisés. Tout le monde a aujourd'hui un écran mais pas forcément de téléviseur. L'autre source de revenus potentiels, c'est la publicité. C'est un sujet qui fait débat mais il faut envisager de la retirer dès que ce sera possible. Je pense que l'audiovisuel public doit se différencier par rapport aux médias privés grâce à cela.