
Peu connu du grand public, le tricentenaire de sa naissance est peu médiatisé.Pourtant, l'Abbé de l’Épée est un homme clé dans la vie des sourds.Précurseur d'une langue officiellement reconnue en 2005 et qui a encore bien des difficultés à être enseignée.Quand elle transmet une culture insoupçonnée.
C'est un monde méconnu, peut-être tabou et qui fait encore peur.
D'après les évaluations officielles, 6 millions de Français sont sourds mais de différentes façons : 80% sont des personnes âgées devenues sourdes, les malentendants et les 500 000 "signants".
Beaucoup ont célébré plus spécialement cette semaine le tricentenaire de la naissance de l'Abbé Charles-Michel de l'Epée (vidéo ci-dessous). Un personnage fondateur qui a institutionnalisé en particulier auprès des pauvres la Langue des Signes Française, interdite jusqu'à la fin des années 70 ! Car à partir de 1880, c'est "l'oralisme" qui a été imposé, pour que les sourds parlent et surtout lisent sur les lèvres.
Une langue et non un langage, avec son lexique et une grammaire propres. Comme il en existe des dizaines pour les sourds du monde entier.
Aujourd'hui, sa visibilité s'améliore, par exemple dans les médias ou les musées. Beaucoup grâce au site d'information Websourd, qui prépare une webtv, ou au CSA qui oblige les chaînes jeunesse à diffuser une fois par semaine une émission d'apprentissage de la LSF et un programme traduit.
Mais dans le même temps, 1% seulement des enfants sourds peuvent réaliser tout un parcours scolaire adapté en LSF !

Un problème majeur selon Ronit Leven, de l'Académie de la Langue des Signes Française, malgré la loi de 2005.
Elle pointe "un lobbying médical important pour prendre en charge la surdité d'un point de vue rééducationnel" et interpelle le gouvernement. Mardi pourtant, Aurélie Filippetti déclarait que "La langue des signes a désormais droit de cité. C'est une langue à part entière, une langue de France - je le répète solennellement au nom du gouvernement -, qui contribue, à ce titre, à son identité et à son rayonnement", ajoutait la ministre, rappelant que "la loi garantit en principe, pour tout élève concerné, la possibilité d'en recevoir un enseignement".
Sauf que Ronit Leven doit se battre pour l'éducation bilingue de son fils :
Ronit Leven, de l'Académie de la Langue des Signes Française
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Avec une situation plutôt favorisée à Paris, mais moins en province, même si cela s'améliore explique Marie Hure, enseignante depuis 2 ans dans un établissement médico social spécialisé pour jeunes sourds de Canteleu, près de Rouen :
Autre grand problème : le manque d'interprètes
Aujourd'hui, 400 diplômés en exercice pour des besoins estimés à 3.000 ! Le métier s'est récemment professionnalisé, mais les promotions dans les 5 universités qui délivrent des masters sont limitées et la formation accessible aux Bac +3 dure deux ans.

Expert en langue des signes, Rachild Benelhocine l'a enseignée pendant 30 ans auprès d'élèves comme de futurs interprètes. Il évoque cette pénurie que déplorent les associations comme l'AFILS (des interprètes et traducteurs en LSF) :
Écouter
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Rachild Benelhocine qui aimerait au nom de la communauté sourde que les sourds soient réellement considérés comme des citoyens à part entière, y compris chez le médecin :
Rachild Benelhocine, enseignant en langue des signes
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Une culture insoupçonnée
La comédienne Emmanuelle Laborit, première personne sourde récompensée d'un Molière, a fait et fait énormément pour la (re)connaissance d'une langue dont elle est l'ambassadrice. Par le théâtre, elle qui dirige l'International Visual Theatre, le cinéma ou la télévision.
Pourtant, mardi, c'est une autre Emmanuelle, distinguée à ses côtés des Arts et Lettres, que la presse était avant tout venue voir : Emmanuelle Béart. L'"arrière-petite-nièce de l'Abbé de l'Épée" comme l'a baptisée Aurélie Filippetti, n'en a pas pris ombrage. Elle s'est dite "très honorée", y voyant avant tout une reconnaissance très importante pour toutes les personnes malentendantes. Mais "Le combat des sourds est loin d'être réglé", a-t-elle toutefois souligné. Quand la ministre a estimé que "la langue des signes participe de la pluralité culturelle de notre pays", avec pour "mérite principal de permettre l'accès à la culture et de constituer ainsi un instrument d'émancipation".
Mais cette langue est déjà en elle-même une culture, via par exemple son argot, raconte Rachild Benelhocine :
L'argot sourd, par Rachild Benelhocine, enseignant en langue des signes
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Une langue pour des pièces, des contes, de la poésie, des bandes dessinées, des films mais aussi des oeuvres comme celle de l'artiste "surdiste" Arnaud Balard, également chroniqueur dans un magazine culturel passionnant : Art'Pi. Son hors-série gratuit exceptionnel à l'occasion du tricentenaire de la naissance de l'Abbé de l'Epée s'ajoute aux 600 documents réunis jusqu'à lundi soir à la Bibliothèque publique de Beaubourg, à Paris. La BPI expose "A pleines mains" à la demande de la Fédération nationale des sourds de France et dans le cadre du Mois Extra-Ordinaire de Paris.

L'occasion dans un lieu de culture important (5.000 lecteurs par jour) de déplacer la réflexion et de passer l'invitation à découvrir cette langue de la sphère du handicap à l'univers culturel. Précisions et premier bilan d'Hélène Deleuze, bibliothécaire à la BPI en charge du projet :
Hélène Deleuze, de la BPI de Beaubourg, au sujet de la langue des signes et d'"A pleines mains"
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Etre sourd. Dossier de "De Ligne en ligne", le magazine de la BPI
300 ans de la naissance de l'Abbé de l'Epée
Site spécial réalisé par la Fédération Nationale des Sourds de France.
Des signes et des mots. Chroniques d'un interprète en langue des signes française
Par Stéphan Barrère.
Art'Sign. Association culturelle autour de la Langue des Signes
Emploi et handicap : le cumul des difficultés. Pixel
Un reportage multimédia réalisé par Isabelle Lassalle il y a quelques jours.