La mère célibataire a longtemps incarné la figure de la femme fautive, aujourd’hui elle aurait plutôt tendance à être le modèle de la femme courage.
La figure de la mère célibataire est souvent utilisée en politique, comme l'a fait par exemple Emmanuel Macron lors de son allocution télévisée du 10 décembre 2018, en plein mouvement des "gilets jaunes" : "la mère de famille célibataire, veuve ou divorcée, qui ne vit même plus. Je les ai vu ces femmes de courage" commentait le président.
Plus récemment, c'est une chroniqueuse qui, début décembre sur LCI, tenait des propos accusateurs envers une femme qui avait interpellé le président sur sa situation précaire. Julie Graziani déclarait ainsi que "avec deux enfants, [...] seule, [...] au Smic. Si on est au Smic, il ne faut peut-être pas divorcer non plus dans ce cas-là."
La femme qui a péché
Historiquement la mère célibataire incarne le péché, nous explique l'historien Antoine Rivière. Certaines sont veuves mais pour la plupart, il s’agit de grossesses hors mariage.
On devient fille-mère, en réalité parce qu’on est une jeune femme, qu’on fréquente un garçon de son village qui promet plus ou moins le mariage. Beaucoup de ces affaires-là, lorsque la jeune femme tombe enceinte, se résolvent par le mariage. En revanche, celle qui est “délaissée” devient mère en dehors du mariage, ce qui est véritablement perçu comme une attaque à cette institution fondamentale qu’est le mariage et la famille autour du couple marié, qui est pensé à l’époque, y compris par les hommes politiques, comme le pilier sur lequel s’appuie la société. Et donc tout ce qui vient miner ce pilier de la famille, fondé autour du mariage, est perçu comme un élément pouvant mettre à mal l’ensemble du corps social.
Antoine Rivière
En remettant en cause l’ordre social, elles jettent le déshonneur sur leur famille, dont elles sont parfois chassées et l’abandon d’enfant est courant.
Là, où on la rencontre le plus fréquemment cette figure de la fille-mère, c’est dans les grands romans du XIXe. En particulier dans ces romans qu’on appelle naturalistes, évidemment il y a Zola dans Pot-Bouille, par exemple. Mais c’est récurrent, on les trouve chez Jules Renard, chez Maupassant aussi on a des figures de filles-mères assez mémorables.
Antoine Rivière
La mère célibataire devient une figure culturelle
En 1912, une loi permet aux mères célibataires de contraindre le père à reconnaître leur paternité : les mères célibataires ne sont alors plus les seules fautives.
Ça ne change pas grand chose concrètement, au sort des milliers de mères célibataires à l’époque qui appartiennent à des milieux populaires et qui ne sont pas coutumières des procédures judiciaires. Mais, symboliquement, ça change quelque chose parce que pour la première fois les parlementaires disent : “Il faut en finir avec l’impunité des séducteurs".
Antoine Rivière
Le tournant de la Première Guerre mondiale
Face à la mort de plus de 1 million de jeunes hommes, la morale s’efface au profit de la reconstruction démographique de la France.
Les mères célibataires ont intégré l’idée, qu’elles avaient d’une certaine manière le droit à une forme de solidarité nationale, sous la forme de ce qu’on appelle les secours de filles-mères.
Antoine Rivière
Les femmes qui s'excusaient auparavant d’abandonner leur enfant, revendiquent à présent le droit à les garder, comme dans cette lettre à l’Assistance publique :
Il me semble qu’un pays aussi civilisé comme la France peut faire mieux que de m’obliger, faute de ressources, à abandonner mon enfant.
Marie-Louise D. 1923, lettre à l'Assistance publique
En parallèle, de plus en plus de mères célibataires exigent un soutien du père. La morale évolue doucement.
C’est l’apparition, de plus en plus nombreuse, de séparation de couples légitimes. C’est une nouvelle problématique, mais qui apparaît dès l’entre-deux-guerres. C’est-à-dire, des femmes qui se retrouvent seules, non pas parce qu’elles ont fauté mais parce qu’elles ont divorcé.
À partir des années 1960, avec la généralisation des divorces de plus en plus de femmes deviennent mères célibataires et incarnent une forme de précarité.
Néanmoins, il faut souligner que depuis quelques années, il y a une figure particulièrement médiatique, c’est la mère qui se retrouve seule avec ses enfants et qui assume à tout point de vue. C’est une bonne mère, c’est une femme qui a réussi à faire sa carrière, qui ne sacrifie rien. Mais ça ne renvoie pas à la réalité sociologique du célibat maternel aujourd’hui.
Antoine Rivière