La mission Lescure ou la difficile adaptation de la culture au numérique
Par Abdelhak El Idrissi

Tout le monde s'accorde sur le constat : la politique culturelle française, basée sur des exceptions dans son fonctionnement et son financement, est profondément remodelée par les usages en ligne. Les relations entres les acteurs du système ont changé : clients, créateurs, distributeurs essaient de conserver ou de prendre des positions avantageuses.
Il devient donc impossible de satisfaire tous ces acteurs.
Ce que ne cherche pas à faire la mission "Culture-Acte2", dite mission Lescure, qui ambitionne plutôt de :
faire dialoguer les créateurs et leurs publics, instaurer la négociation et la construction permanente entre industries culturelles et industries numériques.
En marge de la présentation du rapport, les auteurs ne cachent pas qu'il y aura des déçus : "il y a des propositions qui satisferont les uns et qui mécontenteront les autres, (…) l'ensemble sera basé sur de nouveaux équilibres" prévient Jean-Baptiste Gourdin, le coordinateur de la mission Lescure.
Les 80 propositions concernent trois thèmes centraux :
- L'accès des publics aux œuvres et l'offre culturelle en ligne
- La rémunération des créateurs et le financement de la création
- La protection et l'adaptation des droits de propriétés intellectuelle
Pierre Lescure, invité des Matins de France Culture Ainsi les membres de la mission Lescure cherchent à la fois à sécuriser les revenus des créateurs, à leur éviter le pillage de leurs œuvres, et à ménager les internautes en "assouplissant" la lutte contre le téléchargement, avec la suppression de la Hadopi et le développement d'offres légales attractives.
Accès des publics aux œuvres et offre culturelle en ligne
Comment expliquer aux internautes qu'ils ne doivent pas télécharger illégalement des contenus culturels, alors que les alternatives, les offres légales, sont très mal adaptées à la demande.
Le rapport Lescure confirme que :
l'offre culturelle en ligne peine toujours à satisfaire les attentes, très élevées, des internautes.
Les films et les séries télévisées sont de bons exemples : les fans de séries américaines doivent attendre au moins un an avant d'accèder légalement à une série, et parfois ils doivent se contenter de la version doublée en français.
Le rapport fait donc plusieurs propositions dont la plus importante est la modification de la chronologie des médias : raccourcir les délais entre la sortie d'un film au cinéma et sa diffusion à la télévision ou sur les plateformes de vidéos à la demande (VàD), pour passer de 36 à 18 mois. Et également raccourcir les délais pour les séries télévisées étrangères.
Le rapport Lescure prône même la gratuité pour une partie des offres.
Le rapport n'oublie pas d'alerter sur le retard pris par les entreprises françaises en matière d'offre légale en ligne et prône, par le biais fiscal et légal, de faire émerger des entités capables de réfléchir en terme de diversité culturelle, en plus de la seule rentabilité produits.
Plus généralement, il est demandé au gouvernement français de veiller à maintenir une vraie exception culturelle au niveau européen et mondial :
Les négociations commerciales à venir, et notamment celles qui visent à la conclusion d’un partenariat transatlantique entre l’Union européenne et les Etats-Unis, ne doivent pas être l’occasion d’une remise en cause de ces principes. Les services audiovisuels doivent rester exclus, de manière absolue et inconditionnelle, de tout engagement de libéralisation .
Rémunération des créateurs et financement de la création
C'est sur ce volet que se tendent les relations entre acteurs.
Le passage du marché de la culture dans le monde numérique a modifié les rôles, changéles positions, et transféré la valeur.
Schématiquement, les industries culturelles historiques, créatrices de contenus, se plaignent de la captation de valeur réalisée par les acteurs numériques (Apple, Amazon, Google…), diffuseurs des contenus.
La commission Lescure partage ce constat et en appelle à l'Etat pour* "encadrer les pratiques contractuelles"* sans pour autant "fixer de manière rigide la clé de partage des recettes" .
Pour aider à protéger les créateurs, le rapport propose de renforcer le rôle des sociétés d'auteurs, les SPRD (sociétés de perception et de répartition des droits).
Ces sociétés pourraient consacrer une partie des sommes perçues, au titre de la RCP (Rémunération sur la Copie Privée), à soutenir des plateformes innovantes ou des actions de promotion en ligne.
Une proposition saluée par Jean-Noël Tronc, le directeur général de la SACEM :
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Pour aider à financer la création et rémunérer les créateurs, le rapport propose également de taxer les services de cloud computing (stockage et applications dématérialisés) au titre de la copie privée pour* "s'adapter aux usages"* .
Il est également question de revoir le mode de taxation des opérateurs de télécommunications, pour prendre en compte la totalité de leur chiffre d'affaire.
> Mais la mesure la plus relayée concerne la taxation des fabricants et importateurs d'appareils connectés .
Avec là encore le même souci de "s'adapter aux usages".
Les explications d'Abdelhak El Idrissi :
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Comme cette proposition touche à la fiscalité, elle sera débattue dans le cadre des discussions sur le budget 2014.
Protection et l'adaptation des droits de propriétés intellectuelle
Bien avant l'élection présidentielle de 2012, on a pu mesurer à quel point les socialistes étaient en désaccord sur la question du téléchargement illégal et de ses sanctions. Bien que tous critiquaient le principe de la Hadopi, l'autorité chargée de lutter contre le téléchargement en P2P, on attendait de voir ce que François Hollande, une fois élu, ferait sur cette question.
Pierre Lescure, avec l'accord du gouvernement, propose de supprimer la Hadopi en tant qu'entité, mais de conserver le volet répressif, qui sera transféré au CSA.
Avec une variante : la coupure d'internet (prévue par la loi mais jamais appliquée) est remplacée par une amende administrative. La mission Lescure propose 60 euros, et une majoration en cas de récidive.
L'objectif à terme est de lutter contre les sites qui tirent profit du téléchargement, plutôt que les internautes.
Le rapport précise ainsi qu'il faudrait changer d'approche vis-à-vis des internautes et du "piratage" souvent accusé d'être "le principal responsable de la crise qu'ill [les vendeurs] traversent" .
Ainsi, un chapitre est consacré aux "échanges non marchands"
Le principe étant pour deux internautes de s'échanger librement et sans limite des fichiers, mais en contrepartie de payer un surcoût pour rémunérer les auteurs.
Ce qu'on appelle la licence globale.

La piste a été évoquée dans le rapport mais pour mieux être abandonnée, ou plutôt être renvoyée à des échéances plus lointaines.
D'où la déception de Lionel Maurel du collectif SavoirsCom1 :
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Les membres de la commission Lescure espèrent que toutes leurs propositions seront reprises par le gouvernement.
C'est maintenant au président de la République et au Premier Ministre de rendre les arbitrages. Aurélie Filippetti déclarait lors de la remise du rapport : "le gouvernement prendra ses responsabilités".
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