La naissance du MLF : “Il y a encore plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme”
Par Alisonne Sinard1970 . C’est en écho à une marche féministe new-yorkaise que le Mouvement de Libération des Femmes (MLF) est officiellement né le 26 août 1970. Dans un documentaire de 1990, des militantes du MLF témoignent de leur prise de conscience de la condition des femmes et de leur engagement.
Un point de départ américain pour un retentissement international : la Women's march de samedi à Washington, en réaction à l'investiture de Donald Trump n’est pas sans rappeler l’histoire du féminisme. Avec un documentaire diffusé dans l’émission Grand Angle le 6 octobre 1990, retour aux débuts du Mouvement de Libération des Femmes (MLF), dont l’acte de naissance fut influencé par une marche féministe américaine le 26 août 1970.
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Dans ce documentaire, trois militantes féministes - Marie-Jo, Ginette et Nadia - témoignent de leur engagement au sein du MLF dans les années 1970. Cécile et Florence, filles de militantes, ont vécu les manifestations sur les épaules de leurs mères et racontent cette enfance particulière dans le bouillonnement du mouvement.
De F comme Féminisme à F comme Femme (06.10.1990, Grand Angle)
59 min
Durée : 59’14 • Un documentaire de Sophie Pillods et Danielle Fontanarosa • Avec : Marie-Jo, Ginette, Nadia, Cécile, Florence et Monique Rémy • Archive INA - Radio France
Des Etats-Unis à la France : le 26 août 1970
Le 26 août 1970 fut un jour symbolique aux Etats-Unis, celui du 50e anniversaire du droit de vote des femmes. C'est ce jour que les femmes new-yorkaises ont choisi pour descendre dans la rue revendiquer l'égalité entre hommes et femmes et manifester contre le "devoir conjugal". Sur les ondes radiophoniques, voici comment était perçue depuis la France cette manifestation américaine :
Le 26 août 1970 à New York (Grand Angle, 06.10.1990)
1 min
Le même jour en France, en soutien à cette manifestation du Women’s Liberation Movement américain, neuf militantes féministes (dont Monique Wittig, Christine Delphy, Christiane Rochefort et Anne Zelensky-Tristan) déposent une gerbe de fleurs au pied de l’arc de triomphe à la femme du soldat inconnu. Sur leurs banderoles, parmi les slogans de manifestation :
“Il y a encore plus inconnu que le soldat inconnu, sa femme.”
Dès le lendemain, les journaux titrent la naissance du Mouvement de Libération des femmes.
Dans le sillage de mai 68
Le Women’s Lib américain a donné l’impulsion du mouvement français qui commençait à s’organiser depuis mai 68. Comme le note Michèle Riot-Sarcey dans son ouvrage Histoire du féminisme, si la présence des femmes est manifeste dans la mobilisation de mai 1968, “rares sont celles, pourtant, qui participent aux débats : la parole publique ne leur appartient pas.” Dès octobre 1968, les premières réunions de femmes. En avril 1970, la première apparition publique du mouvement de femmes à la faculté de Vincennes. En mai 1970, la publication d’un article intitulé “Combat pour la libération des femmes” dans le journal L’idiot International. Un ferment révolutionnaire hérité de mai 68 qui a rendu possible l'émergence du mouvement :
“Cette utopie n’a pu avoir lieu que parce qu’il y a eu cette explosion de mai 68. Sinon je ne vois pas comment elle aurait pu avoir lieu. Elle est née d’ailleurs essentiellement au sein des universités, en particulier de l’université de Vincennes.” (Marie-Jo)
"On s'est senties concernées par ce qui se passait"
Après avoir décrit cet appel du féminisme qu'elle a ressenti et qui l'a poussée à rejoindre le MLF, Marie-Jo retrace les grandes orientations du MLF, de la psychanalyse ("Psychanalyse et action" autour d'Antoinette Fouque) au marxisme ("Féminisme, Marxisme, Action" autour d'Anne Zelensky-Tristan, Jacqueline Feldman et Christine Delphy). Elle décrit volontiers ce bouillonnement comme une "nébuleuse de groupes", aux présupposés de départ très divers :
“Il y a eu les mouvements, qui ont été d’abord de petits groupes de femmes qui se sont réunis, parmi lesquelles Antoinette Fouque, Monique Wittig par exemple. Et il y a eu très vite des mouvements qui se sont opposés sur des questions absolument fondamentales, si bien que, quand on parle du MLF, il y a un petit problème, parce que c’est le Mouvement de Libération des femmes, mais en réalité, c’était une sorte de nébuleuse de groupes qui n’avaient à mon avis même pas une plateforme commune, à part peut-être la non-mixité. C’était la chose la plus évidente. Cela ne veut pas dire que tous ces groupes étaient antagonistes. Beaucoup avaient des actions communes dans les grandes revendications, comme par exemple la dépénalisation de l’avortement. Tout le monde s’y est mis, mais ces groupes avaient des positions de base extrêmement différentes.” (Marie-Jo)
Des points de départs différents, mais les grandes revendications restent les mêmes : l'accès libre et gratuit à l'avortement, la lutte contre les violences faites aux femmes et le viol notamment, la liberté des femmes à disposer de leur corps, l'égalité hommes-femmes dans le travail et les tâches domestiques. Marie-Jo, Ginette et Nadia décrivent par ailleurs la vivacité des débats, le caractère subversif d'actions collectives, la liberté de la pensée et la libération de la parole sur divers sujets de la contraception à l'homosexualité.
Les militantes du MLF investissent l'espace public, manifestent. Elles écrivent et dessinent aussi. Après la publication d'un premier numéro en décembre 1970, Le Torchon Brûle jusqu'en 1973 avec l'écriture de six autres numéros du journal où les militantes du MLF signent les articles collectivement :
“Il y a eu une forme de renaissance collective dans le “Nous les femmes”, quand on ne signait pas les articles de notre nom”. (Marie-Jo)
De leurs côtés, Cécile et Florence, filles de militantes, racontent comment elles ont vécu leur enfance dans cet esprit féministe, entre fierté d'une mère militante et gêne de grandir dans une conception de la famille bien différente des familles de leurs amis. Une enfance également marquée par la liberté :
"Nous les enfants, on faisait notre vie à part. On avait une liberté totale. On faisait les quatre cent coups. On se faisait une micro-société.”
Pour aller plus loin :
1975, sera l'Année de la femme (un documentaire de Séverine Liatard et Séverine Cassar, 10.02.2015)
Debout ! Une histoire du mouvement des femmes 1970-1980 (un documentaire de Carole Roussopoulos)