Festival de Cannes. A l'occasion du Festival de Cannes dont l'édition 2020 ne pourra se tenir, retour sur une décennie qui a vu l'irruption d'une génération de cinéastes pionniers et sur leurs rapports parfois houleux avec le célèbre festival... qui iront jusqu'à provoquer son annulation pure et simple en 1968.
En 1964, Henri Langlois, fondateur de la Cinémathèque française, décrivait ainsi la Nouvelle Vague : "C_'est l'autodidacte contre le premier de la classe ; c'est l'art contre les gens qui croient que la création artistique s'apprend dans les écoles." _
A l'instar de cinéastes hollywoodiens majeurs comme Alfred Hitchcock, Howard Hawks ou Fritz Lang dont les films n'ont jamais été primés à Cannes, les réalisateurs de la Nouvelle Vague, de François Truffaut à Jean-Luc Godard en passant par Claude Chabrol ou Jacques Rivette n'ont cessé d'entretenir une relation ambivalente avec le Festival. Si en 1959, ce dernier récompense François Truffaut d'un Prix de la mise en scène pour Les 400 coups, c’est surtout grâce à Jean Cocteau, président d’honneur du Jury cette année-là. L'année suivante, A bout de souffle n’a pas retenu l'attention des sélectionneurs et Hiroshima mon amour est carrément écarté de la compétition pour raisons diplomatiques. Par la suite, les années 60 verront les sélections du Festival refléter des orientations esthétiques souvent en décalage avec celles revendiquées par la Nouvelle Vague. La Palme décernée à Jacques Demy en 1964 pour Les Parapluies de Cherbourg consacre un cinéaste "cousin" mais indépendant du groupe. Quant à celle attribuée à Claude Lelouch pour Un homme et une femme en 1966, elle agace tous ceux qui défendaient Jacques Rivette, qui présentait la très polémique Religieuse la même année. Les relations réciproques qu'entretiennent les réalisateurs de la Nouvelle Vague et Cannes, faites d'incompréhension souvent, de malentendus, de scandales parfois, culminera avec l'annulation du Festival en 1968 sous la pression d'un collectif emmené par Jean-Luc Godard... dont aucun film ne concourait cette année-là !
De 1959 à 1968, c'est cette décennie d'histoire du cinéma que l'on pourrait résumer d'un seul "Je t'aime moi non plus" que cette sélection d'émissions vous propose de revisiter, au travers notamment de grands entretiens avec Jean-Luc Godard, Agnès Varda, Jacques Rivette ou François Truffaut.
- 1959. François Truffaut, Les 400 coups. Prix de la mise en scène
Avant de se consacrer à la réalisation, François Truffaut fut critique de cinéma pour la magazine Arts... et grand pourfendeur du Festival de Cannes dont il dénonce l'académisme - voire "l'imposture" - dès le milieu des années 1950, convaincu que les jurés décernent les prix davantage à des thèmes qu'à des films, sans aucune considération pour la mise en scène. Lassée d'être l'objet de ces critiques assassines, l'institution cannoise refuse à Truffaut son accréditation presse en 1958. C'est pourtant le même festival qui sélectionnera l'année suivante Les 400 coups, premier opus de la saga Antoine Doinel. Le film, considéré comme le premier de la Nouvelle Vague (à moins que ce ne soit Le Beau Serge de Claude Chabrol...), rencontre un large succès public à sa sortie tandis que sur la Croisette, le Prix de la mise en scène vient couronner le premier film d'un bouillonnant jeune homme de 27 ans.
Cette "Grande Traversée" consacrée à François Truffaut, réalisée par le critique de cinéma Serge Toubiana en 2008, permet d'entendre de nombreuses archives dans lesquelles on retrouve la voix du cinéaste disparu en 1985.
- Alain Resnais, Hiroshima mon amour, Cannes 1959
Réalisé à partir d'un scénario écrit par Marguerite Duras, Hiroshima mon amour, premier film de fiction réalisé par Alain Resnais, raconte l'histoire d'une passion fulgurante entre une actrice française et un architecte japonais à Hiroshima en 1957. Ecarté de la compétition officielle pour éviter tout incident diplomatique avec les Etats-Unis, le film est tout de même présenté avec succès au Festival où il remporte le prix de la Presse Internationale et celui de la Société des Écrivains. En 1955 déjà, Alain Resnais avait vu son documentaire sur la Shoah Nuit et brouillard interdit de Festival de Cannes, en raison de pressions exercées par la République fédérale d'Allemagne.
Retrouvez la voix d'Alain Resnais à travers cette série d'entretiens que le cinéaste, disparu en 2014, a accordés à France Culture tout au long de sa longue carrière.
- 1960. A bout de souffle de Jean-Luc Godard, grand absent de la sélection officielle
Avec A bout de souffle, "Godard a pulvérisé le système, fichu la pagaille dans le cinéma, ainsi que l’a fait Picasso dans la peinture, et comme lui a tout rendu possible" comme l'écrit François Truffaut en 1966. A 29 ans à peine, Jean-Luc Godard signe un manifeste générationnel, qui allait devenir la clé de voûte de la Nouvelle Vague naissante. Sorti en mars 1959, le film est un succès public et critique. En mai pourtant, il ne figure pas dans la sélection du célèbre Festival. En dépit de ce qu'il vit comme un camouflet, Godard ira à Cannes le présenter... dans un petit cinéma. Le début d’une longue romance dans le mode "Je t’aime… moi non plus" entre le cinéaste suisse et le Festival. En 1989, le critique de cinéma Noël Simsolo rencontrait le cinéaste pour une série de dix entretiens, voulus moins autobiographiques que tournés sur l'histoire du cinéma, à laquelle s'attelait alors Godard.
- 1964. Agnès Varda, Cléo de 5 à 7, Cannes
Agnès Varda, pionnière du mouvement La Nouvelle Vague, était l'une des rares femmes, avec Nelly Kaplan, à exister au sein de ce cinéma novateur des années 1960... marqué par des figures masculines. Cléo de 5 à 7, relate en temps réel les angoisses de mort d'une jeune chanteuse en attente de résultats d'examens médicaux : le second long métrage d'Agnès Varda est l'un des meilleurs films de la Nouvelle Vague et un très beau portrait de femme. Dans cet entretien qu'elle avait accordé à Antoine Guillot en 2003, la cinéaste, interviewée à son domicile parisien, raconte ses souvenirs des festivals de 1954, où elle présentait son film La Pointe courte, de 1962 pour Cléo de cinq à sept, de 1964 avec Jacques Demy, de 1981 pour Mur, murs, de 1991 avec Jacquot de Nantes hors compétition, de 1993 avec Les Demoiselles ont vingt-cinq ans, et enfin de 2000 pour Les Glaneurs et la glaneuse.
- 1966. Censuré, La Religieuse de Jacques Rivette est présenté à Cannes
1966 est l'année de la sortie du deuxième long-métrage de Jacques Rivette, La Religieuse, inspiré du roman éponyme de Diderot, et dans lequel Anna Karina interprète Suzanne, une jeune femme cloîtrée par ses parents contre son gré et qui refuse de prononcer ses vœux. Parce que le film a choqué les associations catholiques, et craignant des troubles à l’ordre public, le secrétaire d’état à l’Information interdit les projections du film à partir du 31 mars 1966. Une censure incompréhensible, deux ans avant Mai 68, qui signale les errements d'un pouvoir gaulliste sur le déclin. En mai pourtant, en dépit du scandale, Jacques Rivette est invité à présenter son film au Festival de Cannes.
Dans cette émission, enregistrée au Festival de Cannes en 1966, Jacques Rivette évoque son admiration pour la pensée de Diderot, les questions posées par l'adaptation au cinéma d'une œuvre littéraire mais aussi l'avenir du cinéma tel qu'il l'envisage, à l'heure de la censure dont La Religieuse a été victime.
Dans cette "Grande traversée" qui lui était consacrée par Serge Toubiana, on peut entendre François Truffaut s'exprimer sur l'interdiction de La Religieuse, et sur la lettre ouverte adressée à André Malraux à l'époque : "Comment un Ministre de la Culture peut-il se désintéresser de la censure ? C'est difficile... parce que le jour où on censure Diderot, on se retrouve ridiculisé."
- 1968. Jean-Luc Godard fait annuler le Festival de Cannes
Une semaine après les premières manifestions étudiantes, en pleine grève générale et alors que toute la France est à l'arrêt, un collectif de réalisateurs parmi lesquels François Truffaut, Claude Berri, Jean-Luc Godard et Louis Malle, présents à Cannes, réclament la suspension du Festival en soutien au mouvement ouvrier. Le 18 mai, la projection du film de Carlos Saura Peppermint frappé est perturbée par les contestataires. Après avoir dans un premier temps résisté à la pression, le délégué général Robert Favre Lebré prend la décision d'arrêter le festival le 19 mai. Aucun prix ne sera décerné cette année-là.
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