La PAC, pilier essentiel mais obsolète de l'UE

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La PAC, pilier essentiel mais obsolète de l'UE

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La PAC représente environ 40% de budget de l'Union européenne.
La PAC représente environ 40% de budget de l'Union européenne.
© Getty - Sander de Wilde / Contributeur

Aussi essentielle pour les agriculteurs que critiquée, la politique agricole commune est condamnée à se réformer. Négocié depuis plus d’un an, l’accord pour la PAC 2021-2027 sera conclu une fois le nouveau Parlement européen élu.

C’est le mastodonte de l’Union européenne. La politique agricole commune pèse 40% dans son budget, c’est la première politique commune mise en place par les pays fondateurs. Négociée depuis plus d’un an, l’accord pour la PAC 2021-2027 ne sera finalement pas conclu avant les élections européennes. Le prochain parlement devra s’entendre sur son budget et ses nouvelles orientations. Son budget devrait d’ailleurs baisser : le Brexit entraînera la fin de la contribution britannique, mais la Commission européenne propose aussi de baisser le budget de la PAC d’environ 5% et de renforcer l’autonomie des Etats. Accusée d’être trop complexe et d'entraîner de grandes inégalités, la PAC n’a d’autre choix que de se réformer.

Pourquoi une PAC ?

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe cherche à se reconstruire et à nourrir sa population. Les Etats fondateurs de la Communauté économique européenne (la CEE, avec la France, l’Allemagne, l’Italie, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas) veulent alors mettre en place une politique agricole commune, avec un grand objectif : la sécurité alimentaire. Cela passe par l’augmentation de la productivité agricole, du revenu des agriculteurs et de l’approvisionnement des consommateurs européens, le tout dans un contexte de prix mondiaux très volatiles.

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De cette volonté naît la PAC, en 1962, avec trois grands principes fondateurs :  

  • Un marché agricole unique : les droits de douane pour les produits agricoles disparaissent. 
  • La préférence communautaire : les frontières extérieures sont renforcées pour privilégier la production agricole européenne à celle des autres pays. 
  • La solidarité financière : Les Etats participent à un budget commun en fonction de leur richesse. A l’inverse, la redistribution de ce budget se fait en fonction des besoins de chaque Etat, indépendamment de sa contribution. 

Un prix minimal garanti

Les six Etats membres commencent donc par garantir un prix minimal de rachat au producteur. Invitée de "Entendez vous l’éco ?" sur France Culture le 20 février 2018, l’agronome Aurélie Trouvé explique qu’“il s’agit de restaurer le potentiel de production de la CEE et pour cela, il y a un objectif très clair : stabiliser les marchés__, donc déconnecter les cours européens des cours internationaux qui sont extrêmement volatiles. On considère à l’époque que ce ne sont pas des bons signaux pour les producteurs et les consommateurs. Si on veut des prix équitables pour les producteurs et raisonnables pour les consommateurs, il faut tout un tas d’outils de régulations de marchés : du stockage, des aides à l’exportations, des droits de douane.

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Concrètement, les instances de la CEE achètent les produits agricoles à un prix minimal garanti, indépendant des prix mondiaux. Grâce à cette sécurité, les agriculteurs sont incités à produire davantage et à se moderniser. L’objectif initial est donc atteint : l’agriculture européenne subvient à l’alimentation des Européens.

Cela bénéficie à la société : les prix agricoles vont diminuer. Cela a permis de davantage investir dans les exploitations. En même temps les prix agricoles ont diminué au fur et à mesure de la hausse de la productivité du travail. Les gains de productivité agricole ont été plus que redistribués aux consommateurs via la baisse de prix.            
Aurélie Trouvé, agronome, maître de conférences en économie à AgroParisTech.

Gérer les excédents ou baisser la production?

Mais dans les années 70, l’objectif initial est tellement atteint que l’offre devient supérieure à la demande pour beaucoup de produits, comme le lait, pour lequel des quotas sont mis en place. En parallèle, les instances communautaires sont contraintes de plus en plus stocker les produits rachetés, ce qui coûte cher. Et lorsque l’Europe exporte ces produits, elle les revend sur le marché mondial où les prix sont bien plus bas. Sans compter les pays extérieurs qui accusent la Communauté européenne de protectionnisme et de concurrence déloyale.

Pour stopper cette spirale, les Européens mettent en œuvre la réforme Mac Sharry en 1992. Plutôt que de soutenir les agriculteurs en fixant des prix minima, l'Europe leur verse directement des aides en fonction de la surface agricole et de la production de l’exploitant. Concrètement, la baisse des prix auxquels les agriculteurs vendent leurs produits est compensée par des aides directes. L’idée est de reconnecter le marché communautaire au marché mondial, mais aussi d’enrayer la surproduction : pour toucher les aides directes, les agriculteurs sont contraints de geler une partie de leurs terres.

La PAC n’a cessé d’évoluer depuis sa création. C’est lors de la réforme Agenda 2000 qu’un “deuxième pilier” voit le jour : la promotion du développement rural, financée grâce au Fonds européen de développement rural (FEADER), se compose de mesures pour l’aménagement du territoire, la pluriactivité des agriculteurs, la biodiversité, etc. Le mode de calcul des aides directes évolue aussi : au début des années 2000, elles sont calculées en fonction de références de production passées, toujours pour enrayer la surproduction. Enfin, depuis 2014 et la PAC 2014-2020, les aides directes sont payées surtout en fonction du nombre d’hectares, ou aussi du respect de normes environnementales.

L'environnement, grand oublié

Car c’est l’une des principales critiques faites à la PAC : une incitation au productivisme, au détriment de l’environnement. La politique agricole commune a permis la hausse de la production grâce à la modernisation des exploitations, mais aussi grâce aux pesticides et à l’irrigation (considérée par certains comme abusive). L’agronome Aurélie Trouvé dresse un constat sévère : “en moyenne, plus vous êtes vertueux sur le plan environnemental en France, moins vous touchez d’aide de la PAC”.

Jacques Mourineau est le président du collectif “ Pour une autre PAC”. Il dénonce une PAC dont “une partie des subventions” est encore allouée sur des rendements établis en 1992. “Ça n’a aucun sens actuellement de donner des subventions à une agriculture qui pollue, et qui détruit les sols.” Selon lui, “les pesticides ont permis d’augmenter énormément la productivité du travail, mais pas du tout d’augmenter la productivité de chaque hectare. Il est faux de dire que l’agriculture intensive est très productive.”  

Un système à bout de souffle

Le problème, c’est que la PAC constitue l’essentiel du revenu de beaucoup d’agriculteurs. Selon Hervé Guyomard, “à partir du moment où on poursuit une logique de diminuer le soutien par les prix et compenser les pertes de revenus par des aides directes, il n’est pas étonnant qu’après, le revenu soit composé pour une large part d’aides directes.” Il ajoute que ces aides directes sont “vécues par beaucoup d’agriculteurs comme de la mendicité”.

D’autant que les inégalités sont grandes entre les exploitants. Dans un référé publié le 10 janvier 2019, la Cour des comptes soulève les inégalités importantes des aides directes. Elle écrit qu’en 2015, le montant de l'aide directe moyenne par exploitant pour les structures les plus grandes (22 701 euros) était supérieur de 37% à celui des exploitations les plus modestes (16 535 euros), toutes spécialisations confondues. Elle explique : "Ces aides sont découplées de la production : leur versement est opéré sans considération de la nature des cultures pratiquées ou des quantités produites depuis 2006". Ces inégalités sont “l’héritage de situations historiques (…) cristallisées en 2006 sur la base des montants moyens des déclarations PAC des années 2000 à 2002". Autrement dit, plus les exploitations sont grandes et rentables, plus elles reçoivent d’aides directes de l’UE.

Des voix s'élèvent aussi en France contre l'uniformité de l'agriculture : l'agronome Marc Dufumier, invité des Matins de France Culture le 28 février, dénonce une UE déficitaire pour "les trois-quarts" des légumineuses. Selon lui, "il y a urgence à retrouver une autonomie en protéines et cesser la surproduction de produits bas de gamme".

Sans compter les retards de paiements. Début 2018, la même Cour des comptes dénonçait les “importantes difficultés dans la mise en œuvre de la politique agricole commune”, dues selon elle à la "complexité de la chaîne de paiement des aides agricoles et à la multiplication des dispositifs”.

Les aides directes, constituées par le Fonds européen agricole de garantie (Feaga) représentent 75 % des fonds attribués. Le reste du budget finance tout ce qui englobe le développement rural, dont fait partie l’aide pour l’agriculture biologique. Selon Hervé Guyomard, “il faut une transition. Point. Il faut trouver un système d’accompagnement pour aider l’agriculture à cette transition, et décourager ce qui n’est pas vertueux” au niveau du respect de l’environnement.

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Pour Aurélie Trouvé, cette transition passerait par “re-réguler à minima ces marchés, et arrêter de considérer que les prix du marché international sont les bons et qu’on doit les suivre”. Ensuite, il faudrait selon elle “reconditionner les aides, au moins une partie, à des biens publics environnementaux”.

Or, selon Jacques Mourineau, qui regrette que l’agriculture soit “un sujet absent des débats” de la campagne des européennes, “il n’y a pas un autre secteur économique qui dispose d’un levier aussi important : 50 milliards pour l’Europe, 9 milliards pour la France. Il suffit de changer les règles pour mettre les sous dans une agriculture durable”. Il ajoute : “Je pense qu’actuellement, l’ensemble des paysans seraient prêts à une réforme ambitieuse. Ils pesteraient mais ils accepteraient et seraient pragmatiques : ils se plieraient aux règles pour avoir des sous.

La PAC en chiffres

  • 408,3 milliards d'euros sur la période 2014-2020
  • La France est le premier bénéficiaire de la PAC, avec 9,1 milliards d’euros par an pour les agriculteurs français. 
  • Les plus gros contributeurs au budget de l'Union européenne sont l'Allemagne (23,3 milliards d'euros en 2016), la France (19,5 milliards d'euros) et l'Italie (13,9 milliards d'euros). 
  • 77% des agriculteurs français en bénéficient : environ 340 000 exploitations.