Comment la pollution a influencé l'impressionnisme

Pendant 4 ans, Claude Monet a peint des variations du Pont de Waterloo, laissant apparaître une brume de pollution.
Pendant 4 ans, Claude Monet a peint des variations du Pont de Waterloo, laissant apparaître une brume de pollution.

La pollution a influencé l'impressionnisme

Publicité

Comment la pollution a influencé l'impressionnisme

Par

Des chercheurs en météorologie ont étudié une centaine de tableaux datant de la révolution industrielle. Il en ressort qu'en cette fin de XIXe siècle, la pollution influence la manière de peindre des impressionnistes, de Monet, Turner ou Whistler notamment.

Vous l’avez peut-être remarqué en flânant devant des tableaux de Claude Monet dans des musées : entre ses peintures de jeunesse en Normandie et sa série à Londres 50 ans plus tard, on remarque des changements pas si anodins. Les traits se font plus vaporeux, les tons plus pastels, le contraste diminue. Évidemment, il faut y voir un effet de style, mais la pollution de l’air n’est pas étrangère à cette évolution. C’est ce que montre une étude de deux chercheurs, Anna Lea Albright, spécialiste de météorologie dynamique à la Sorbonne, et Peter Huybers, chercheur en sciences de la Terre et des planètes à Harvard. Ils ont observé précisément 38 tableaux de Claude Monet, 60 de Turner et une poignée de Whistler, Gustave  Caillebotte et Camille Pissarro. Tous ont vécu pendant la révolution industrielle.

La révolution industrielle a transformé Londres et Paris, les villes de Turner et Monet. Au XIXe siècle, les usines brûlent du charbon, libérant des particules dans le ciel, parmi lesquelles du dioxyde de soufre, SO₂. C’est ce composé qu'ont retenu les deux chercheurs. En effet, entre 1800 et 1850, le Royaume-Uni en est l'un des pays les plus fortement émetteurs : il totalise à lui seul environ la moitié des émissions mondiales. Ces particules jouent évidemment sur la clarté du ciel, comme l’explique Anna Lea Albright : “Un jour de pollution, quand on regarde un objet à distance, il devient plus flou, ses contours sont moins définis, parce que la pollution de l’air absorbe la lumière et la disperse hors de votre champ de vision.

Publicité

C’est ce qui semble se produire dans les tableaux étudiés. Pour le mesurer, la méthodologie de l’étude a été calibrée à l’aide de photographies par temps clair et par temps pollué. Les deux chercheurs ont utilisé des équations pour évaluer le contraste, la netteté des contours et la tonalité des palettes.

La baisse de contraste corrélée à la hausse de dioxyde de soufre

61 % des baisses de contraste suivent la courbe d’augmentation du SO₂, les deux courbes se superposant presque. La visibilité dans les peintures de Turner a été évaluée à autour de 25 km avant 1830. Après cette date, elle descend à une moyenne de 10 km. Chez Monet, on passe de 24 km pour le début de sa carrière à 6 km pour ses paysages de Londres.

Il y a donc une corrélation entre les deux, corrélation qui n'est pas pour autant un déterminisme, tempère la météorologue : “On ne veut pas établir un lien qui serait trop simpliste. Personne ne peut lire dans le cœur ou dans l’esprit d’un artiste, mais il est intéressant de découvrir ce qui a pu générer la créativité de Turner ou de Monet.

Un facteur additionnel

Les peintres impressionnistes, réputés pour être sensibles aux variations de lumière, se sont servis de ces changements météorologiques comme d'une impulsion créatrice. Turner, dont on dit souvent qu’il est né à l’ère de la navigation et mort à l’ère du charbon, a vécu ces changements à l’échelle de sa vie. “Il y a des visiteurs parisiens à Londres, au cours du XIXe siècle, qui disaient : ‘Oh, j’ai visité Londres et j’avais l’impression de voir les peintures de Turner !

On retrouve ce goût affirmé du brouillard dans des lettres écrites par Claude Monet à sa femme Alice, lors de ses trois voyages à Londres. Le 4 mars 1900, il raconte : “En me levant, j’étais terrifié de voir qu’il n’y avait aucun brouillard, pas même l’ombre de brume ; j’étais anéanti et voyais déjà toutes mes toiles fichues.

Les Regardeurs
59 min

Une hypothèse ancienne validée

On évoque souvent les problèmes de vue de Monet pour expliquer le fait qu’il se soit mis à peindre de manière plus floue à la fin de sa vie. Mais c’est seulement sept ans après ses voyages à Londres que l'auteur des Nymphéas apprend qu’il est atteint de la cataracte, maladie dont il se fera opérer en 1922.

Cette étude apporte une base scientifique à une hypothèse étudiée depuis longtemps, qui faisait déjà l'objet d’une exposition conjointe à Paris, Londres et Toronto en 2004 et 2005. Elle dresse aussi un pont entre deux disciplines bien différentes, la météorologie dynamique et l’histoire de l’art. Une approche qui permet de lier art et science et de comprendre que la peinture permet de capter l’air du temps.