La Russie tente de retrouver sa place dans l'espace

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La Russie tente de retrouver sa place dans l'espace

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Affiche de propagande spatiale soviétique de 1965
Affiche de propagande spatiale soviétique de 1965
© Getty - Universal History Archive

La Russie a lancé mardi une deuxième fusée Soyouz depuis son nouveau cosmodrome dans l’Extrême-Orient. Cette base, très coûteuse, est censée marquer la renaissance de l’industrie spatiale russe. 60 ans pile après le lancement de Spoutnik, la Russie peut-elle retrouver son prestige spatial d’antan ?

Dans l’oblast de l’Amour, tout au sud-est de la Sibérie, le cosmodrome de Vostotchny est flambant neuf, après quatre années de travaux. Il fut "le plus grand chantier du pays", comme l’avait qualifié les médias russes : à plus de 4 milliards d’euros. Mardi, à 14h41 heure locale, le pas de tir a vu partir une fusée Soyouz pour la deuxième fois. Vladimir Poutine n’était pas présent, mais il a suivi ce lancement depuis Moscou. A bord de la fusée, des satellites appartenant à des institutions ou des entreprises canadienne, états-unienne, japonaise, allemande, suédoise ou encore norvégienne. Manque de chance, le contact a été perdu avec le principal satellite, Meteor, qui n’a pas réussi à atteindre l’orbite prévu. Une perte qui embarrasse la Russie, dans sa politique de "renaissance spatiale", pour retrouver la puissance acquise lors de l’Union soviétique. 

L’URSS permet à la planète d'entrer dans un monde nouveau 

Le 4 octobre 1957 marque le début de l’ère spatiale. Une page de l’histoire écrite par les Soviétiques. Sur la base secrète de Baïkonour, dans une tension extrême, les yeux sont rivés sur la fusée R-7, conçue par l’ingénieur Sergueï Korolev. Quelques minutes plus tard, Spoutnik est mis en orbite. Les bips émis par le premier satellite artificiel de la Terre sont captés par les radios du monde entier. 

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Au lendemain de la seconde guerre mondiale, en pleine guerre froide, les Soviétiques font mouche et acquièrent avec cet exploit "une aura extraordinaire sur le plan extérieur et intérieur", analyse Isabelle Sourbès-Verger, chercheuse au CNRS et spécialiste des politiques spatiales et de l’occupation de l’espace. 

L’Union soviétique va alors se saisir politiquement de l’espace, comme élément idéologique et comme élément d’image sur la scène internationale.

Après Spoutnik, les premières s’enchaînent : en avril 1961, Youri Gagarine devient le premier homme à avoir effectué un vol dans l'espace, puis Valentina Terechkova sera la première femme dans l’espace, en juin 1963. Alexeï Leonov sera lui le premier homme à réaliser une sortie extravéhiculaire dans l'espace, le 18 mars 1965. Premier "marcheur dans l'espace", il flotte pendant 12 minutes et 9 secondes dans l'espace relié à la capsule spatiale Voskhod 2 par un cordon. Le retour dans la capsule fut épuisant en raison de la dilatation du scaphandre.

Carte postale de la première marche dans l'espace, d'Alexeï Leonov
Carte postale de la première marche dans l'espace, d'Alexeï Leonov
© Getty - Rykoff Collection / Corbis

Les Soviétiques sont également à l’origine des premières photos de la Lune.

Cette succession de "premières", explique la chercheuse, est : 

Un moyen pour les dirigeants soviétiques de démontrer que c’est bien le marxisme, avec la place qu’il donne à la science et à la technologie, et le communisme qui veut créer l’homme nouveau, qui permettent tout cela. Pendant dix ans, jusqu’en 1966, le spatial soviétique est structuré sur cette image d’ouvrir vers un monde nouveau et d’hyper capacité technologique du système soviétique. 

Puis vient la course à la Lune. Course remportée par les Américains, qui décident à ce moment-là d’investir dans l’espace. Face aux budgets américains, les Soviétiques ne font pas le poids et ils perdent leur première place de puissance spatiale. Mais ils continuent tout de même leur conquête spatiale, et "gardent à l’esprit que l’espace habité est un élément important, et créent les stations Saliout, puis Mir, qui font qu’il y a toujours eu des hommes qui ont orbité autour de la Terre, à partir du milieu des années 1970". 

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Les Soviétiques, le nez dans les étoiles    

Une part importante de l’industrie spatiale soviétique est alors consacrée aux lancements et aux stations. Le tissu industriel est au temps de l’URSS très dense et très fourni. Selon Isabelle Sourbès-Verger, "jusqu’à un million et demi de personnes ont travaillé dans le domaine spatial dans des villes "spatiales" ou des quartiers, très fermés, où tout est organisé autour de cette activité. Il y a par exemple des fabricants de trains, des écoles où les enfants étudient la littérature spatiale, des hôpitaux, et le spatial fait vivre toute la ville". Il y avait beaucoup de quartiers spatiaux autour de Moscou et de Leningrad à l’époque. Les villes fermées, elles, soumises à un passeport spécial, avec cette culture du secret qui caractérise l’époque communiste, se trouvaient dans l’Oural, le long du Transsibérien, comme Samara. 

Dans l’imaginaire collectif soviétique, le spatial a un rôle très important. 

Une affiche de propagande soviétique avec Youri Gagarine, datant de 1962
Une affiche de propagande soviétique avec Youri Gagarine, datant de 1962
© Maxppp - Leemage

Surtout chez les 15-25 ans, selon la chercheuse, car ils ont connu toutes les premières fois dans l’espace. Ils ont alors l’impression que l’Union réalise des choses extraordinaires. Ils se disent que tous les sacrifices faits après la Seconde Guerre Mondiale ne sont pas inutiles et ils se sentent alors vraiment portés par une vague d’optimisme qui permettra au pays de rattraper son retard par rapport au monde occidental.

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Boris Eltsine coupe le robinet de l’industrie spatiale

L’éclatement de l’URSS met un coup d’arrêt aux ambitions spatiales. La Russie s’enfonce dans les difficultés économiques et la conquête de l’espace n’est plus vue comme une fierté, mais comme un gaspillage d’argent. De 1991 à 1999, sous la période Eltsine, "tout est donné à l’économie immédiate, complète la spécialiste des politiques spatiales. L’industrie spatiale sera privatisée de manière anarchique, chaque oligarque devient propriétaire d’une entreprise, et les budgets disparaissent totalement. Le spatial russe ne survit que parce que les Américains, les Européens et les Chinois continuent à acheter les technologies russes, parce qu’elles sont peu chères et fiables". 

Poutine relance la politique spatiale russe

Quand Vladimir Poutine prend les rênes du pouvoir en 2000, il a un mot à la bouche : la fierté russe. Et cette fierté russe passe notamment par le retour de la Russie en tant que puissance spatiale. Il entame alors une restructuration des industries spatiales. 

Avec trois motivations, selon Laurence Nardon, responsable du programme Espace de l’Ifri, qui les détaille dans une note publiée en avril 2007 : "la sécurité nationale (élément à mettre en perspective avec la politique spatiale américaine actuelle), la croissance économique et, la dimension psychologique, avec l'espace comme symbole de puissance, de prestige international et de souveraineté technologique." 

Une volonté appuyée par les bons résultats économiques, souligne Isabelle Sourbès-Verger : "Poutine, à cette époque, réorganise les systèmes de retraites, de santé et d’éducation, c’est-à-dire qu’il fait à nouveau rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat, et le redistribue dans l’économie. Il reçoit alors une forte adhésion de la population". Il nationalise à nouveau les industries spatiales, et les regroupent sous une entité : "Roskosmos" (qui est, au passage, le nom de l’ancienne agence spatiale russe).  

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Manque d’ingénieurs

Mais Vladimir Poutine a dû faire face à un problème de taille : (re)trouver des ingénieurs. "Beaucoup de sous-traitants ont disparu pendant la période Eltsine, raconte Isabelle Sourbès-Verger. J'ai connu à l’époque des collègues russes qui travaillaient dans le milieu spatial, ils gagnaient leur vie en étant profs, et ils passaient leurs soirées dans leurs laboratoires où ils n’étaient plus payés, pour essayer de maintenir une activité. J’ai des souvenirs vraiment très poignants, où les couloirs de l’Institut de Moscou, qui est l’équivalent de Polytechnique, que j’avais connu avec des étudiants partout, étaient désespérément déserts. Puis, les gens ont commencé à revenir à partir de 2000-2005, quand il y a eu à nouveau des bourses." 

La Russie peut tout de même s’appuyer sur deux créneaux d’excellence, hérité de l’époque soviétique : son expertise dans les vols habités, elle est la seule à desservir la station spatiale internationale, et ses lanceurs : depuis 17 ans, elle a mis sur orbites d’avantage de satellites étrangers que de satellites nationaux.  En 2005, la Russie a été à l'origine de près de la moitié de tous les lancements dans le monde, contre 22,6 % pour les Etats-Unis et 9,4 % pour l'Europe, selon le quotidien russe Etoile rouge

Base de Vostotchny, renaissance du spatial russe ?

L’un des grands projets de Vladimir Poutine, lancé dès 2007, a été la construction d’un cosmodrome d'ampleur sur le territoire russe, à Vostotchny dans l’Extrême-Orient. Le premier décollage d’une fusée Soyouz y a eu lieu en avril 2016, après une première tentative, ce qui n’a pas manqué de provoqué l’ire de Vladimir Poutine. Le Président avait fait tomber quelques têtes, notamment l’un des principaux responsables du secteur Léonid Chalimov, dont la holding d’Etat Avtomatika avait été jugée responsable de l’erreur technique. 

Ce cosmodrome doit à terme remplacer celui de Baïkonour, au Kazakhstan, qui reste le seul moyen pour rejoindre la station spatiale internationale et que la Russie loue depuis la chute de l’URSS 115 millions d’euros par an. Base que le pays devrait continuer d’utiliser jusqu’en 2023.

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La perte d’un satellite mardi dernier est un échec embarrassant pour la Russie, "car cela remet en cause la fiabilité de ses lanceurs, selon Isabelle Sourbès-Verger, et montre la difficulté de son industrie spatiale à appliquer des contrôles qualité suffisants pour éviter ce type de problème." D’autant que la Russie n’en est pas à son premier échec. En 2015, un vaisseau cargo qui devait ravitailler la station spatiale internationale a été perdu, phénomène qui s’est réitéré l’année suivante. Et puis, en mai 2015, un lanceur Proton a échoué à mettre en orbite un satellite de communication mexicain. 

Concurrence du « new space »

Même si depuis plusieurs années, la Russie coopère à des programmes spatiaux internationaux, elle n’arrive pas à pallier son retard, notamment en électronique, alors que le domaine des télécommunications est très porteur dans l’industrie spatiale. Elle doit aussi faire face à une nouvelle concurrence : le "new space". Ce sont des entreprises privées, qui ne sont pas issues du secteur spatial traditionnel, qui contribuent à l’industrie. "Ils fabriquent, entre autres, explique Isabelle Sourbès-Verger, des produits en open source, comme des cubesats, de très petits satellites, qui démocratisent les techniques spatiales". 

Là où la NASA, poussée par Donald Trump, envisage une mission habitée sur Mars en 2030, voire, plus tôt, selon les souhaits du président américain, les Russes ont dû revoir leurs ambitions à la baisse. La mission ExoMars-2018, en coopération avec l'Agence spatiale européenne a été repoussée de deux ans. Reportées également les missions du programme lunaire, un éventuel vol habité n'est pas prévu avant 2030.