**Les séries télévisées aux Presses Universitaires de France (PUF) ! Depuis avril, une collection est en effet consacrée à ces oeuvres de fiction et trois ouvrages ont déjà vu le jour, traitant respectivement de Desperate Housewives , The Practice et *Les Experts. * Depuis quelques années, et de plus en plus, ces objets télévisuels ayant partie liée avec le divertissement sont décryptés à l'aune des disciplines dites "nobles". Et de nombreux universitaires friands du petit écran consacrent désormais mémoires, thèses, colloques et travaux divers à cette thématique. Parmi eux, Séverine Barthes, professeur au Celsa, que nous avons rencontrée après avoir recueilli les éclairages de Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, qui a dirigé cette nouvelle collection aux PUF. **
Retour sur trente ans de légitimation d'un objet télévisuel longtemps déprécié en France.
**Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, spécialiste de droit de la guerre et amateur de séries **
Jean-Baptiste Jeangène Vilmer , directeur de cette nouvelle collection des PUF consacrée aux séries télévisées, est spécialiste d’éthique et de droit de la guerre. S'il en est venu à s'intéresser aux séries, il reconnaît volontiers qu'il n'en est pas spécialiste. En fait, l'idée de créer cette collection lui est venue en 2009, alors qu'il visionnait *24 heures chrono : *
*"Mon axe, c'est plutôt l'éthique, le droit de la guerre, la guerre contre le terrorisme, les dilemmes moraux... Toutes ces notions sont très présentes dans cette série. Je me suis dit que cet intérêt que j'avais pour 24 heures chrono, cette volonté de faire un livre à son sujet, d'autres pouvaient l'avoir pour d'autres séries, avec leur propre angle d'analyse. Sans, d'ailleurs, être des spécialistes de la télévision ou des séries, mais en étant philosophes, économistes, psychanalystes, politologues... J'ai donc eu l'idée de créer cette collection sur la base d'une série / un livre. Cela n'avait encore jamais été fait." *
Destiné à un public universitaire (étudiants, chercheurs), les PUF espèrent également toucher, à travers cette collection, le grand public des fans. "Ils pourront trouver dans ces livres quelques clefs de décryptage pour comprendre pourquoi ils aiment tant ces séries. "
Pour Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, le fait que les séries soient devenues un objet de recherche universitaire à part entière s'explique par un double phénomène :
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Les auteurs de ces analyses, le plus souvent, sont des trentenaires ou des quarantenaires : "Pour analyser les séries, pour avoir l’idée et le courage d’écrire un livre sur l'une d'entre elles qui, parfois, s’étalent sur des années - 24 heures, par exemple, c’est 192 épisodes de 42 minutes chacun ; ça fait des centaines d’heures de visionnage et d’analyse -, il faut aimer la série. Il faut avoir grandi avec elle, l’avoir suivie au moment où elle sortait. », précise-t-il.
"Six Feet Under, The Wire, The Shield, Rome, ou plus récemment, Game of Thrones ou Mad Men, sont des séries qui ont une qualité cinématographique et peuvent donner lieu à des analyses universitaires. ", ajoute Jean-Baptiste Vilmer. Bien plus : pour lui, les séries des vingt dernières années ont même nombre d'avantages sur le cinéma :
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Séries de meilleures qualités donc, affirme Jean-Baptiste Vilmer, en particulier aux Etats-Unis où la "Quality television" s'est développée à la fin des années 80. Une décennie plus tard, l'essor de la chaîne HBO (groupe Time Warner), soucieuse de placer le cinéma au coeur de son activité, a également eu un impact sur ce phénomène :
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Si Jean-Baptiste Jeangène Vilmer semble considérer que les séries de "télévision de qualité " sont pour l'instant majoritairement américaines, la nouvelle collection des PUF ne va pas moins s'ouvrir bientôt aux séries françaises, mais également aux séries animées (Les Simpsons ) et historiques (Le Prisonnier , Chapeau melon et bottes de cuir …)
Séverine Barthes, universitaire, et enfant assumée de la télévision
Professeur au Celsa, Séverine Barthes a consacré sa thèse de Lettres modernes aux séries télévisées. A l'inverse des travaux généralement effectués sur le sujet, celle-ci ne traitait pas de seulement deux ou trois de ces fictions, mais de l'intégralité des séries dramatiques diffusées aux Etats-Unis entre 1990 et 2005 (pas moins de... 120 !).
L'objectif de ses recherches était alors d'appréhender la puissance de frappe, notamment économique, de cette industrie et de ces œuvres :
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En septembre 2012, Séverine Barthes se lancera, elle aussi, dans un projet de collection dédiée aux séries télévisées, chez Atlande . Baptisée "A suivre", cette dernière publiera les livres en fonction de l'actualité du monde des séries.
La jeune femme est fort bien placée pour témoigner des rapports entre l'Université et les travaux sur la télévision. En 2001, lorsqu'elle a elle-même voulu trouver quelqu'un pour diriger sa Maîtrise, elle a essuyé plusieurs refus avant qu'un professeur de la Sorbonne, Georges Molinié, accepte de superviser ses travaux.
Des grands pontes frileux donc, mais pas seulement. Dès le début, lorsque les séries deviennent un phénomène bien plus large que ce qu'elles étaient auparavant, l'Université est loin de rejeter ces oeuvres en bloc.
*"Parmi les gens un peu précurseurs, en France, de cette prise en compte de la série télévisée, on peut citer quelques noms, comme David Buxton, à Nanterre : je crois que son premier livre sur les séries télé date de 84, ce qui est extrêmement ancien. *
*Vous avez aussi des gens qui étaient totalement légitimes dans leur discipline comme Sabine Chalvon-Demersay, sociologue à l’EHESS, qui a travaillé sur la réception d’Urgences dès la diffusion en France et qui a fait un travail assez extraordinaire… *
Tous les dimanches, elle allait dans des familles, dans toute la France, et elle regardait la série avec eux, sur leur canapé, pour pouvoir en parler et étudier leur réception. On voit qu'il y avait, tout de suite une compréhension de ce qu’il se passait, et de cette importance de ce que ça allait devenir, les séries télévisées. "
Aujourd'hui, ce processus de légitimation semble quasiment achevé et les séries sont passées, sans scrupules, au crible des disciplines universitaires. Retour sur ces trente dernières années au cours desquelles a émergé une véritable culture de la série télé :
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Universitaire, Séverine Barthes ne s'en revendique pas moins "enfant de la télévision ". Alors que pour elle, les séries télévisées ont de longue date acquis leurs lettres de noblesse, elle déplore que les élites françaises actuelles assument leur intérêt pour les séries avec un certain snobisme :
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Pour la jeune chercheuse, les réticences qui persistent ne sont donc qu'histoire de fierté mal placée. Elle se plaît d'ailleurs à rappeller que la forme du feuilleton a toujours existé dans la narration, nombre des histoires d'antan, même orales, ayant été racontées de façon plus ou moins sérielle ou épisodique. "La série télé n'est que l'aboutissement, après le roman feuilleton, le feuilleton radiophonique, le serial cinématographique, les comic books, la bande-dessinée belge… toutes ces fictions populaires fondées à l'origine sur un système soit épisodique, soit feuilletonnant. "
Outre-Atlantique, la revendication d'être dans cette lignée du roman feuilleton, pourtant né en France, est bien réelle. Au 19ème siècle, aux Etats-Unis et en Amérique du sud, Dumas, Balzac, Dickens, etc. sont connus comme des auteurs de romans populaires, tandis que dans notre pays, le roman est considéré comme monument de la culture élitiste au détriment de la série, qui conserve un aspect moins noble. Pour Séverine Barthes, cela explique qu'en France, le lien avec la série télévisée soit aujourd'hui un peu plus distendu... mais les choses changent !