Comment la sorcière a-t-elle pu devenir un objet pop et sympathique alors que des milliers de femmes ont été exécutées depuis des siècles pour sorcellerie ? L'essayiste Mona Chollet explique comment la sorcière, victime éternelle de l'ordre moral des hommes, est devenue une icône du féminisme.
Derrière l’image pop de la sorcière se cachent en réalité des siècles de terreur pour la femme. C’est ce qu’explique Mona Chollet dans son essai Sorcières, la puissance invaincue des femmes (La Découverte, 2018). Autant rebelle que victime du patriarcat, la sorcière est l’icône féministe ultime.
Mona Chollet : "C’est assez étonnant de penser qu’aujourd’hui, la sorcière devient presque une super-héroïne. Traiter une femme de sorcière pendant des siècles, ça voulait dire la condamner à mort. Il y a une espèce de légèreté dans la manière dont on traite cet héritage qui est vraiment frappante et qui, je pense, est liée au faut que ce sont des femmes qui ont été exécutées et que la mort des femmes, c’est jamais très réel ni très grave."
Dès l’Antiquité, les magiciennes sont craintes des hommes à cause de leurs pouvoirs, comme Circé, qui transforme les compagnons d’Ulysse en porcs dans L’Odyssée. Leur perception devient beaucoup plus négative avec le christianisme. Des vagues de persécution ont lieu tout au long de la Renaissance.
Mona Chollet : "C’étaient beaucoup les veuves, les célibataires, les femmes qui n’étaient pas sous le contrôle d’un homme en fait. C’étaient aussi les vieilles femmes et beaucoup d’entre elles ont été brûlées à l’époque. La vieille femme, c’est aussi la femme qui n’est plus utile pour le pouvoir patriarcal. Elle a perdu sa force de travail souvent, elle ne peut plus faire d’enfants, elle n’est plus considérée comme agréable à regarder. Si vous parliez de travers à votre voisin, il pouvait vous dénoncer pour sorcellerie. Donc c’était une époque où on tolérait moins que les femmes parlent haut et fort et donnent leur avis franchement."
Des hommes aussi sont condamnés à mort pour sorcellerie mais les persécutions visent surtout les femmes qui ne se soumettent pas au modèle familial classique.
Mona Chollet : "Comme les supplices étaient publics, on peut penser que le fait de voir une autre femme brûlée pour avoir eu un comportement déviant, ça devait avoir un effet disciplinaire énorme sur l’ensemble des femmes."
La sorcière est soit jeune, belle et envoûtante, soit vieille et laide. Au XIXe siècle, elle est représentée dans les contes avec un chapeau pointu et un nez crochu. Un stéréotype qui rappelle les caricatures antisémites. On appelle d’ailleurs leurs réunions secrètes le sabbat.
Elle devient au XXe siècle un objet folklorique et dépolitisé, dont s’emparent le cinéma, les séries et la littérature.
Mona Chollet : "Évidemment, la culture populaire a récupéré ce personnage. Dans les années 1950, il y a le thème de la sorcière apprivoisée. Ce film qui s’appelle Ma femme est une sorcière, c’est toujours des histoires de comment la sorcière renonce volontairement à ses pouvoirs pour l’amour et finit par devenir une gentille petite épouse. C’est souvent des sorcières jeunes, blondes, blanches, mignonnes. Moi j’attends toujours de voir un vrai beau personnage de veille femme, un personnage de sorcière positive."
La sorcière devient une figure de revendication avec les féministes des années 1960-1970.
Mona Chollet : "À Halloween en 1968, il y a un groupe de féministes new-yorkaises déguisées en sorcières qui sont allées manifester à Wall Street. Elles s’appelaient les Women’s International Terrorist Conspiracy from Hell (WITCH). Robin Morgan, l’une des membres a écrit plus tard qu’à l’époque elles ne connaissaient pas grand-chose de cette chasse aux sorcières, elles avaient fait ça de manière spontanée. Des féministes en Europe et aux Etats-Unis se sont emparées de cette histoire et l’ont revisitée de manière sérieuse."
Plusieurs manifestations féministes ont compté des sorcières dans leurs rangs ces dernières années, notamment en Corée du Sud, au Nicaragua, en Italie ou en Turquie. Des sorcières se sont même rassemblées au pied de la Trump Tower à New York pour jeter des sorts au président américain.