La transition écologique se construit depuis les territoires

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La transition écologique se construit depuis les territoires

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En 2022,  69% des investissements pour la transition écologique se font sur des projets à l'extérieur de Paris
En 2022, 69% des investissements pour la transition écologique se font sur des projets à l'extérieur de Paris
© Getty - Yagi Studio

Ils cherchent, font des essais, expérimentent, développent, lèvent des fonds et vont changer nos modes de production et de consommation. Une nouvelle génération d’entrepreneurs engagés dans la transition écologique émerge et leur réussite se confirme. 'Demain l'éco' vous en parlait en 2022.

Les crises successives exigent d’innover pour changer notre modèle économique hérité de l’ère industrielle assise sur les énergies fossiles. Les entreprises qui s’inscrivent dans l’innovation écologique portent en effet la promesse d’une économie plus sobre, plus respectueuse de l’environnement et des salariés.

Selon le baromètre annuel Arthur Loyd, les investissements dans les filières de transition écologique ont atteint 9,1milliards d’euros au 1er semestre 2022, un montant qui progresse chaque année de manière significative, soit 38% de plus qu’au premier semestre de l’année précédente.

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Les capitaux affluent et les projets se multiplient mais l’étude d’Arthur Loyd révèle également qu’en 2021, 69 % des volumes ont été investis à l’extérieur des grandes métropoles. Ce qui signifie que plus de deux tiers des projets portent sur des territoires éloignés des grands pôles urbains. Un bouleversement inédit qui indiquerait que le développement d’une économie verte se joue en dehors de Paris, dans les régions.

"L’essor des projets industriels liés à l’économie verte offre l’espoir d’une redistribution des cartes dans le dynamisme des territoires. Les villes moyennes, hier laissées pour compte de la métropolisation, possèdent aujourd’hui le potentiel pour réindustrialiser la France à travers des filières de transition écologique. Ces investissements verts sont un levier majeur de créations d’emplois, à court et moyen terme. Ils portent la promesse de l’émergence de nouveaux territoires industriels" décrypte Cevan Torossian, Directeur du département Etudes & Recherche d'Arthur Loyd.

Le verdissement de l’économie semblerait donc enfin s’opérer redessinant peu à peu une nouvelle carte du marché de l’emploi. Difficile de savoir si la transition écologique réussira à créer un million d’emplois d’ici 2050 comme l’estime l’Ademe mais il est évident que les enjeux environnementaux infusent dans tous les secteurs d’activité. Face à l’urgence climatique, nos entreprises devront développer des technologies décarbonées et moins polluantes.

Retour sur trois entreprises pionnières tricolores en matière de transition écologique, avec Annabelle Grelier.

3 min

Rénover plus et construire mieux

Le bâtiment est l’un des secteurs qui est appelé à se transformer le plus dans les années à venir. Considéré comme l’un des plus polluants, il représente 20% des émissions de CO2 à l’échelle nationale. L’efficacité énergétique du bâti, l’artificialisation des sols, l’empreinte environnementale des matériaux de construction, la gestion des déchets de chantier, les défis à relever sont nombreux pour ce secteur économique qui consomme le plus d’énergie : l’équivalent de 70 millions de tonnes de pétrole soit 43% de l’énergie finale selon les calculs de l’Ademe.

La rénovation thermique des bâtiments est l’un des premiers grands enjeux de la transition énergétique. Aujourd’hui, 7 millions de logements sont mal isolés. Le plan de rénovation énergétique devient une priorité nationale qui vise à faire baisser la facture d’énergie et réduire les consommations d’énergie des bâtiments. Doté d’une enveloppe de 14 milliards d’euros de soutien public en investissement sur le quinquennat, il doit répondre aux objectifs du Plan climat annoncé en juillet 2017 qui implique de rénover 700 000 logements par an d'ici 2030, en vue d’atteindre la neutralité carbone en 2050.

Pour les constructions neuves, une nouvelle réglementation environnementale, la RE2020, s’applique depuis le 1er janvier 2022. Elle a pour but d’encadrer la conception de bâtiments afin de les rendre moins énergivores jusque dans leurs usages. Si la RT2012, issue du Grenelle de l’environnement, fixait déjà des exigences, la RE2020 va beaucoup plus loin et permet d’agir sur la consommation énergétique et les émissions carbone de la filière construction.

L’innovation écologique a beaucoup à apporter au secteur du bâtiment : nouveaux matériaux et isolants, meilleure performance thermique, meilleure gestion des ressources et des déchets.

S’attaquer au béton n’est pas un moindre défi. Avec 15 milliards de mètres cubes coulés chaque année, il est le matériau le plus utilisé dans le monde. La seule production de ciment, ingrédient clé du béton, génère 7% des émissions mondiales de dioxyde de carbone (CO2), soit trois fois plus que le transport aérien. Fortement énergivore, la fabrication du béton met également à risque nos ressources de sable et la pénurie menace.

Il est urgent de trouver une alternative au béton. Depuis 2018, la jeune entreprise landaise, Materrup y travaille. Dans son usine pilote de Saint-Geours-de-Maremne, elle a mis au point un ciment à base d’argile crue. Sans cuisson, il permettra de réduire d’au moins 50 % l’empreinte carbone de la construction.

Julie Neuville, responsable RSE et communication chez Materrup
Julie Neuville, responsable RSE et communication chez Materrup
© Radio France - Annabelle Grelier

En juin dernier, l’entreprise a franchi une étape décisive. Elle a reçu du Centre scientifique et technique du bâtiment l’autorisation de mise sur le marché de son ciment à base d’argile, qui peut couvrir 80 % des usages du béton.

Une validation qui va permettre à la jeune pousse de lancer cette année l’industrialisation nous annonce Julie Neuville, une des 4 co-fondatrices et responsable marketing et RSE.

"Notre ciment à base d’argile est non seulement bas carbone mais il a aussi des propriétés hygrothermique et esthétique. Il est fabriqué à partir de produits locaux en créant de l’emploi non délocalisable. Il est porteur de valeurs environnementales et sociales pour les territoires."

L’argile est en effet une ressource abondante qui revêt une couleur différente et typique selon les régions et la nature du sous-sol. Fini le béton gris et uniforme, une particularité qui plaira sans doute aux architectes.

Bien qu’approchée par les grands groupes cimentiers et géants de la construction, Materrup a choisi un développement organique et compte bien s’inscrire dans une démarche d’économie circulaire en n’utilisant que de l’argile recyclée. Retenue dans l’appel à projet du Grand Paris, elle mettra à profit son procédé pour l’utilisation des terres d’excavation de chantier ou encore utilisera les rébus de son voisin le fabriquant de tuiles Edilians avec lequel elle a signé l’année dernière un partenariat.

Mathieu Neuvile, PDG de Matterup et ses trois associés Julie et Charles Neuville et Manuel Mercié devant l'usine pilote de Saint-Geours-de-Maremne
Mathieu Neuvile, PDG de Matterup et ses trois associés Julie et Charles Neuville et Manuel Mercié devant l'usine pilote de Saint-Geours-de-Maremne
© Radio France - Annabelle Grelier

Après avoir conclu un accord de coproduction de béton bas carbone avec le groupe basque de BTP Duhalde, c’est un acteur majeur de la construction immobilière, le groupe Demathieu Bard, qui est le premier à choisir de se fournir en ciment d’argile local et décarboné auprès de la jeune pousse landaise Materrup.

La technologie déployée par Materrup constitue non seulement une avancée écologique pour de nouveaux matériaux de construction mais aussi un procédé beaucoup moins énergivore, ce qui est aujourd’hui primordial dans un contexte de flambée des prix de l’énergie.

Figurant parmi les 75 lauréats sélectionnés par l’European Innovation Council de l’Union européenne, l’année 2023 débute sous les meilleurs auspices pour l’équipe de Materrup qui envisage la construction d’une dizaine d’usines dans les 5 prochaines années.

Une agriculture en transition

Sous la menace du changement climatique, l’agriculture va elle aussi se transformer : avec le dérèglement des saisons, l’épuisement des sols, les cultures produisent moins. Le consommateur réclame aussi plus de bio, moins de pesticides. Et le prix des énergies fossiles fait exploser celui des carburants et des engrais.

Le rapport du GIEC souligne l’urgence à agir. Le secteur agricole français est responsable pour 20% des émissions de gaz à effet de serre de notre pays, liées principalement à certaines méthodes d’élevage, à la fertilisation azotée, aux effluents d’élevage et autres résidus de culture, ainsi qu’à la consommation d’énergie fossile et d’engrais sur les exploitations. En revanche, l’agriculture peut aussi être source de solutions pour le captage du carbone selon certaines pratiques culturales ou techniques de gestion de la forêt.

Le mouvement de la Green Tech française a largement investi le secteur agricole. Une jeune entreprise girondine s’est fait une spécialité de valoriser l’urine humaine pour créer de l’engrais organique.

À travers sa technologie Toopi Organics vise plusieurs objectifs : en priorité ne plus gaspiller l’eau potable pour évacuer nos excréments. Afin d’enclencher cette dynamique, il fallait leur trouver une utilité. Les utiliser pour l’agriculture n’est pas nouveau mais considérer l’urine comme le milieu de culture idéal pour cultiver des micro-organismes qui vont améliorer la capacité des plantes à absorber les nutriments naturellement présents dans l’environnement, est assurément une approche innovante.

D’autant plus qu’elle divise par 10 le coût des fumures via des produits similaires existants.

L'urine humaine comme milieu de culture des bactéries d'intérêt agronomique
L'urine humaine comme milieu de culture des bactéries d'intérêt agronomique
- Toopi Organics

Un premier produit biostimulant qui vise l’apport de phosphore a obtenu en octobre dernier l’avis favorable de l’agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) et l’autorisation de mise sur le marché français et cinq autre pays européens.

En 2021, nous avions visité à Loupiac-de-la-Réole l’usine pilote de Toopi Organics. L’entreprise a depuis inauguré une nouvelle usine et doublé sa surface de production qui peut atteindre 250 000 litres par an.

Valoriser l’urine permet non seulement d’économiser des millions de mètres cubes d’eau potable qui ne finiront pas en station d’épuration mais aussi de réduire les besoins d’engrais minéraux comme le phosphore pour lequel nous dépendons à 100% de l’extraction minière étrangère.

"Grâce à notre premier produit, nous pourrons éviter au moins de moitié l’importation et le transport d’engrais phosphatés provenant majoritairement aujourd’hui du Maroc" nous explique Michael Roes, le fondateur de Toopi Organics.

"Nous passons ainsi d’une économie linéaire à une économie circulaire, locale, reproductible pour un produit plus écologique et qui coûte bien moins cher aux agriculteurs", résume-t-il.

Fertilisants, fongicides et pesticides viendront dans quelques années compléter la gamme de produits développés par la jeune entreprise qui prévoit de se déployer en France et à l’international avec une vingtaine d’unités de production d’ici 5 ans. Une première sera inaugurée en Belgique cette année quand d’autres partenariats sont en cours avec le Bénin et le Kenya.

L'équipe de Toopi Orgnaics compte aujourd'hui une vingtaine de salariés, un effectif que devrait passer à 60 d'ici 2024
L'équipe de Toopi Orgnaics compte aujourd'hui une vingtaine de salariés, un effectif que devrait passer à 60 d'ici 2024
- Toopi Organics

Transformer un déchet comme l’urine, en matière première valorisable a déjà permis d’accélérer de meilleures pratiques avec l’installation de toilettes écologiques sans eau sur de nombreux sites comme les aires d’autoroutes, le Futuroscope de Poitiers ou encore les établissements scolaires de Nouvelle Aquitaine.

Avec la guerre en Ukraine et les sanctions contre la Russie, les prix du gaz comme des engrais se sont envolés, et cette innovation low tech tricolore arrive donc à point nommé.

Vers des modes de transports plus rationnels

Le transport routier est la première source d'émissions de CO₂, principal responsable du réchauffement climatique. Il est responsable de 33% des émissions de CO₂ en France, selon le Ministère de la transition écologique et solidaire. C'est donc le moyen de transport qui émet le plus de CO₂ dans l'atmosphère. Et selon l’Agence européenne pour l’environnement, ce sont les véhicules particuliers qui représentent la part la plus importante de ces émissions.

Dans le cadre d’une mobilité durable le remplacement des véhicules thermiques par des véhicules électriques, biogaz, hybrides, à hydrogène permettra de réduire la pollution mais faire évoluer nos pratiques reste le meilleur levier immédiatement actionnable.

Selon l’Ademe, 7 Français sur 10 qui se rendent au travail en voiture sont toujours seuls dans l’habitacle. Pour rationaliser leurs déplacements, le gouvernement vient d’annoncer en décembre dernier un plan national "covoiturage du quotidien". Il comprend notamment une aide de 100 euros pour les nouveaux conducteurs en 2023 et d’autres pour les collectivités locales qui doivent permettre d’atteindre les trois millions de trajets par jour contre 900 000 actuellement.

L’autopartage ou voitures en libre-service, est la mise en commun d'une flotte de véhicules au profit d'abonnés. L’autopartage se distingue de la location traditionnelle par une mise à disposition des véhicules en libre-service et disponibles en 24/7, avec des conditions d’utilisation qui permettent des trajets allant de moins d’une heure à plusieurs jours, et sans remise des clés en main propre. L'autopartage réduit la dépendance à la voiture et favorise le report vers d'autres modes de mobilité. En ce sens, il réduit la  consommation d'énergie  et les  émissions de polluants . En outre, il permet de  libérer de l'espace urbain  utilisé auparavant pour le stationnement des véhicules.

L'impact en économie d'énergie pour chaque abonné à l'autopartage atteindrait 1369KWh/an
L'impact en économie d'énergie pour chaque abonné à l'autopartage atteindrait 1369KWh/an
© Getty - D3sign

Précurseur de l’autopartage en France, le réseau coopératif Citiz a démarré il y a vingt ans avec trois voitures et a dépassé aujourd’hui le seuil de 2 000 voitures dans 175 villes et 800 stations pour 80 000 utilisateurs. 2022 a été la meilleure année en terme d’inscriptions confirme son cofondateur et directeur Jean-Baptiste Schmider. La hausse des prix du carburant a boosté la demande et les contraintes règlementaires comme la mise en place des Zones à Faibles Emissions poussent également les conducteurs à chercher des solutions.

"Avec l’autopartage, on apprend à l’usage que la vraie liberté c’est de ne pas posséder de voiture."

Pour développer son réseau dans les villes moyennes, Citiz a lancé une levée de fonds citoyenne et appel à souscription qui vont permettre d’orienter les futurs développements de la coopérative. Selon Jean-Baptiste Schmider, "les nouveaux sociétaires pourront définir les territoires prioritaires où ils veulent que l’entreprise s’implante".

En partenariat avec les collectivités locales, la coopérative permet également de partager les flottes de véhicules professionnelles qui sont sous-utilisées et notamment le week end. De telles initiatives ont déjà vu le jour dans le parc naturel régional des Grands Causses ou encore celui du Pyla.

Citiz a pour objectif de doubler le nombre d’implantations et étendre son réseau dans 170 communes supplémentaires à l’horizon 2026.

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