La visite au Vatican, figure imposée de la Ve République (sauf pour un président)

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La visite au Vatican, figure imposée de la Ve République (sauf pour un président)

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Nicolas Sarkozy et le pape Benoit XVI durant une audience privée, le 8 octobre 2010 au Vatican
Nicolas Sarkozy et le pape Benoit XVI durant une audience privée, le 8 octobre 2010 au Vatican
© AFP - CHRISTOPHE SIMON

Previously. Emmanuel Macron ira à la rencontre du pape François ce mardi. Il s'inscrit dans une longue tradition de visites présidentielles, à laquelle seul Pompidou a dérogé.

Du général de Gaulle à Emmanuel Macron ce 26 juin, tous les présidents, à l'exception de Georges Pompidou ont rendu visite au chef de l'Eglise catholique. Les rencontres portaient souvent sur l'état des relations internationales, mais elles donnaient aussi à voir l'état plus ou moins harmonieux des relations entre la France et l'Eglise. Une tradition qui marque la Ve République car seul René Coty, en 1957, avait fait ce voyage avant de Gaulle. C'était le premier chef d'Etat à rendre officiellement visite au Saint Siège depuis très longtemps, même les rois de France ne se rendant auprès du pape que de façon rarissime.

De Gaulle, pionnier de l'Elysée au Vatican

"La République est laïque, la France est chrétienne", estimait le général de Gaulle. Il refusait toute ingérence de Rome dans les affaires intérieures françaises. Malgré tout, c'est l'auteur de l'appel du 18 juin qui trace la route de l'Elysée au Vatican le 27 juin 1959  ; pour rencontrer Jean XXIII, en l’occurrence. Une visite fastueuse, comme en témoigne cette archive vidéo de 1959 :

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Le général se rend à Rome avec son épouse et son ministre des Affaires étrangères. Lui et Jean XXIII s'entretiennent une demi-heure en privé. Le premier offre ensuite au second le manuscrit d'une bible du XIVe siècle sur parchemin. Quant au pape, il remet au président français, à son épouse et aux membres de la suite présidentielle, des médailles frappées à son effigie et aux armes de son pontificat ; avant de rendre un hommage vibrant au général dans une allocution dont voici un extrait :

En travaillant au bonheur de vos concitoyens, vous souhaitez aussi avec noblesse que les ressources du pays, comme celles d'autres nations favorisées par la nature, puissent servir avec désintéressement au mieux-être des peuples économiquement moins développés. Est-il une perspective d'action plus conforme à l'idéal de justice et de charité fraternelle dont le christianisme a pour toujours jeté le ferment dans la société humaine ? Et qui n'a cessé au cours des siècles de susciter les entreprises les plus généreuses et les plus fécondes pour le bien de l'humanité ? Laissez-nous formuler des vœux sincères pour votre chère patrie.

Quant à de Gaulle, il mentionne en retour le "très particulier respect" de la France pour la papauté : 

Nous déposons, au nom de la France, nos respects à ses pieds. Et nous lui demandons, dans la tâche difficile qui est celle du Président de la République française et de la communauté, de son gouvernement et des autorités françaises, tout son bienveillant appui. C'est cela que je tenais à dire en formant les vœux les plus ardents pour la santé du très Saint-Père et pour la prospérité et la gloire de notre Eglise Catholique."

Le Général reprendra la route de Rome en 1967. Il remerciera Paul VI pour son oeuvre en faveur de la paix : 

La pensée ardente des Français se porte vers la recherche œcuménique illustrée notamment par les voyages de Votre Sainteté, et qui vise à préparer le jour où seront effacées toutes divisions entre les fidèles du Christ. Le même respect et la même sympathie accompagnent le souci de rencontre et de dialogue avec ceux qui ne sont pas chrétiens et avec ceux qui ne croient pas, tel que Votre Sainteté a voulu le manifester.

A RÉÉCOUTER. En février 2012, Philippe Levillain consacrait son émission "Les Lundis de l'histoire" à "De Gaulle, le Catholique" : "De la France libre qu'il vécut comme une croisade à la présidence de la République, où il conduisit une politique directement inspirée de la doctrine sociale du Vatican, de Gaulle respecta les principes de laïcité sans jamais cesser de redonner à la France sa place de fille aînée de l'Église", analysait-il dans le lancement de son émission.

En savoir plus : De Gaulle, le Catholique
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Pompidou : le successeur de De Gaulle refuse d'aller voir le Saint Père

Il est le seul ! S'il n'accomplit pas le voyage à Rome, c'est que ses convictions sont plus laïques que celle de de Gaulle, et sur fond d'atmosphère post-soixante-huitarde, comme le commentait Bernard Gorce dans La Croix le 8 octobre 2010 : 

Le catholicisme français, revendicatif, tient à distance les dépositaires des pouvoirs temporel et spirituel. Les évêques veulent bien être reçus à l’Élysée, mais à condition de ne pas être vus ! Dans cette ambiance peu propice aux célébrations en grande pompe, la France et le Vatican s'ignorent prudemment.

Valéry Giscard d'Estaing, un dialogue difficile

En décembre 1975, Valéry Giscard d’Estaing, troisième président de la Ve République française, se rend au Vatican pour s’y entretenir avec le pape Paul VI. Si le pape dit admirer “la culture humaniste et théologique” de la France, il ne se prive pas, à en croire le directeur de la salle de presse du Vatican, de discuter “d_es problèmes de la famille, avec une référence particulière à sa stabilité, au respect de la vie, à l'éducation des enfants_”. En réalité, Paul VI a reproché au président la loi Veil sur l’IVG adoptée au début de la même année, qui encadre la dépénalisation de l’avortement. Or VGE avait reçu l’assurance de l’ambassadeur français auprès du Saint-Siège, Gérard Amanrich, que le sujet ne serait que peu abordé. A la sortie de l’entrevue Giscard d’Estaing, furieux, rétorque à l’ambassadeur qui l’interroge sur ce qu’a donné l’entretien : 

Je n'ai pas l'habitude de rendre compte à un subordonné.

Le Quai d’Orsay rappelle alors l’ambassadeur à Paris. En février 1977, Gérard d’Amanrich assassine sa femme et ses deux enfants à coups de revolver. Il expliquera à la police qu’il ne s’est jamais remis de l’humiliation et de son renvoi, avant de se suicider en cellule.

Valéry Giscard d’Estaing continue de tenter de réchauffer les relations diplomatiques avec le Vatican, dès 1978, avec Jean-Paul II. Il est le premier chef d’Etat à être reçu officiellement par le nouveau pape polonais, et reçoit le titre de chanoine d’honneur :

En 1980, c’est Jean-Paul II qui se rend à Paris et descend les Champs Elysées en compagnie du président. Lors d'une messe au Bourget, le pape prononce la célèbre phrase : “France, fille aînée de l'Église, es-tu fidèle aux promesses de ton baptême ?”. 

François Mitterrand, l'entretien le plus long avec un pape

François Mitterrand ne se rend qu’une seule fois au Vatican, le 28 février 1982. Son entrevue avec Jean-Paul II dure 1h15, la plus longue jamais accordée à un dirigeant politique par un souverain pontife. Au rang des sujets abordés, l’enseignement en France : 

Il y a une longue tradition qui veut que les intérêts et les problèmes de l’Eglise sont mêlés aux problèmes de la France, notamment aux travers des problèmes de l’enseignement. Il était tout à fait naturel que cette conversation vint s’interposer entre les différents problèmes internationaux dont nous avions à nous entretenir. Étant bien entendu que chacun reste dans son rôle, la politique française se décide à Paris. 

Le Président socialiste s’entend bien avec le pape, il se distancie néanmoins un peu du protocole : il accepte le titre de chanoine d'honneur mais ne le reçoit pas officiellement. Ils se recroisent en août 1983, lorsque le pape vient effectuer un pèlerinage à Lourdes : 

Jacques Chirac : renouer des "liens millénaires"

Si Mitterrand a renoué les liens avec la papauté, Jacques Chirac veut quant à lui resserrer “les liens millénaires” qui unissent Paris et le Saint-Siège. Dès le 19 janvier 1996, le président de la République nouvellement élu se rend, avec son épouse Bernadette, au Vatican. Il assure à Jean-Paul II qu’il souhaite “témoigner de la fidélité de la France à son héritage chrétien”, et la qualifie de “fille aînée de l’Eglise”, reprenant ainsi la formule prononcée par le pape en 1980. Jacques Chirac lui offre une vierge en bois du XVIe siècle et reçoit à son tour la stalle de chanoine d’honneur.

Le pape et le président se recroiseront à plusieurs reprises en France, en 1996, 1997 et 2004. Jacques Chirac retourne au Vatican pour les funérailles de Jean-Paul II. Benoît XVI est élu pape le 19 avril 2005, mais Jacques Chirac ne lui rendra pas visite. 

Nicolas Sarkozy : Jean-Marie Bigard, un sms, et le discours de Latran

Nicolas Sarkozy a rendu deux visites présidentielles au Saint Siège. La première fois, en 2007, il s'y rend accompagné de Jean-Marie Bigard, ce qui engendre une polémique. L'humoriste racontait ce moment dans Nice Matin, en mars 2013, une interview permettant de se faire une idée de l'atmosphère régnant lors de cette visite vaticane :

Au milieu d'eux, j'étais le vilain petit canard. Je me rappelle que quand Nicolas Sarkozy m'a présenté à Benoît XVI, il m'a décrit comme un homme de Dieu. Il lui a très gentiment dit que j'étais un grand donateur, que j'y allais de ma poche. [...] À ce moment-là, Benoît XVI hochait la tête, il n’en avait vraisemblablement rien à branler. Puis Nicolas Sarkozy lui dit: “Vous vous rendez compte, cet homme a rempli le Stade de France!”. Le pape continuait à hocher la tête, on aurait dit un chien à l’arrière d’une bagnole. 

Polémique nourrie également par le fait que durant le cérémonial, le président français consulte subrepticement son téléphone portable et rédige un sms, alors que le pape s'adresse à lui. 

Comme plusieurs de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy est fait, durant cette visite, "chanoine d'honneur" de la basilique Saint-Jean-de-Latan, comme l'exigeait la coutume depuis Henri IV. Dans le discours qu'il prononce à cette occasion, il mentionne les racines "essentiellement chrétiennes" de la France que, d'après lui, la laïcité n'avait pas le pouvoir de couper : "Elle a tenté de le faire. Elle n'aurait pas dû" : 

J'assume pleinement le passé de la France et ce lien si particulier qui a si longtemps uni notre nation à l'Eglise [...] C'est surtout parce que la foi chrétienne a pénétré en profondeur la société française, sa culture, ses paysages, sa façon de vivre, son architecture, sa littérature, que la France entretient avec le siège apostolique une relation si particulière. [...] Dans la transmission des valeurs et dans l’apprentissage de la différence entre le bien et le mal, l'instituteur ne pourra jamais remplacer le pasteur ou le curé parce qu’il lui manquera toujours la radicalité du sacrifice de sa vie et le charisme d’un engagement porté par l'espérance.

De son côté, le Vatican exprime malgré tout son trouble et ses réserves, notamment à propos de la politique d'immigration menée par Brice Hortefeux, des positions du gouvernement français en matière de bioéthique (tests ADN pour les étrangers, recherche sur l'embryon...), et même à propos du travail dominical et de la simplification de la procédure de divorce.

A ECOUTER. Suite au discours d'intronisation de Nicolas Sarkozy comme chanoine d'honneur de Saint-Jean-de-Latran, Jean-Noël Jeanneney soumettait à son invité, l'historien Philippe Boutry, le sujet de la laïcité et des relations entre la République française et l'Eglise catholique romaine. C'était dans l'émission "Concordance des temps", en mars 2008.

La République et le Vatican, Concordance des temps, 15/03/2008

58 min

Le 8 octobre 2010, Nicolas Sarkozy reprend la route de Rome pour rencontrer Benoît XVI. Officiellement, il souhaite l’entretenir de sa prochaine présidence du G20, mais en réalité, son défi officieux est double : reconquérir son électorat et dissiper le malaise né de sa politique à l'égard des Roms. Pour cela, il va jusqu'à participer à une prière lors de sa seconde visite papale, récitant le Pater Noster, devant la tombe de sainte Pétronille, ce qui constitue une première pour un chef d'Etat français. "L’après-Roms vaut bien une messe", commentait ironiquement Libération.

Trois visites au Vatican pour le pas très religieux François Hollande

François Hollande et le pape François après l'audience vaticane avec les dirigeants de l'UE, 24 mars 2017
François Hollande et le pape François après l'audience vaticane avec les dirigeants de l'UE, 24 mars 2017
© AFP - HO / OSSERVATORE ROMANO

Le 24 janvier 2014, François Hollande, désireux de s'inscrire dans la tradition diplomatique, rencontre pour la première fois le nouveau pape, François. Le climat entre la République française et les autorités vaticanes est tendu, quelques mois après la promulgation du mariage pour tous en mai 2013. Distant avec la religion, le président de la République, élu en 2012, à l’époque de la papauté de Benoît XVI, avait confié à son entourage ne pas vouloir "se précipiter" au Vatican. 

Cette visite, commentait La Croix à son issue, n’avait "brillé d’aucun éclat particulier", s’étant simplement "conformée à ce que le protocole exige[ait]".

C’est l’audience privée de 2016, la seconde, motivée par l’assassinat du père Hamel en juillet de la même année à Saint-Etienne-du-Rouvray, qui marque en fait un "resserrement des liens" avec le Vatican, dans un contexte de terrorisme, mais aussi de crise écologique et migratoire ; autant de sujets sur lesquels les deux chefs d’Etat ont les mêmes positions, comme en témoignent ces propos tenus par François Hollande avant cette rencontre, et rapportés par Le Parisien :

Il est très important que je vienne dire au pape combien nous étions sensibles aux paroles qui ont été prononcées et à l'action qui a été la sienne et qui conforte notre vision de l'humanité.

"Lors de ce long entretien chaleureux, le pape a réaffirmé son soutien et son affection à l'égard de la France - comme il l'avait fait au téléphone le 26 juillet et dans ses différentes interventions après les attentats", assure-t-on ensuite dans l'entourage présidentiel. "L'importance des valeurs de dialogue et de cohésion, partagées par la France et le Vatican, a également été soulignée."

Quant à François Hollande, il insiste dans le cadre de cette rencontre sur le fait que la laïcité est là pour "protéger les cultes" : 

Ce message de la laïcité n'est pas un message qui peut blesser, mais un message qui peut réunir et rassembler.

Enfin, c’est le 24 mars 2017, dans le cadre de la réception par le pape des dirigeants des pays de l’UE pour le soixantième anniversaire du traité de Rome, que les deux François se rencontrent une dernière fois au Vatican.