Laurent Cantet : "On a le sentiment qu'on arrive à la dernière bataille pour Oleg Sentsov"
Par Hélène CombisL'état de santé du cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, qui a débuté une grève de la faim le 14 mai dernier, est alarmant. Christophe Ruggia, Laurent Cantet, Pascale Ferran… à Paris, devant l'ambassade de Russie, ses soutiens lancent une dernière action dans l'urgence : une grève de la faim tournante.
Il y a quatre mois, le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov, condamné en 2015 à vingt ans de réclusion pour "terrorisme" par le tribunal de Moscou, a entamé une grève de la faim. Celui qui s'était engagé contre l'annexion de la Crimée par la Russie ne réclame pas sa propre libération, mais celle de 70 de ses compatriotes détenus en Russie pour des raisons politiques. Aujourd'hui, après 124 jours de jeûne, l'état d'Oleg Sentsov est alarmant : son avocat a fait savoir mardi 11 septembre à ses proches et à ses soutiens que son sang ne charriait plus assez d'oxygène, pouvant conduire à une asphyxie de ses organes. Celui qui avait calculé qu'une grève de la faim sèche lui permettrait de mourir au moment de la finale de la Coupe du monde ne survit aujourd'hui que grâce à deux ou trois cuillères par jour de substituts alimentaires, sachets de glucose, sels minéraux et vitamines, ajoutés à de l'eau sucrée.
En France, un collectif composé de cinéastes, écrivains, romanciers, philosophes etc. a décidé de lancer une action de la dernière chance : réunies devant l'ambassade de Russie, ces personnalités ont organisé une grève de la faim tournante pour marquer leur solidarité avec le combat d'Oleg Sentsov. Ils ont pour eux le soutien de la Mairie de Paris et de la Préfecture de police, ainsi que celui de l'ancienne garde des Sceaux Christiane Taubira, qui a tenu une conférence de presse pour lancer l'action devant quelques journalistes, ce matin du 14 septembre.
Trois ans et demi de mobilisation… pour rien ?
Ce même jour, devant l'ambassade de Russie, quatre soutiens d'Oleg Sentsov orchestrent depuis le banc d'un square voisin la suite à donner à ce mouvement de la dernière chance : les cinéastes Laurent Cantet, Pascale Ferran, Christophe Ruggia, et l'essayiste Raphaël Glucksmann. Egalement co-président de la Société des réalisateurs de films, Christophe Ruggia est la cheville ouvrière du mouvement. Pétitions, textes, lettres au Kremlin, tentative pour faire intervenir Depardieu… il confie que le collectif a fait tout son possible pour essayer de toucher Vladimir Poutine, jusqu'à interpeller des cinéastes russes, comme Mikhalkov, très proche du pouvoir :
Dans "The Trial", le film qui a été tourné par le documentariste russe Askold Kourov sur le procès de Sentsov, on voit Alexandre Sokourov avec toute la Douma. Poutine est à quelques mètres de lui, de l'autre côté du bureau. Sokourov lui tient tête au sujet de Sentsov en lui disant : "Mais moi en tant que cinéaste, ça me bouleverse, je ne peux pas accepter qu'un de mes collègues soit en train de mourir, vous devez faire quelque chose", et Poutine lui répond : "Il n'est pas en prison parce qu'il a fait un film, il est en prison parce que c'est un terroriste." Il y a eu une mobilisation mondiale… Stephen King a envoyé des tweets, Johnny Depp s'était fait photographier il y a quatre ans avec un panneau "Condamné à 20 ans de prison"… Mais ces trois ans et demi de mobilisation n'ont pas permis grand chose, à part de médiatiser l'affaire Sentsov. On a essayé d'intervenir pendant la Coupe du Monde en écrivant à la FIFA : "Vous ne pouvez pas donner la Coupe du monde à un pays alors qu'un cinéaste est en train de mourir, vous devez négocier sa sortie"… Le PEN America a écrit… bref, tout le monde s'est impliqué !
Laurent Cantet : "On a le sentiment qu'on arrive là à la dernière bataille"
C'est le réalisateur d'Entre les murs, Laurent Cantet, qui prend le premier tour de jeûne. S'il est conscient que "le geste peut paraître dérisoire", il sait aussi que c'est une façon de faire savoir à Sentsov qu'il est symboliquement accompagné dans son combat :
Ce combat est évidemment d'abord pour la Crimée… Sentsov a protesté contre l'annexion de la Crimée par la Russie, et on le lui a fait payer en le traitant de terroriste. Depuis, le principal témoin à charge a reconnu avoir parlé sous la torture, ce qui met vraiment à jour que ce qui se joue, c'est la liberté d'expression. Comme son film "Gamer" a eu un vrai succès en Russie, il dérangeait et on l'a accusé de tous les maux. Ce combat pour la liberté de conscience est une des raisons pour lesquelles je suis là, j'avais peur de ne pas pouvoir me regarder dans la glace si je ne participais pas à ça.
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Lancé dans l'urgence, le mouvement n'a pas encore l'existence médiatique qu'il mérite, comme le confie Christophe Ruggia :
Ce qui va être compliqué c'est de faire vivre cet endroit, de faire que ce lieu devienne aussi un carrefour où plein de gens passeront pour parler, lire des textes, témoigner… tout ça est en train de se mettre en place ; on a lancé le mouvement un peu dans l'urgence car les nouvelles de la santé d'Oleg Sentsov étaient mauvaises. On s'est dit qu'il fallait agir coûte que coûte obtenir quelque chose. Je pense qu'on ne bougera pas sans ça.
Si le collectif obtient l'autorisation nécessaire, l'action se poursuivra peut-être sur le parvis de l'Hotel de Ville : "Ce serait assez fort, vu qu'Anne Hidalgo a proposé Sentsov pour être Citoyen d'honneur de la ville de Paris, ça permettrait d'avoir des tentes installées en bas, avec des intellectuels qui vont se relayer…"
De nombreuses figures du monde intellectuel et artistique ont d'ores et déjà prévu de s'inscrire dans le mouvement : l'écrivain Jonathan Littell, la réalisatrice Julie Bertuccelli, l'actrice dissidente russe Dinara Droukarova (qui a joué dans Bouge pas, meurs, ressuscite), la metteuse en scène Anne-Laure Liégeois, la présidente d'Amnesty internationale Cécile Coudriou, le président de la Ligue des droits de l'Homme Malik Salemkour, le cinéaste Jean-Luc Godard, le philosophe et journaliste Michel Eltchaninoff, l'ambassadeur pour les droits de l'Homme François Croquette, ou encore le philosophe Slavoj Žižek…