Le Brésil en proie aux démons du racisme

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Le Brésil en proie aux démons du racisme

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Manifestation de protestation le 22 novembre 2020 à São Gonçalo (Etat de Rio), après la mort d'un homme noir tué par des vigiles d'un magasin Carrefour à Porto Alegre.
Manifestation de protestation le 22 novembre 2020 à São Gonçalo (Etat de Rio), après la mort d'un homme noir tué par des vigiles d'un magasin Carrefour à Porto Alegre.
© Maxppp - Antonio Lacerda

Le monde dans le viseur. La mort de João Alberto Silveira Freitas, un homme noir de 40 ans tabassé par deux vigiles blancs à l'entrée d'un magasin Carrefour à Porto Alegre, a suscité l'indignation dans le pays. Les Nations unies n'hésitent pas à dénoncer un racisme structurel au Brésil.

La photo a été prise par le photographe Antonio Lacerda pour l'agence EPA, le 22 novembre, à São Gonçalo, dans l'État de Rio. Sur le rideau métallique blanc baissé a été accrochée une banderole de tissu noir. En lettres majuscules blanches et rouges est écrit "La fureur noire ressuscite de nouveau". Sur la gauche de la photo, un adolescent s'est installé dans un chariot de supermarché. Vêtu d'un tee-shirt rouge vif et d'un short noir, il a les yeux baissés ; un masque noir lui couvre la moitié du visage.

Le jeune homme apparaît abandonné, délaissé. Dans sa main gauche, une pancarte en carton sur laquelle sont inscrits "Sans justice, pas de paix" et "Justice pour Beto".

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Beto, c'est le surnom de João Alberto Silveira Freitas, cet homme noir de 40 ans qui a été jeté à terre et tabassé jusqu'à en mourir par deux vigiles blancs d'un magasin Carrefour à Porto Alegre, dans le sud du Brésil, le 19 novembre 2020. Des images d'une violence inouïe, comme le montre la vidéo d'un témoin de la scène.

Triste coïncidence, ces faits se sont déroulés à la veille du Jour de la conscience noire dans le pays. Sa mort a provoqué de nombreuses manifestations accompagnées de violences et de revendications pour dénoncer le racisme à l'encontre de la population noire au Brésil.

Un message politique

Anthony Micallef est frappé par la composition de cette image. Pour le photoreporter indépendant qui a travaillé pour Paris-Match, Le Monde ou encore La Croix, "dans un cliché, le plus important est l'espace qu'on donne aux choses". "Dans la composition et le cadrage d'une photo de reportage, précise-t-il, il y a un lien permanent entre la manière dont on construit notre image et ce qu'on veut raconter."

Visiblement, le photographe Antonio Lacerda a laissé beaucoup de place au message politique.

"Et ce n'est pas un hasard, estime Anthony Micallef, car on voit bien qu'on a affaire à un correspondant d'agence, un Brésilien qui vit sur place et qui sait exactement de quoi il parle, ce qu'il photographie et ce que cela signifie."

"Dans cet espace, l'adolescent n'occupe que 20 % de l'image. Le message politique occupe une grande part."
"Dans cet espace, l'adolescent n'occupe que 20 % de l'image. Le message politique occupe une grande part."
© Maxppp - ANTONIO LACERDA

"Il y a un grand vide dans l'image, ce qui donne une impression d'asymétrie et de rapport de forces, détaille le photoreporter. Dans cet espace, l'adolescent n'occupe que 20 % de l'image. Il devient minoritaire, par le reste de la photo. Ensuite, il y a cette banderole en arrière-plan avec ces mots très forts affirmant que la colère noire est en train de renaître." Enfin, poursuit Anthony Micallef, "l'adolescent tient à la main ce petit bout de carton qui semble signifier qu'on ne leur rendra jamais justice, le tout dans une attitude de résignation"

La colère et la résignation sont les clés de cette image.

"L'adolescent tient à la main ce petit bout de carton qui semble signifier qu'on ne leur rendra jamais justice, le tout dans une attitude de résignation."
"L'adolescent tient à la main ce petit bout de carton qui semble signifier qu'on ne leur rendra jamais justice, le tout dans une attitude de résignation."
© Maxppp - ANTONIO LACERDA

Une contradiction manifeste dans la communauté noire au Brésil comme aux États-Unis, la résignation n'étant pas tant politique qu'économique. C'est la raison pour laquelle l'image de cet enfant enfermé dans un chariot est forte : la révolution est tenue par l'économie, ajoute Anthony Micallef. "Quand on ne sait pas si on va pouvoir nourrir sa famille demain on a du mal à aller manifester."

Un racisme structurel

Selon la police, c'est une altercation entre João Alberto Silveira Freitas et un salarié du magasin qui serait à l'origine du passage à tabac. Les deux vigiles, âgés de 24 et 30 ans, ont été arrêtés et placés en détention. 

La filiale brésilienne de Carrefour a déclaré regretter "la mort brutale" de João Alberto Silveira Freitas. Le groupe français a assuré avoir pris aussitôt toutes les mesures appropriées et a annoncé la création d'un fonds de 4 millions d'euros pour la promotion d'actions contre le racisme au Brésil.

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La mort de João Alberto Silveira Freitas a aussitôt suscité une vague de protestations dans le pays avec des manifestations à Porto Alegre, à Brazilia, Rio de Janeiro ou encore São Paulo. Sur les banderoles, on pouvait lire des slogans comme "Les mains de Carrefour sont souillées de sang noir". Les manifestants ont aussi distribué des autocollants avec le logo du groupe français tâché de sang ; ils ont appelé au boycott de ses produits. Plusieurs supermarchés de la marque ont également été pris pour cible.

Pour la famille de la victime, il n'y a aucun doute : "Il s'agit bien d'un acte de racisme", explique le père de João Alberto Silveira Freitas.

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Les Nations unies ont, elles, dénoncé l'existence d'un "racisme structurel" au Brésil et demandent qu'une enquête indépendante soit menée. Selon Ravina Shamdasani, une porte-parole du Bureau des droits de l'homme de l'ONU à Genève, "ce meurtre est un cas extrême mais qui reflète malheureusement la violence récurrente envers la population noire au Brésil". Les Nations unies rappellent que sur 100 homicides dans le pays, 75 victimes sont des personnes noire, selon les données officielles.

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Le quotidien brésilien O Globo déplore que "L'assassinat de João Albero Silveira Freitas [soit] une tragédie récurrente au Brésil, dernier pays des Amériques à avoir aboli l'esclavage en 1888, où les Noirs sont la cible préférée de la violence des vigiles et des policiers".