Le CSA, tout un débat

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Le CSA, tout un débat

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Le CSA, tout un débat
Le CSA, tout un débat
© AFP - JACQUES DEMARTHON / AFP

Alors que les contours de la nouvelle instance qui fusionnera la Hadopi et le CSA commencent à prendre forme, le Conseil d’État a condamné cette semaine le Conseil supérieur de l’audiovisuel à indemniser C8 à hauteur de 1,1 M€, estimant que la sanction infligée à la chaîne avait été démesurée.

Un CSA aux missions renforcées donc, mais qui doit être vigilant à ne pas dépasser les limites que sa compétence lui donne.

La très attendue loi relative à la « communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique », future « loi audiovisuelle », devra permettre au CSA d’élargir ses missions au-delà de la radio et de la télévision pour contrôler les plateformes. 

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Néanmoins, nombreuses sont les affaires qui mettent régulièrement cette institution sous le feu de l’actualité. Les « gendarmes de l’audiovisuel » sont saisis de sujets brûlants, depuis les remous de la convention conclue avec la chaîne du Hezbollah Al-Manar en 2004 jusqu’aux sanctions tenues à l’encontre de « Touche Pas à Mon Poste » sur C8. Retour sur une instance de régulation bien particulière.

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, régulateur des médias audiovisuels

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) est une autorité administrative indépendante en charge de la régulation des médias : radios et télévisions. Cette instance, composée de 7 membres, est garante de la qualité et de la diversité des programmes, du développement de la production et de la création audiovisuelles, de la défense et de la promotion des programmes en langues française et européennes. 

Le CSA dispose de compétences très variées, pouvant aller des sanctions à l’encontre des chaînes aux recommandations qu’il leur transmet ; il peut, à cet égard, formuler des propositions pour l’amélioration de la qualité des programmes. Il contrôle le respect des obligations de production des chaines de télévision, les quotas des musiques francophones diffusées à la radio ; il veille à l’équité et à la répartition du temps de parole des représentants politiques en période électorale. 

Genèse et principes guidant le Conseil 

L’histoire du Conseil supérieur de l’audiovisuel est indissociable de notre histoire des médias audiovisuels, des secteurs radiophoniques d’une part et de l’économie des chaînes de télévision d’autre part. Le CSA s’inscrit ainsi dans une double logique : l’adaptation aux évolutions techniques de la société, induite par l’ouverture des fréquences hertziennes au secteur privé notamment, qui doit être mise en regard des libertés politiques, en particulier la liberté d'expression et la liberté de communication audiovisuelle.  

Une Haute autorité de la communication audiovisuelle avait été instituée en ce sens en 1982 ; avec la fin du monopole d’État sur les services audiovisuels, cette autorité visait à « garantir l’indépendance du service public de la radiodiffusion sonore », ainsi que l’octroi des autorisations et de distribution des fréquences par voies hertziennes. On lui substitue bientôt, en 1986, la Commission nationale de la communication et des libertés, avant que le Conseil supérieur de l’audiovisuel actuel lui succède, par la loi du 17 janvier 1989 relative à la liberté de communication. Refondée ainsi à plusieurs reprises, la naissance du CSA révèle sa difficulté pour obtenir son indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. 

La loi qui institue le CSA lui fixe un objectif alors novateur, dans une époque où les ondes sont à peine libéralisées. Ainsi, l’article 1er assigne à ce CSA naissant une série d’objectifs et de principes, au premier rang desquels la liberté de la communication audiovisuelle :

La communication audiovisuelle est libre. (...) Le Conseil supérieur de l'audiovisuel, autorité indépendante, garantit l'exercice de cette liberté dans les conditions définies par la présente loi. Il assure l'égalité de traitement ; il garantit l'indépendance et l'impartialité du secteur public de la radiodiffusion sonore et de la télévision ; il veille à favoriser la libre concurrence ; il veille à la qualité et à la diversité des programmes, au développement de la production et de la création audiovisuelles nationales ainsi qu'à la défense et à l'illustration de la langue et de la culture françaises. Il peut formuler des propositions sur l'amélioration de la qualité des programmes. Article 1 de la Loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication.

Composition et nomination des membres du Collège

Depuis la réforme introduite par la loi du 15 novembre 2013, le Conseil supérieur de l’audiovisuel se compose de 7 membres : le Président, nommé par le Président de la République, entouré de 6 membres désignés pour moitié par le Président de l’Assemblée nationale et pour moitié par le Président du Sénat. Cette désignation est adoptée dans chaque chambre après un vote conforme de la commission en charge des affaires culturelles.

Ce collège, renouvelé par tiers tous les deux ans, est nommé pour un mandat de six années à l’issu duquel les membres ne peuvent voir renouvelé leur siège. Pour renforcer l’indépendance de ses membres, une année de carence leur est imputée au terme de leurs fonctions.

Néanmoins, cette procédure cache mal les dissensions qui émergent à chaque nouvelle nomination. En 2017, la nomination de Carole Bienaimé-Besse, proposée par Gérard Larcher, Président du Sénat, avait suscité des remous. D’abord contestée sur un vice de fond en raison de la gestion de sa société de production, bientôt démentie par la candidate, plusieurs sénateurs ont ensuite dénoncé l’opacité des candidatures. Le sénateur David Assouline déplorant : « des candidatures arrivent, on ne sait pas lesquelles. Il n’y a jamais de confrontation, de choses qui permettent en toute indépendance de choisir » [1]. Finalement, l’avis conforme n’est pour les parlementaires que formel et cette procédure peine à trouver un véritable ancrage démocratique.

Une régulation « souple » de l’écosystème audiovisuel

Le portefeuille des missions du CSA est étendu à l’ensemble des domaines qui incombe aux secteurs radiophoniques et télévisés. À cet effet, il est le garant des ondes et des fréquences hertziennes, autant que les services distribués par satellite, par câble ou par l’ADSL. Son rôle consiste par exemple, s’agissant des chaînes diffusées en analogique ou en numérique par voie hertzienne, à passer des appels d’offres permettant aux télévisions et radios locales, régionales, nationales, d’émettre les programmes avec la couverture prédéfinie. 

Par la suite, le CSA délivre une autorisation et conclut une convention avec la chaîne. Les conventions conclues entre le CSA et les acteurs audiovisuels constituent un mode d’action moderne qui permet une régulation plus souple de ces secteurs, plus efficace parfois que la seule voie réglementaire, plus rapide encore que les accords interprofessionnels, souvent difficiles à conclure. 

Il est encore un médiateur : c’est lui qui tranche les litiges qui peuvent survenir entre les éditeurs de programmes (les chaînes télévisées) et les distributeurs (bien souvent, les opérateurs télécoms, les FAI : fournisseurs d’accès à Internet). Il arbitre et ce faisant, participe à la régulation des équilibres économiques entre ces acteurs. En vertu de l’article 3-1 de la loi de 1986, il est des missions du CSA que d’appuyer son action sur des mécanismes de conciliation entre producteurs et diffuseurs.

Hormis les réseaux câblés, dont la gestion a été octroyée à l’ ARCEP (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes), le CSA est l’autorité compétente pour contrôler les distributeurs de services audiovisuels via les autres canaux : satellites, ADSL, etc. Illustration de sa perpétuelle adaptation aux innovations et aux technologies qui voient le jour, le CSA accompagne la mise en œuvre du DAB+, cette technologie de la radio numérique terrestre, offrant une meilleure qualité sonore et une homogénéité de réception sur tout le territoire. Le CSA a ainsi délivré, le 6 mars 2019, la liste des 24 radios qui seront autorisées à émettre en DAB+ dès 2020 [2].

Enfin, le CSA dispose d’un spectre très large de moyens permettant la défense du pluralisme, la diversité dans les programmes, la défense de l’égalité entre les hommes et les femmes, la protection de la jeunesse. Il peut formuler des propositions pour améliorer la représentativité des programmes, imposer le respect des quotas de diffusion des musiques francophones à la radio, il veille encore à l’équité des temps de paroles de tous les représentants politiques en période électorale. De nombreux rapports sont ainsi publiés chaque année ; un « Observatoire de la diversité » a par ailleurs été institué, qui met en lumière un baromètre de la représentation des diversités à la télévision, accompagné de recommandations pour une plus grande représentativité de la société française dans les programmes. 

Tous ces mécanismes participent à la régulation de l’économie audiovisuelle moyennant une forme de droit souple, qui s’accompagnent néanmoins de prérogatives de sanctions prévues par la loi. 

Le « gendarme de l’audiovisuel »

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel est une autorité administrative indépendante [3] ; un jargon administratif étrange, mais dont la catégorie demeure déterminante pour comprendre l’étendue de ses prérogatives. Ainsi, outre les pouvoirs précédemment présentés (pouvoirs d’avis ou de recommandation, pouvoir de décision individuelle [4]), le CSA est doté d’un pouvoir de réglementation et d’un pouvoir de sanction

Si la question de son pouvoir réglementaire effectif reste débattue [5], il est certain qu’à travers son pouvoir de sanction, le CSA dispose d’un arsenal juridique lui permettant de mener à bien les objectifs qu’il poursuit. À ce titre, le CSA revêt ainsi le caractère de tribunal [6] lorsqu’il prend des sanctions à l’égard des chaines.

Néanmoins, son pouvoir de sanction n’est jamais celui d’une censure a priori envers un programme ; il est de fait toujours précédée au moins d’une mise en demeure, si ce n’est d’une mise en garde, à valeur d’avertissement. 

Cette méthode graduée ne méconnaît qu’une exception au retrait d’autorisation sans demeure préalable, dans le seul cas où une « modification substantielle des données au vu desquelles l’autorisation avait été délivrée » [7]. C’est sur cet article que s’est notamment appuyé le CSA pour suspendre l’autorisation de la chaîne Numéro 23. On se souvient de l’affaire : en octobre 2015, le CSA suspend la chaîne au motif que la délivrance de la fréquence relevait d’une spéculation financière, en vue de son rachat par le Groupe NextRadioTV. Cette affaire, hautement politique, avait finalement été tranchée par la Conseil d’État, dont la décision faisait valoir l’absence de preuve visant à « démontrer que l’intéressé aurait eu pour seul objectif de réaliser une plus-value lorsqu’il a présenté sa candidature » [8]. On le voit ici, le pouvoir de sanction ne demeure toutefois pas absolu et des contrepouvoirs permettent de circonscrire l’étendue de l’autonomie du CSA.

La palette des outils dont il dispose pour faire exécuter ses décisions est variée : ses sanctions embrassent tout autant la suspension de diffusion, la réduction de la durée de l’autorisation de diffusion, des sanctions financières comme l’interdiction de publicité.

En synthèse, le CSA dispose de prérogatives très larges, et concernent tout autant la nomination des dirigeants de l’audiovisuel public, la délivrance des autorisations pour les fréquences ; il est le garant d’un contrôle a posteriori des programmes diffusés ; encore, il produit les normes des nouvelles techniques et de leurs usages.

Le CSA doit-il nommer les présidents des groupes audiovisuels publics ?

Cette question ne s’est pas posée pendant longtemps, en raison du lien de dépendance entre l’exécutif et les chaînes de radios et de télévisions nationales. Les grandes lois de réformes de l’audiovisuel public en 1982, puis en 1986, font office de véritable révolution juridique : elles permettent de mettre un terme à ce lien de dépendance. 

Il faut le rappeler : pour la première fois apparaît l’affirmation du principe de liberté et d’indépendance pour la communication. L’article 1er affirme ainsi : « La communication au public par voie électronique est libre ». Par la suite, la création de l’autorité administrative en charge de la nomination des présidents des sociétés nationales de programme n’écarte toutefois pas l’intérêt suscité par ces nominations aux yeux de l’exécutif. La question qui se pose est alors celle-ci : jusqu’à quel point le CSA peut-il nommer seul ces présidents ?

De nombreux débats ont lieu, jusqu’en 2009. Cette année-là, Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, annonce en même temps la suppression de la publicité sur les chaînes de télévision publique et le changement du mode de nomination des présidents des chaînes publiques. Désormais, la nomination des sociétés nationales de programme devient une prérogative présidentielle. L’équilibre des pouvoirs en est transformé : l’actionnaire possède le pouvoir de nomination – en l’espèce, l’État – et le CSA le pouvoir de contrôle. 

La loi du 5 mars 2009 oppose toutefois une limitation à ce pouvoir présidentiel de nomination du président des chaînes publiques de programme : un filtre des commissions parlementaires est institué, qui requiert une opposition de deux tiers des membres de la commission en charge de la culture. Le CSA, quant à lui, dispose d’un droit important : après audition du candidat retenu, il doit donner un avis conforme [9] pour valider la nomination, équivalent à un co-nomination. Cette procédure juridique offre alors la possibilité au CSA de bloquer une nomination. Il faut souligner que le Conseil Constitutionnel n’avait pas censuré la loi, estimant ainsi que les garanties de contrôle étaient suffisantes.

Lorsque François Hollande arrive à la tête de l’État, une nouvelle loi en 2013 réalloue le pouvoir de nomination des dirigeants de l’audiovisuel public aux mains du CSA [10].

Le débat n’est toutefois pas vain. Dans le fond, les partisans d’une séparation du mode de nomination des présidents des groupes audiovisuels publics d’avec l’autorité régulatrice de ces secteurs est peut-être saine. En effet, dans la mesure où le CSA contrôle, vérifie la conformité des engagements, ou encore sanctionne les manquements aux obligations des chaines, il n’est pas incohérent de détacher la main qui choisit d’avec celle qui juge et le cas échéant, punit.

Les contours du projet de loi audiovisuel laissent penser que ce mode de nomination serait à même d’évoluer vers « une nomination par les conseils d'administration des entreprises de l'audiovisuel public » selon le ministre de la Culture, Franck Riester.

Le CSA doit-il être démocratique ? Les nouvelles exigences sociétales

Une peinture qui commence à s’esquisser. On l’a vu, le CSA est, par sa nature même, indissociablement lié à plusieurs injonctions de l’exécutif. L’audiovisuel demeure une compétence solidairement partagée entre le CSA et le Gouvernement. En témoigne l’importance de l’exécutif dans la détermination du taux de la redevance ; dans la fixation du cahier des charges des sociétés nationales de programme comme de leurs missions ; dans l’établissement de l’essentiel des règles relatives à l’audiovisuel public et privé – qui passe le plus souvent par décret. Le CSA, balancé par cet équilibre des pouvoirs, est d’un autre côté sous le joug des évolutions sociétales et démocratiques.

Le CSA est confronté à la difficulté de concilier un ensemble d’exigences, parfois antagonistes et contradictoires, propres à nos sociétés contemporaines. La transparence, l’horizontalité, l’équité, la participation et l’engagement citoyens, sont autant de principes qui doivent aujourd’hui guider nos institutions. En outre, la présence des médias audiovisuels dans notre quotidien, doublé du rôle fondamental que jouent les médias pour la démocratie - en termes de qualité de l’information, de représentation, de cohésion sociale, - impliquent pour le CSA une lourde responsabilité. Celle d’orienter, de structurer, de cadrer le paysage audiovisuel et les limites apportée par la loi s’agissant des discours de haine, de lutte contre les discriminations et les stéréotypes, les fausses informations.

Entre le paternalisme doux et les sanctions, l’action du CSA doit faire prendre la mesure de la responsabilité éditoriale des chaînes – avertissement à celles dont les débats glissent inéluctablement vers les chemins de la controverse, recommandations envers des chaînes pour participer davantage à la représentativité sociale, etc. Le CSA encourage ces exigences légitimes et nouvelles des citoyens, et accompagne les chaînes de l’audiovisuel à creuser leur propre sillon à l’aune de ces mutations.

À l’inverse, ces demandes sociétales sont elles-mêmes sujettes à un délicat équilibre entre le heurt de sensibilités contraires, la liberté d’expression et l’indépendance éditoriale des chaînes. C’est pourquoi la frontière est souvent poreuse, entre l’indignation légitime suscitée par des propos ou des comportements outrageux de certains programmes et celle qui est heurtée par la défense d’opinions contraires à nos croyances. Un champ miné de questions philosophiques constitue le terreau sur lequel le CSA avance prudemment.

Fausses informations vs. qualité de l’information ; indépendance des médias vs. responsabilité sociétale ; liberté d’expression vs. protection des personnes (diffamation, injure, discrimination, atteinte à la vie privée). Tous ces débats contemporains doivent être embrassés et saisis par le CSA qui, en échange, doit tendre l’oreille vers le bruit qui parfois gronde d’une société au hashtag instantané. 

Aussi, les formes nouvelles de relation entre le CSA et les usagers de l’audiovisuel marquent du même coup les limites de la participation directe des citoyens à la régulation de ce secteur. Il faut tout de même saluer les évolutions positives induites par le CSA : la possibilité de saisir et d’alerter le régulateur sur un programme en est un marqueur éloquent. En 2017, près de 90.000 saisines avaient été faites, le double de l’année 2016 (38.000 saisines), bien plus encore qu’en 2015 (quelques 9.000 saisines). 

Il faut se féliciter de la vigilance des citoyens à l’égard des dérives qui surviennent au cours des programmes. Néanmoins, le CSA doit bien se garder d’être le siège du tribunal des indignations. Plusieurs affaires récentes ont témoigné de ce délicat équilibre entre la prise en compte des saisines des citoyens face à des programmes et la justice, qui pour être rendue, implique d’être hermétique aux seuls faits et principes guidant sa décision. En mai 2017, un canular qualifié d’homophobe avait créé une polémique conduisant à plusieurs milliers de signalements au CSA. Une association de protection des personnes homosexuelles, Le Refuge, avait confié avoir reçu l’appel d’une des personnes visées par canular, à la suite duquel le CSA avait alors décidé de sanctionner la chaîne à hauteur de 8 M€. Le CSA méconnait-il la procédure judiciaire ? Une enquête publiée dans le journal L’Express révèle qu’il n’y avait en fait jamais eu d’appel de victimes. Néanmoins, en dépit de l’absence de cette circonstance, le programme ne s’exempt toutefois pas de l’atteinte au respect de la vie privée, comme de sa responsabilité dans la propagation de clichés et de stéréotypes.

Entre les attentes des citoyens et les injonctions prononcées à l’encontre des chaînes, le CSA danse en équilibre sur le fil de l’impartialité et de l’harmonie des principes et des exigences constitutionnels. C’est pourquoi le rôle du Conseil d’État demeure primordial, en garantissant les excès de pouvoir qui ne manquent pas de subvenir. La décision du Conseil d’État de corriger, à hauteur de 1,1 M€, les pertes induites par l’absence de publicité sur la chaîne pendant une semaine sur C8, manifeste ce contre-pouvoir à la puissance de sanction dont dispose le CSA. 

Le CSA est mort, vive l’ARCOM !  

La future loi audiovisuelle, dont le projet de loi sera étudié au Parlement au printemps 2020, aura pour objectif l’actualisation des normes régissant le secteur audiovisuel au regard des mutations profondes depuis la loi de 1989. Il faut se souvenir que le paysage audiovisuel se composait alors d’une poignée de chaînes de télévision. Aujourd’hui, le marché se caractérise par une profusion de l’offre et des bouquets disponibles, complété par les opportunités attachées au développement des plateformes de vidéo à la demande et de streaming. Le système de financement de la création, en partie alimenté par les obligations des éditeurs, doit être réformé, adapté, modernisé face à ces nouveaux enjeux.

L’actualisation des normes de ce secteur s’accompagnera également d’une modernisation de ses régulateurs. Aussi, il est prévu de rassembler en une même instance le CSA et la Hadopi, la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur internet. Cette nouvelle autorité, appelée ARCOM (pour Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique)[11], « disposera de nouveaux pouvoirs attribués par la loi récemment adoptée pour lutter contre les infox et la loi Avia contre les propos haineux en ligne ». Toutefois, le rapport de force dans la fusion de ces deux régulateurs semble être déséquilibré, et l’ avis rendu par la Hadopi semble en demi-teinte sur ce point, révélant qu’« il s’agit moins d’une fusion de deux autorités que d’une absorption de l’Hadopi par le CSA » [12], déplorant notamment le terme anticipé de 6 des 9 mandats de son collège. 

Initialement, le projet de fusion visait également à englober l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes, garant de la neutralité des distributeurs et d’Internet. Pour le moment circonscrite aux deux instances de régulation que sont le CSA et la Hadopi, la fusion puise son fondement dans la « convergence des contenus entre Internet, la télévision, la radio » selon le ministre de la Culture. 

Le CSA face aux plateformes internationales : Netflix, publicité segmentée, directive SMA

L’un des objectifs de cette loi sera bien sûr de rectifier la distorsion de concurrence qui pèse sur les acteurs audiovisuels nationaux et les acteurs extra-territoriaux. Les premiers sont effet assujettis à des obligations lourdes en matière de financement et de participation à la création (part de production d’œuvres indépendantes, part de films diffusés en langue française ou européenne, etc), tandis que les seconds, en dépit d’une part de marché non négligeable sur le territoire national, ne sont pas soumis à ces obligations. Associer les services de médias audiovisuels au régime contributif est une grande avancée. Toutefois, de nombreux points demeurent incertains, en particulier l’assiette sur laquelle pourra être déterminée la mise à contribution de ces SMAD, le calcul pouvant différer sensiblement que l’on s’appuie sur le chiffre d’affaires de l’entreprise ou sur le bassin d’audience de la société.

L’une des voies par lesquelles sera rectifiée cette distorsion réside dans le renforcement du pouvoir de conventionnement octroyé au CSA. Ses prérogatives de conventionnement pourraient être étendues aux plateformes de vidéo à la demande, fixant ainsi des objectifs qui concourent à ceux qui sont actuellement en vigueur pour les acteurs audiovisuels nationaux. C’est en particulier Netflix qui est en filigrane visé par cette loi, puisqu’avec ses 6 millions d’abonnés en France, il est l’un des acteurs majeurs de la production cinématographique et audiovisuelle. Le CSA, dans un avis non encore rendu public, souhaite que le projet de loi fasse mention explicitement de la convention que l’ARCOM serait amené à conclure avec les services de médias audiovisuels, dans le but de consacrer le respect de l’obligation de participation financière.

La future loi audiovisuelle devra contenir plusieurs volets qui pourraient entraîner le renforcement des missions du CSA. En particulier, la loi inclura la transposition de la directive européenne sur les Services de médias audiovisuels, dite directive SMA. La transposition de cette directive établira les modalités des obligations auxquelles seront soumis les services de vidéo à la demande, s’agissant de leur participation au financement de la production audiovisuelle et au cinéma, ainsi qu’à la part de leur catalogue réservé aux productions européennes. La loi détaillera certainement ce dernier point, puisque le fond de catalogue importe peu dans cet esprit : il faudra plutôt qu’une part importante d’œuvres européennes soit suffisamment mise en valeur. Le CSA, traduit en ARCOM, aura-t-il dès lors la compétence du contrôle de ces obligations par les plateformes ? 

La loi relative à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique devrait en outre introduire un certain nombre de dispositions nouvelles concernant le renforcement des droits des auteurs. Par ailleurs, dans l’optique de rééquilibrer les efforts consentis envers la création, entre les plateformes et les éditeurs traditionnels, plusieurs mesures viseront à alléger les contraintes qui pèsent jusque-là sur ces chaines de télévision. En particulier, la publicité segmentée comme la publicité géolocalisée pourraient être autorisées à la télévision, permettant de générer des recettes publicitaires plus importantes, sur le modèle de la publicité ciblée telle qu’elle se pratique en ligne. Si des initiatives avaient pu être conduites ces dernières années de façon ponctuelle, le CSA devra sans aucun doute assurer un contrôle de cette ouverture pour mesurer les conséquences d’une telle mesure.

Enfin, dans l’esprit de la transposition de la directive SMA, le CSA pourra être amené, conformément à sa mission de protection de la jeunesse, à avoir un rôle accru concernant la protection des mineurs face aux contenus pornographiques. L’élargissement de son champ de compétences aux plateformes ouvre un spectre d’actions envisageables pour renforcer les mesures de protection de la jeunesse à la pornographie. Les plateformes d’échanges de vidéo qui ne respecteraient pas les obligations de protection des mineurs [13], pourraient faire l’objet de sanctions financières de la part du CSA.

Une modernisation plus incertaine pour le secteur radiophonique

Un avis du CSA, non encore signé par son Président, déplore que le projet de loi ne contienne presque pas de dispositions relatives au secteur radiophonique. En particulier, peu de dispositions concernant le souhait de rééquilibrer, sur le secteur radiophonique, la distorsion existant cette fois entre les obligations des radios et l’absence de contraintes régissant les plateformes de streaming et de vidéo-musiques. Point de mesures annoncées, en l’état, visant à soumettre ces plateformes aux quotas de titres francophones ou à la promotion de la diversité culturelle.

Néanmoins, la volonté de faire de l’ARCOM l’instance de référence s’agissant de la régulation des plateformes en ligne, laisse penser que des mesures pourraient être présentées, concernant l’exposition de la musique francophone et de promotion de la diversité culturelle. La loi relative à la Liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (ou loi LCAP) du 7 juillet 2016 avait en effet adapté le régime des quotas pour les radios : une typologie plus fine des critères de diffusion, en fonction de la nature des radios, avait permis d’offrir une certaine souplesse sur les titres francophones et sur la part de nouveautés diffusées. Faut-il introduire de telles mesures pour les plateformes de streaming ? La concurrence est réelle entre les radios et les webradios, soumises à des quotas contraignants, et les services de musique en ligne de plus en plus plébiscités par les citoyens.

Par ailleurs, la promotion de la diversité musicale sur les plateformes de streaming est un enjeu aujourd’hui bien qualifié par plusieurs études, qui ont montré les risques de concentration ou les effets de starsystem dans les playlists éditorialisées ainsi que dans les algorithmes de recommandation. L’enjeu pour le CSA consistera à l’avenir, à faire entrer les plateformes dans une logique de partenariat – ce qui est déjà plutôt le cas – dans le but de définir des objectifs visant à promouvoir la diversité culturelle de façon effective : mettre en avant les titres francophones, les nouveaux talents, etc. De cette relation nouvelle, l’ARCOM pourrait être chargée, sur la base de ses observations, des recommandations aux services de streaming.

Enfin, le CSA et bientôt l’ARCOM, devront pouvoir être capables d’observer et de mesurer les évolutions des pratiques de ces secteurs ; par conséquent, le renforcement de sa mission d’observation et d’études prend tout son sens à l’heure où les mutations des pratiques et de l’offre s’opèrent très rapidement. Anticipant cette nouvelle prérogative de régulation des services de médias audiovisuels en ligne, qui pourrait venir muscler ses missions, le CSA a publié, le 12 novembre dernier, une étude sur l’algorithme des vidéos automatiques de Youtube [14]. Cette étude visait à analyser le sens de la « lecture automatique » lors du visionnage de Youtube et les conséquences quant aux opinions qui y sont déployées. Souvent accusé de montrer des vidéos dans lesquelles les mêmes opinions y sont défendues, renforçant l’effet « bulle de filtre » (encore appelée « chambre d’écho ») des outils algorithmiques, l’étude avait pour ambition d’étudier le rôle joué par la plateforme dans ce versant démocratique. Les résultats révèlent ainsi que 44 % des vidéos en lecture automatique se fondent sur les mêmes opinions que les précédentes. Néanmoins, l’un des éléments les plus intéressants à souligner réside dans le constat qu’à partir de la 3ème vidéo visionnée, un « pivot » est enclenché, où « l’algorithme semble définitivement dévier du thème de départ » pour indexer prioritairement « des vidéos de plus en plus populaires (nombre de vues) et de plus en plus récentes » [15]. Youtube s’est alors défendu en indiquant que l’algorithme sur lequel repose l’étude du CSA a été modifié de nombreuses fois depuis les observations de 2017.

Le CSA à l’aube d’une page nouvelle

Le CSA est un acteur incontournable et indispensable aujourd’hui dans la régulation des secteurs audiovisuels. L’importance qu’il revêt pour la démocratie est indéniable. Garant du flux continu d’informations, de programmes, de productions qui transitent sur les ondes hertziennes, les fréquences et bientôt peut-être, sur les réseaux numériques, le CSA possède une place particulière parmi les régulateurs du paysage institutionnel français.

Si la future « loi audiovisuel », très attendue, aura des conséquences structurelles sur l’économie de l’audiovisuel et la régulation des plateformes, de nombreux points demeurent à ce stade aveugles. Ces incertitudes concernent notamment les télévisions locales, les problèmes de concentrations dans le secteur audiovisuel, l’octroi des fréquences liées à la disparition des chaînes de France 4 et France Ô sur la TNT, ou encore la garantie des auteurs et des créateurs face à la pratique du « buy-out » des plateformes, qui renie les principes du droit moral et patrimonial. 

Sur ces sujets, le projet de loi devra définitivement apporter de nouvelles réponses. Il n’en demeure pas moins vrai qu’en l’état, l’octroi de nouvelles compétences à la future ARCOM est le signe que le CSA, du haut de sa trentaine, n’a pas fini de faire la une des médias audiovisuels.

NOTES

  • [1] Capucine Truong, « Carole Bienaimé-Besse nommée au CSA malgré la controverse », Public Sénat, 25 janvier 2017. 
  • [2] La radio numérique terrestre en DAB+
  • [3] La loi du 20 janvier 2017 a créé, au sein des autorités administratives indépendantes (AAI), les autorités publiques indépendantes (API). Le CSA compte par les 8 API ainsi instituées.
  • [4] Comme par exemple la désignation des directeurs des groupes de l’audiovisuel public.
  • [5] La création normative du CSA n’est pas une évidence. Néanmoins, la décision du Conseil Constitutionnel (DC, Loi relative à la liberté de communication, 18 septembre 1986), rappelant que la Constitution établit que le pouvoir réglementaire est exercé par le Premier Ministre, considère cependant qu’il n’y a pas « obstacle à ce que le législateur confie à une autorité de l'État autre que le Premier ministre, le soin de fixer, dans un domaine déterminé et dans le cadre défini par les lois et règlements, des normes permettant de mettre en œuvre une loi ».  Un article paru dans les Cahiers du Conseil Constitutionnel (Janvier 2006, N° 19) appuie en outre la thèse d’un réel pouvoir réglementaire, par le biais des « recommandations » produites, formes camouflées de ce pouvoir normatif : « ces recommandations peuvent en développer les implications nécessaires et sont déférables au juge de l'excès de pouvoir » (CE, 18 sept. 2002, Association Promouvoir, AJDA 2003, p. 745, note F. Julien-Laferrière).  Une limite est toutefois posée au pouvoir réglementaire, prévoyant que cette habilitation ne puisse concerner « que des mesures de portée limitée tant par leur champ d'application que par leur contenu » (DC, 17 janvier 1989, Conseil Constitutionnel).
  • [6] Au sens de l’article 6-1 de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH).
  • [7] Article 42-3 de la Loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. 
  • [8] Conseil d’État, arrêt « Société Diversité TV France », 30 mars 2016.
  • [9] C’est l’avis le plus exigeant en droit public, considéré comme une co-nomination. Un degré inférieur aurait consisté à octroyer le pouvoir de nomination au Président de la République, sur proposition du CSA. Dans la première configuration, le droit d’opposition vaut presque décision.
  • [10] Loi du 15 novembre 2013 relative à l'indépendance de l'audiovisuel public.
  • [11] Ar-Com.fr     
  • [12] NextInpact, “Piratage : les pistes d’Hadopi pour aiguiser le projet de loi audiovisuel”, 28 octobre 2019.  
  • [13] Telles qu’édictées à l’article 227-24 du Code Pénal : « Le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support un message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ou à inciter des mineurs à se livrer à des jeux les mettant physiquement en danger, soit de faire commerce d'un tel message, est puni de trois ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende lorsque ce message est susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ». 
  • [14] CSA, « Capacité à informer des algorithmes de recommandation. Une expérience sur le service Youtube », novembre 2019. 
  • [15] Ibid, p. 6.

Retrouvez l'entretien de Roch-Olivier Maistre, Président du CSA, en podcast et sur le site de France Culture.