"Le dictionnaire, c'est l'éducation pour tous"

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"Le dictionnaire, c'est l'éducation pour tous"

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La définition de dictionnaire dans le Larousse 2018
La définition de dictionnaire dans le Larousse 2018

Le Robert et le Petit Larousse Illustré sortent cette semaine. Et les éditions Larousse célèbrent le bicentenaire du créateur du dictionnaire pour tous avec une édition 2018 augmentée. Ou comment tenter de perpétuer une conception progressiste de cet ouvrage, au service du peuple.

Ubérisation, disruptif, droit-de-l'hommisme, kleptocratie, écocentre, bisounours, rouméguer ou encore dazibao : voici quelques-uns des 150 nouveaux mots, sens et expressions qui suivent l'évolution de la langue française et qui ont été retenus cette année pour entrer dans le Petit Larousse illustré. Propriété du groupe Lagardère, les éditions Larousse publient un dictionnaire , qui s'écoule chaque année à 400 000 exemplaires papier, soit presque un dictionnaire vendu par minute. Avec également une offre 100% numérique qui regroupe notamment 135 000 définitions et 34 000 expressions.

Depuis sa première édition en 1856, l'idée du petit Larousse illustré est de suivre la devise de son initiateur : "instruire tout le monde sur toutes choses". Avec la volonté chère à Pierre Larousse de ne "blesser aucune conscience, mais allumer tous les flambeaux". Et à l'époque cet épigraphe : "Un dictionnaire sans exemples est un squelette".

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Cette année, c'est le linguiste Bernard Cerquiglini qui a orienté le choix des nouveaux mots de la langue française retenus. Parmi eux, de nombreux anglicismes, mais, celui qui se présente comme un oulipien défend le néologisme comme une tradition héritée de Pierre Larousse. Ce libre penseur dont Le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle fut condamné par l’Église et mis à l’Index des Livres Interdits par le Saint-Office de l’Inquisition romaine.

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Littré et Larousse étaient aussi savants et républicains l'un que l'autre. Mais Littré était de ceux qui considéraient que la langue française avait atteint son sommet aux XVIIe et XVIIIe siècles. Larousse était un progressiste. Il considérait qu'il devait servir un peuple qui, ayant gagné sa liberté en 1789, devait la conforter par l'éducation. Or, le dictionnaire est l'éducation pour tous. Et donc, il décrit aussi cette langue, la langue du peuple. Une langue beaucoup plus large. Une langue familière, régionale. Car, la langue, surtout dans notre pays, est la base de tout.

Bernard Cerquiglini

Quelques-uns des nouveaux mots entrés dans le Petit Larousse illustré cette année
Quelques-uns des nouveaux mots entrés dans le Petit Larousse illustré cette année
© Radio France

En dehors des mots et expressions, une cinquantaine de personnalités apparaissent aussi cette année dans le Petit Larousse illustré. Écrivains, artistes, scientifiques, sportifs, médecins, peintres ou cinéastes. L'historien Michel Winock a ainsi son entrée, comme l'écrivain et médecin Jean-Christophe Rufin ou encore la chanteuse lyrique Patricia Petibon.

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A lire « Matinalier » : histoire d'une entrée dans le Petit Larousse (Le Figaro)

La "révolution tranquille" du Robert

Le Robert illustré est lui publié jeudi 15 juin. On y trouve quelques 200 nouveautés, dont retweeter, liker, mook, la cramine (froid intense), la post-vérité, ou le biscôme (pain d'épice venu de Suisse). Et comme personnalités, la romancière italienne Elena Ferrante, Erri De Luca, le comédien Omar Sy, la photographe américaine Annie Leibovitz ou l'économiste Jean Tirole.

Alain Rey est l'incarnation de ce dictionnaire qu'il élabore depuis 1952. Il avait alors rejoint Paul Robert, qui terminait les notices de la lettre A. En mai 2011, cet historien des mots s'entretenait avec Emmanuel Laurentin, dans " La Fabrique de l'Histoire", à l'occasion de la parution de son "Dictionnaire amoureux des dictionnaires".

© Radio France

Il qualifiait son travail de "révolution tranquille" (à 30 min) et expliquait que

L'ensemble des doctrines qui présidaient à l'établissement d'un dictionnaire du français répondaient à un ensemble idéologique mis en place à partir de Richelieu, au XVIIe siècle. Cet ensemble idéologique était dans le sens de la centralisation, de l'unification et du filtrage au nom du bon usage défini par Vaugelas. Cela veut dire que l'on se passe des mots scientifiques et techniques, qui ne sont pas jolis et évoluent très vite. Je me souviens de diatribes épouvantables contre le mot kilogramme, par exemple, qui est mal formé en grec. Et (nous allons) contre cette idée puriste du vocabulaire français. Puriste et limitée parce que c'est le vocabulaire des gens bien, qui parlent bien, qui écrivent bien et qui sont ou font comme si ils étaient d’Île-de-France. Donc, on élimine tout ce qui se dit spontanément, le discours des classes inférieures (dans l'idéologie de l'époque), on élimine les régions et leurs manières de parler très différentes de celle de l’Île-de-France. Et tout ceci conduit à une réflexion sur le français qui est un peu infirme et donne une définition partielle. Notre révolution est une ouverture : non seulement aux différentes manières de parler en France, socialement et géographiquement, mais aussi hors de France en se rappelant que le Français est une langue parlée dans les cinq continents. On a le droit de refléter dans un dictionnaire général la manière de parler non seulement des Québécois, des Belges, des Suisses, mais aussi des Antillais, qui sont bilingues avec le créole, ou des Africains, bilingues, trilingues ou quadrilingues, avec les Néo-Calédoniens, avec les Polynésiens de langue française, etc. C'est révolutionnaire, mais c'est tranquille. Dans la mesure où les techniques traditionnelles du dictionnaire ont été respectées, amenées à leur quasi perfection notamment au XVIIIe siècle avec l'Anglais Samuel Johnson et à l'époque romantique avec les frères Grimm.

Alain Rey raconte à Emmanuel Laurentin son aventure depuis 1952 au service du petit Robert

53 min

Alain Rey précise que "cela pose des problèmes nouveaux sans arrêt. La langue est un objet mouvant et très très difficile à dépeindre d'une manière relativement fixe et figée, c'est-à-dire par l'écriture imprimée. Le passage à l'informatique fait que la mobilité du texte devient plus grande et que l'on peut mettre à jour pratiquement en continu."

Et de raconter "que la leçon de l'Histoire, dès que l'on approfondit un peu la démarche de gens comme Antoine Furtière, au XVIIe siècle, ou comme Emile Littré, au XIXe siècle, est qu'ils n'étaient pas faits pour cela ou pas que pour cela. En fait, ces personnes se sont aperçues progressivement qu'élaborer un dictionnaire est une manière de s'affirmer, malgré ses difficultés, son côté humble, modeste, répétitif, anonyme le plus souvent."

Avant de confier : "Ce qui existe déjà est toujours soumis à critique si l'on fait un dictionnaire. Cocteau disait dans une phrase fautive mais admirable : "Un chef d'oeuvre n'est jamais qu'un dictionnaire en désordre". Pour Alain Rey, c'est tout le contraire : "le dictionnaire est la mise en désordre du chef d'oeuvre".

Quelques-uns des nouveaux mots entrés dans le Robert illustré cette année
Quelques-uns des nouveaux mots entrés dans le Robert illustré cette année
© Radio France

"La volonté d’être compris de l’honnête homme du XXIe siècle"

Comment enfin ne pas mentionner le travail de référence de l'Académie française. L'Institution, qui a publié son premier dictionnaire en 1694, dédié à Louis XIV, en est à sa neuvième édition. Avec près de 60 000 mots "d'usage", "sans pour autant céder à l’encyclopédisme".

Plus de trois siècles séparent ces deux éditions (en 2011 chez Fayard pour le tome 3 de la neuvième)
Plus de trois siècles séparent ces deux éditions (en 2011 chez Fayard pour le tome 3 de la neuvième)

Sur son site, l’Académie souligne qu'elle "s’attache en effet à défendre sans relâche la notion de langue commune, cette unité linguistique qui constitue une référence dont le besoin se fait sentir au moment même où les lexiques et registres spécialisés, les jargons, par trop nombreux, menacent la permanence de cette langue. (…) La recherche de cohérence dans la nomenclature scientifique, l’exigence de clarté et de lisibilité des définitions, la volonté d’être compris de l’honnête homme du XXIe siècle sont restées au premier rang de ses préoccupations. (…) Si le Dictionnaire sait se montrer accueillant envers les termes nouveaux et aussi envers certains termes étrangers, pour peu qu’ils correspondent à un véritable besoin, qu’ils soient bien ancrés dans l’usage et qu’il n’existe pas déjà un terme français rendant compte de la même réalité, il reste le garant de l’usage, que la Compagnie a reçu pour mission de guider et de rendre plus sûr."