Le congrès du Front national a lieu ce week-end à Lille. Marine Le Pen veut franchir une étape supplémentaire pour transformer son parti d’opposition en parti de gouvernement. Et elle nie plus que jamais la qualification d’extrême droite. Le FN est-il un parti d'extrême droite ?
"Le Front national n’est pas un parti d’extrême droite." C’est en tout cas ce que martèle Marine Le Pen. Récemment lors d’une interview sur RTL, la présidente du FN a déclaré : "le fait que l’on accole au FN, à la Ligue (Italie) ou au FPÖ autrichien le terme d’extrême droite me dérange car c’est un mensonge", le mot "mensonge" étant appuyé et répété plusieurs fois au cours de l’échange. Et ce n’est pas nouveau, Marine Le Pen y revient régulièrement, depuis qu’elle est à la tête du parti, depuis 7 ans, dans sa stratégie de dédiabolisation et encore davantage aujourd’hui à la veille d’un congrès de "refondation" qui se tient tout ce week-end à Lille. En 2013, elle avait même menacé de traîner devant les tribunaux ceux qui continueraient de qualifier son parti d’extrême droite. Avant elle, Jean-Marie Le Pen a également protesté contre cet épithète. En 1996, l’actuel président d’honneur a même inondé les médias de droits de réponse et de menaces judiciaires dès que ceux-ci le qualifiaient d’extrême droite, indiquant sa définition de l’expression : "le refus de la démocratie et des élections, l’appel à la violence, le racisme et la volonté d’installer le parti unique". Ce qui l’amènait à cette conclusion : "sur chacun de ces points, le Front national se distingue de l'extrême droite et même s'oppose à elle." Ce débat, qui revient constamment, est-il purement sémantique ? Est-ce aux partis de se définir eux-mêmes ? Et avant tout, quelle est la définition de l’extrême droite ? Est-ce un raccourci utilisé notamment par les médias ?
De la difficulté de définir l’extrême droite
Les politologues et plus largement la communauté scientifique débattent depuis longtemps sur la définition à donner à l’extrême droite. Selon Jean-Yves Camus, politologue et directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la fondation Jean Jaurès, il existe plusieurs dizaines de définitions de l’extrême droite. Il cite le travail de Cas Mudde, politologue néerlandais et professeur associé à l’université de Géorgie et chercheur au centre de recherche sur les extrémismes à Oslo, qui est le plus abouti selon lui.
Mon collège a fait une thèse sur ce qu’il appelle la famille politique d’extrême droite. Il recensait au début des années 2000, 28 définitions issues du milieu académique, et je pense que depuis le nombre a sans doute doublé. Malgré la très abondante littérature sur le sujet, force est de constater que la définition de l’extrême droite est extrêmement floue.
Une tendance s’accorde à dire qu’il existe une famille de l’extrême droite, avec un certain nombre de critères. Cas Mudde définit notamment les formations qui combinent le nationalisme, l’exclusivisme (donc le racisme, l’antisémitisme, ou l’ethnocentrisme), la xénophobie, le culte du chef, le populisme, l’esprit anti-partis. Le Front national, selon le Néerlandais, correspond à cette définition, ainsi que le FPO en Autriche ou encore la Ligue en Italie.
Autre point sur lequel s’accordent une majorité de politologues : la distinction de trois "vagues "de partis d’extrême droite, détaille Jean-Yves Camus. Entre 1945 et 1955, le "néo-fascisme", qui "se caractérise par sa proximité avec les idées totalitaires des années 30". La seconde vague, des années 1950 à 1970, dont fait partie entre autres le mouvement Poujade. Dernière vague, celle depuis les années 1980 jusqu’à nos jours, qualifiée de "nationale-populisme", qui "conçoit l'évolution politique comme une décadence dont seul le peuple, sain, peut préserver la Nation", selon l'historien Nicolas Lebourg.
Aux origines du Front
Si l’on remonte à la genèse du Front national, le parti coche tous les critères de définition de l’extrême droite du Néerlandais Cas Mudde. Les racines historiques du FN sont dans l’extrême droite, car en "1972, le Front national est fondé à l’initiative d’un mouvement néo-fasciste, donc d’extrême droite, qui s’appelait Ordre nouveau, dans le but de disséminer ses idées à travers le style politique qu’est le populisme", détaille l'historien Christophe Bourseiller. Le parti a pour ambition de réunir tous les groupuscules d’extrême droite de l’époque, de leur donner un dénominateur commun alors qu’ils n’arrivent pas à s’entendre entre eux. C’est Francois Duprat, la tête pensante d’Ordre Nouveau, antisémite, fasciste, qui est chargé de rassembler ces mouvements. Il prend exemple sur le Mouvement social italien (MSI) mené par l'ancien cadre fasciste Giorgio Almirante, qui a réussi à réunir différentes chapelles. Duprat le rencontre d'ailleurs plusieurs fois et il le conseille. Le MSI prend comme symbole une flamme, la même qui sera ensuite utilisée par le FN. Pour son projet, François Duprat fait appel à un certain Jean-Marie Le Pen. Il voit en lui un parfait leader.
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François Duprat devient alors le théoricien du Front national, mais il reste dans l’ombre et il est tué dans un attentat le 18 mars 1978. Jean-Marie Le Pen lui continue l’œuvre entrepris par Duprat : l’union. Lors d'un meeting, il lance : "Vous maurrassiens, vous intégristes, vous anciens fascistes, laissez de côté vos querelles, venez sous la bannière du Front national défendre la droite nationale, sociale et populaire." (cité par Nicolas Lebourg dans un article de Mediapart).
Dans les années 1980, le Front national se structure en parti politique. "S_es quelques succès électoraux font revenir l’extrême droite française au premier plan_", selon Pascal Perrineau, politologue et professeur des Universités à Sciences Po. "Avec des sujets de société, en particulier la question de l’immigration et la question de l’insécurité, et puis, peu à peu, le spectre s’est élargi avec la lutte de la nation française contre l’intégration européenne et la lutte contre la globalisation économique et financière". Le FN accueille alors en son sein des identitaires, des anciens de la collaboration, des soldats perdus de l'OAS, des nationalistes révolutionnaires et des poujadistes. Pour Christophe Bourseiller :
Jean-Marie Le Pen devient le grand chef d’orchestre d’un parti dans lequel il répartissait les postes au gré des différents courants de l’extrême droite. Et cela a duré jusqu’au début des années 2010, lorsque Marine Le Pen devient présidente. A partir de là, elle se débarrasse de la majorité des militants d’extrême droite qui occupaient des postes, mais elle en a gardé quelques-uns.
L’année 2002 est une vraie rupture pour le parti. Le très faible score de Jean-Marie Le Pen au second tour de la présidentielle, face à Jacques Chirac, 18%, fait prendre conscience aux jeunes cadres frontistes, y compris Marine Le Pen, que le parti doit se dédiaboliser pour continuer à progresser. Louis Alliot, à l’époque surnommée "Loulou la purge", est chargé d’écarter les éléments radicaux les plus visibles.
La rupture dans la continuité ?
A son arrivée au pouvoir, Marine Le Pen décide de mettre en œuvre la dédiabolisation pour en faire un parti de gouvernement. Elle marque une rupture avec son père, habitué à la phrase choc et aux provocations, notamment ses propos concernant les chambres à gaz lors de la seconde guerre mondiale qu’il a qualifié de "point de détail". Mais veut-elle se débarrasser totalement du passé ? C’est toute l’ambiguïté du parti.
Elle réfute le terme "extrême droite", tout comme ses cadres, car ce "terme évoque la continuité entre le FN de 2018 et celui de 1972. C’est quelque chose qui lui colle à la peau, analyse Jean-Yves Camus, et dont elle est persuadée qu’il s’agit en fin de compte de l’obstacle réel pour que son parti accède aux affaires". Le parti tente aussi d’élargir ses horizons, en particulier avec l’arrivée de Florian Philippot, "car, souligne Pascal Perrineau, l’homme ne venait pas de manière claire de l’extrême droite. Il a cherché à élargir le spectre au combat anti-européen. Il lui a donné également une dimension sociale, qui était moins présente auparavant. Il a développé toutes les positions en matière de protectionnisme, mais avec son départ, et la crise qui a suivi l’échec de Marine Le Pen à la présidentielle, le parti a tendance à revenir à ses fondamentaux, qui sont ceux de l’extrême droite française."
Dans ces fondamentaux, la vision passéiste, qui ramène la France à ce qu’elle était avant la Révolution et avant la République. Parmi les exemples les plus frappants : la référence permanente à Jeanne d’Arc et l’hommage chaque année, selon les mots du FN, à "l’allégorie du souverainisme, de la résistance patriotique de la France d’en bas face aux “collabos”, aux immigrés qu’il s’agit de “bouter hors de France” et à l’Europe des élites".
La question de l’immigration reste la ligne directrice du parti, et renvoie également à ses racines, selon l’historien Christophe Bourseiller :
Ordre nouveau a lancé en 1973 ce mot d’ordre sur l’immigration et son slogan était 'halte à l’immigration sauvage'. Aujourd’hui, c’est halte à l’immigration tout court, et la stigmatisation de l’étranger reste une thématique propre à l’extrême droite.
Mais pour l’historien, même si le FN actuel garde ses racines extrémistes, "_on ne peut pas à proprement parler de parti d’extrême droite__. Ce qui caractérise les mouvements extrémistes, c’est le fait qu’ils prônent un changement radical de société et y parvenir par la violence. Aujourd’hui, on peut dire que le Front national est un mouvement populiste qui s’ancre traditionnellement dans l’extrême droite."_ Une idée partagée par Jean-Yves Camus :
Objectivement, le Front national participe aux élections. C’est un parti qui reçoit comme les autres les financements publics, ce n’est pas un parti qui souhaite recourir au coup de force pour arriver au pouvoir.
Aujourd'hui, Marine Le Pen veut changer le nom du Front national, comme pour franchir une nouvelle étape dans le processus de dédiabolisation et de transformation en un parti de gouvernement. Le parti reste cantonné à l'extrême droite de l'échiquier politique, sans la capacité de nouer d'alliance. Et campe sur une thématique de rassemblement quasi-exclusive : l'immigration et le rejet de l'étranger. "Changer de nom est cosmétique, selon Pascal Perrineau, tant que le Front national n'est pas en capacité de nouer des alliances et de changer une partie de son programme, il restera un parti de protestation et d'opposition."