Le gouvernement Philippe 1, le plus composite de la Ve République

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Le gouvernement Philippe 1, le plus composite de la Ve République

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Deux gouvernements de la Ve République : Edouard Philippe et Chaban Delmas
Deux gouvernements de la Ve République : Edouard Philippe et Chaban Delmas
© Radio France - C Renard avec AFP

Visualisation. Dans la continuité du discours macroniste de dépassement des partis, le gouvernement nommé ce mardi est le plus composite des 40 gouvernements de la Ve République. Comparaison historique en graphiques et analyse d'un procédé tactique selon le politologue Emiliano Grossman.

"Et de droite et de gauche" : Emmanuel Macron le disait, avec son Premier ministre Edouard Philippe, il l'a fait. Le gouvernement nommé ce mardi est à la fois le plus composite et le plus divers des gouvernements de la Ve République. Pour réaliser cette mise en perspective dans l'histoire des gouvernements de notre régime, les étiquettes politiques des membres des 39 gouvernements précédents ont été compilées, et rapportées à la totalité des membres du gouvernement. Ce nombre total de membres du gouvernement va de 21 (gouvernement Fillon 1 - de mai à juin 2007) à 53 (gouvernement Rocard 2 - de juin 1988 à mai 1991). Avec 23 membres, le gouvernement Macron fait partie des plus resserrés de l'histoire de la Ve République, la moyenne étant à 31 membres. Sont comptés comme membres du gouvernement, selon les configurations, le Premier ministre, les ministres d'Etat, les ministres, les ministres délégués, les secrétaires d'Etat et les Hauts commissaires (dans les gouvernements Fillon 1 et 2 : Martin Hirsch).

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Sept couleurs, autant que les gouvernements Debré, Cresson et Chirac 1

Composition du gouvernement Philippe 1
Composition du gouvernement Philippe 1
© Radio France - Camille Renard

Sept étiquettes politiques sont représentées dans le gouvernement actuel : La République en marche ! (REM), Les Républicains (LR) (dissidents, ils peuvent se ranger sous l'étiquette Divers droites (DVD), le Parti socialiste (PS), le Parti radical de gauche (PRG), le MoDem, les écologistes, et les "sans étiquette" : ces membres de la société civile qui, s'ils ont eu un passé politique, n'ont pas été recrutés en tant que représentants d'un parti. Le politologue Emiliano Grossman, qui étudie les carrières ministérielles françaises à Sciences Po, insiste sur l'aspect tactique de cette dite "ouverture".

L'avantage de la variété des étiquettes donne plus d'autonomie au Président. Les Républicains (LR) sont dans une position hostile face à leurs trois membres actifs dans le gouvernement. Macron les coupe de leur base électorale et les rend ainsi plus dépendant de lui. La situation est encore pire pour les membres de la société civile. Mis à part Nicolas Hulot, aucun n'a de ressources partisanes ou électorales vers lesquelles se tourner. Le gouvernement Fillon 1 est en cela semblable. Fadela Amara, symbole de cette "ouverture", a aujourd'hui disparu de la circulation. C'est aussi une stratégie de préparation de l'élection législative pour constituer une majorité présidentielle. Il ne s'agit pas d'une rupture. La seule nouveauté est que les deux camps des partis de gouvernement sont effrités. Mais le jeu est le même, à quelques mots près.

PArt des membres du gouvernement Fillon selon l'étiquette politique (en %)
PArt des membres du gouvernement Fillon selon l'étiquette politique (en %)
© Radio France - Camille Renard

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Trois gouvernements ont dans l'histoire de la Ve République représenté autant d'étiquettes que les sept du gouvernement Fillon, mais jamais dans une proportion aussi équilibrée entre les couleurs politiques :

Le gouvernement d'Edith Cresson (part des membres en % selon l'étiquette politique)
Le gouvernement d'Edith Cresson (part des membres en % selon l'étiquette politique)
© Radio France - Camille Renard

Dans ce troisième gouvernement du deuxième mandat de François Mitterrand, celui d'Edith Cresson, sept courants sont représentés : Génération écologie (GE), Mouvement des réformateurs (MDR, centre droit), Parti radical de gauche (MRG), Divers droites, Divers gauches, sans étiquettes, et Parti socialiste. Mais ces derniers représentent près du tiers des membres du gouvernements, laissant aux courants plus à droite, MDR et DVD, seulement 3 membres sur 46, soit 6,6% de la totalité. Le gouvernement Édith Cresson est soutenu par une coalition gouvernementale de centre gauche, formée entre le Parti socialiste (PS) et le Mouvement des radicaux de gauche (MRG), qui dispose d'un peu plus de la moitié des sièges de l'Assemblée nationale. La démission de Michel Rocard avait provoqué le départ du centre droit du gouvernement.

Le politiste Hubert Peres, professeur à l'université de Montpellier, précise les limites de cette comparaison :

L'une des caractéristiques du système partisan français, c'est précisément la multiplication des petites formations voisinant avec les grands appareils et au sein des "familles" de droite et de gauche. Ce que l'on retrouve dans les gouvernements Cresson et Chirac 1 se conforme à cet état de fait, sans suggérer aucune recomposition politique analogue à celle du gouvernement actuel.

La part des membres du 1er gouvernement Chirac selon l'étiquette politique (en %)
La part des membres du 1er gouvernement Chirac selon l'étiquette politique (en %)
© Radio France - Camille Renard

Ce premier gouvernement dirigé par Jacques Chirac sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing regroupe sept courants politiques, et une grande part de membres de la société civile. Le gouvernement centriste issu de la majorité présidentielle incarnée par un président qui dit vouloir "présider au centre" aux côtés d'un Premier ministre plus à droite rencontre des similitudes avec le gouvernement Edouard Philippe de la présidence Macron. Mais l'analogie est à nuancer au regard de la diversité qualitative des courants : à gauche, le spectre s'arrête au parti radical, incarné ici par Jean-Jacques Servan-Schreiber (ministre des réformes), André Rossi (porte-parole) et Françoise Giroud, nommée a posteriori en juillet en tant que secrétaire d'Etat à la condition féminine. Le nombre de partis représenté est enfin largement dû à la fragmentation du Centre, divisé en plusieurs branches : mouvement réformateur (MR), Centre républicain (CR), Centre démocratie et progrès (CDP), plus récemment regroupés sous la bannière UDF (gouvernements Juppé, Raffarin, Villepin).

Leçons de cette histoire des gouvernements composites : ces tentatives n'ont jamais vécu bien longtemps, souligne Emiliano Grossman. Au gouvernement Fillon 1 ont succédé les Fillon 2 et Fillon 3, plus classiquement recentrés sur la droite. Au gouvernement Chirac 1 a succédé les gouvernements Barre, revenant à des logiques plus traditionnellement partisanes. Si la droite l'emporte largement aux législatives, qu'en sera-t-il du prochain gouvernement de l'ère Macron ?

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La composition du gouvernement Debré (1959)
La composition du gouvernement Debré (1959)
© Radio France - Camille Renard

L'éventail des couleurs politiques représentées, et leur équilibre dans le gouvernement actuel, ressemble le plus au gouvernement de Michel Debré, premier gouvernement de la Ve République : Proportion de "sans étiquette", ouverture du spectre politique de la droite à la gauche (de la droite gaulliste de l'UNR à SFIO socialiste avec André Boulloche, à l'éducation nationale, et au Rassemblement démocratique africain de sensibilité communiste avec Félix Houphouët-Boigny). Cependant, "le contexte historique de la mise en place de ce gouvernement d'union nationale dans un moment de quasi guerre civile" distingue fondamentalement l'esprit de ces deux gouvernements, remarque Emiliano Grossman. En outre, les partis centristes sont scindés et expliquent en partie cette diversité (Centre national des indépendants et paysans (CNIP) et Mouvement républicain populaire (MRP). Cette analogie entre le premier et le dernier gouvernement en date de la Ve République révèle peut être qu'un cycle politique se clôt aujourd'hui.

En plus de la diversité des couleurs politiques représentées, un autre indicateur peut être retenu. Il s'agit de la part de membres non répertoriés sous l'étiquette du Premier ministre. Cette étiquette est généralement la même que celle du Président, sauf dans deux cas : une cohabitation et le cas actuel, d'un Premier ministre d'une autre couleur politique choisi librement par le Président. Cet indicateur permet de comprendre le poids accordé dans le gouvernement à des sensibilités politiques variées, soit un critère plus qualitatif que le seul éventail de partis différents.

Le plus composite : 87% de ses membres ne sont pas de l'étiquette politique du Premier ministre

Part de la diversité politique des gouvernements de la Ve République (par ordre chronologique)
Part de la diversité politique des gouvernements de la Ve République (par ordre chronologique)
© Radio France - Camille Renard

Alors que la moyenne des gouvernements qui ont précédés celui-ci est de 30% de membres du gouvernement d'une étiquette politique différente, le gouvernement Philippe en contient plus de 86%.

Seuls six autres gouvernements avaient passé la barre des 50% : les deux gouvernements Juppé (mai 1995 - juillet 1997), les trois gouvernements sous la présidence de Valéry Giscard d'Estaing (le premier gouvernement de Jacques Chirac et les deux premiers gouvernement de Raymond Barre : mai 1974 - mars 1978), et le gouvernement Debré, ci-dessus analysé.

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