Le Japon, entre résilience et catastrophe

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Le Japon, entre résilience et catastrophe

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La récupération au Japon, spectaculaire à de nombreux égards, coexiste avec des séquelles et des traces d’une portée qui semble abyssale – c’est le cas de celles de la catastrophe nucléaire. Pour Marie Augendre, cette dualité contre intuitive est une caractéristique majeure de cet événement géographique. Le déploiement de la catastrophe à différentes échelles, du territoire de petite taille à l’espace mondial (lire Japon : face à la catastrophe, le recours aux échelles géographiques, du 17 mars 2011, mis à jour le 8 avril), l’est toujours tout autant. Avec Sendaï-Fukushima 2011, on est frappé par le changement de nature des catastrophes, selon l’expression de Magali Reghezza.

*Ecouter les émissions du 30 mars (Les Japonais, les risques, et les territoires) et celle du 15 juin (Le Japon trois mois après la catastrophe) 2011. *

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Invitées: * Marie Augendre et Magali Reghezza, qui sont * maîtres de conférence en géographie, respectivement à l'Université Lyon II et à l'Ecole normale supérieure.

Veuillez retrouver également les billets publiés par Globe :

Japon : face à la catastrophe, le recours aux échelles géographiques, 17 mars 2011 (mise à jour le 8 avril 2011)

* « Les catastrophes ont changé de nature » (entretien), Entretien sur le Japon et les risques avec Marie Augendre et Magali Reghezza, du 4 avril 2011. *

* Les sociétés face aux risques naturels : Haïti 10 semaines après le séisme. 3 questions à Jean-Marie Théodat. 28 mars 2010. *

* Les sociétés face aux risques naturels: Concepcion (Chili) 1 mois après le séisme. 3 questions à Alain Musset 28 mars 2010. *

Les sociétés face aux risques naturels: Xynthia un mois après. 2 questions à Fernand Verger 28 mars 2010.

1 mois après les catastrophes, les sociétés face aux risques naturels: 3 questions à Stéphanie Beucher et Magali Reghezza 28 mars 2010.

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Carte datant du 15 mars 2011
Carte datant du 15 mars 2011

Carte datant du 15 mars 2011 ©RIA NOVOSTI

(Source: http://fr.rian.ru/infographie/20110315/188875592.html)

I. Les personnes décédées et les habitants sinistrés, déplacés, relogés

Trois mois après le tremblement de terre et le tsunami qui ont secoué le Japon, le pays compte plus de 15 413 morts (dont 13% non identifiés), 8 069 disparus, et plus de 91 000 déplacés (source: yomiuri.co.jp). Un nombre certain de personnes évacuées suite au tremblement de terre et au raz de marée vit encore dans les abris. Peut être 100 000 (sur le demi million initial) ? Ceux qui ont quitté les abris ont pu rentrer chez eux ou sont hébergés dans leur famille ont été relogé en logement social ont pris un nouveau logement en location… Il n’y a pas de crise sanitaire. Y’aurait il une crise du logement préfabriqué ? Dans l’ensemble, la reconstruction des territoires endommagés est spectaculairement rapide. Les autorités avaient lancé des programmes de fabrication et l’implantation de maisons préfabriquées pour re-loger les sinistrés. Ceux-ci buttent sur des obstacles matériels, dont notamment, l’amoncellement impressionnant de déchets.

Carte des abris connus par Google :

Légende :

Jaune : personnes non identifiées

Mauve : personnes déplacées

Bleu fluo : < 200 personnes évacuées

Bleu foncé : > 200 personnes évacuées

Carte des abris connus par Google
Carte des abris connus par Google
© Radio France - Google Crisis Response

Carte des abris connus par Google Google Crisis Response©Radio France

Pour voir un témoignage tourné au sein d’un abri, rendez-vous ici.

II. Les territoires de la catastrophe nucléaire.

Site de la centrale n°1 de Fukushima
Site de la centrale n°1 de Fukushima

Site de la centrale n°1 de Fukushima ©Rémi Scoccimarro

Pour visionner le dossier "Japon" du Prof. Rémi Scoccimaro, rendez-vous ici.

A. A l’échelle du Japon

Les périmètres radio concentriques fixés par les autorités, comme ceux reportés sur la carte ci-dessus, sont formidablement utiles et nécessaires. Mais on est frappé par leur caractère simplificateur. Les mesures et le suivi de la radioactivité sont en effet fragmentaires, ponctuelles, incomplètes. Que sait on de sa circulation en fonction des courants marins et des courants éoliens ? Le transport et le dépôt de la radioactivité ne sont que partiellement fonction de la distance à la centrale évidée. Quels sont précisément les points du territoire où la vie est en danger ? Les conclusions tirées par les différents rapports sont donc en partie fonction des biais et des partis pris, des cultures scientifiques et politiques, caractéristiques des organisations qui les effectuent. Ci-dessous un aperçu indicatif de certaines d’entre elles.

Fond marin et nappes phréatiques

Suite à la catastrophe de Fukushima, des milliers de litres d’eau radioactive ont été déversés dans la mer. Aujourd’hui, des niveaux de radioactivité élevés sont mesurés dans le fond marin à proximité de la centrale de Fukushima, avec des conséquences importantes sur la biodiversité marine, la sécurité et l’industrie alimentaire du pays (le Japon est un important consommateur et exportateur de produits de mer). Des quantités importantes de strontium, qui peut causer le cancer des os, ont été mesurées dans les nappes phréatiques aux alentours de la centrale. Le taux de iode radioactif dans l’eau cause des pénuries d’eau potable.

Agriculture et élevage

Dans un rapport publié le 24 mai 2011 par l’Organisation de gestion des déchets nucléaires au Japon, la radioactivité s’est répandue sur un territoire de 600km². Cette région s’étend donc bien au-delà de la zone de 20km² évacuée par le gouvernement. Les scientifiques craignent un second Tchernobyl (18 000km² de terres agricoles contaminées). L’*Institut de Radioprotection et de Sûreté Nucléaire * ( IRSN) a effectué des mesures sur différentes denrées végétales. Seule sur certains, comme les pousses de bambou, les feuilles de thé ou les champignons, la contamination était réellement significative. Dans le lait et la viande en revanche les retombées sont plutôt faibles.

Iode 131 (Bq/kg frais)
Iode 131 (Bq/kg frais)

Iode 131 (Bq/kg frais) ©IRSN

Il existe aujourd’hui des possibilités de réhabilitation des sols plus avancées qu’au temps de Tchernobyl, notamment par le traitement chimique. Or, la densité de population au Japon rend difficile ce genre de projets, si on veut permettre un retour rapide des habitants évacués.

B. A l’échelle mondiale (avec un zoom sur la France)

La radioactivité s’est rapidement dispersée au-delà du Japon, comme le montre la carte de modélisation établit par l’IRSN, que vous pouvez consulter ici.

Analyse de la radioactivité due à Fukushima en France
Analyse de la radioactivité due à Fukushima en France

Analyse de la radioactivité due à Fukushima en France ©IRSN

En France, la Commission de Recherche et d'Information Indépendantes sur la Radioactivité ( Criirad) a demandé à ce qu’une enquête révèle les conséquences exactes du nuage radioactif de Fukushima au-delà du territoire japonais, sur terre et en mer. Entretemps, l’IRSN publie son « dernier bilan de l'analyse de la radioactivité due à Fukushima en France ».

Conscient des conséquences planétaires de l’accident nucléaire survenu à Fukushima, le Japon a annoncé l’organisation d’ une conférence internationale sur la sûreté nucléaire à l’échelle de 2012.

II. L’onde de choc bien concrète du tsunami et du tremblement de terre

A- Que faire des déchets ?

Le Japon fait face à la question de la gestion des déchets qui ont résulté des destructions causées par le tremblement de terre et le tsunami. Ces derniers, rappelons le, furent d’une intensité historique exceptionnelle. Sur terre, on compterait environ 25 millions de tonnes de déchets sur les trois préfecturesles plus touchées (Iwate, Miyagi, Fukushima). Les déchets doivent être évacués et stockés avant de pouvoir être triés et traités. Ce traitement est compliqué par la contamination partielle des déchets : selon l’ONG environnementale Robin des Bois, on retrouve dans les déchets « des pollutions diffuses d'hydrocarbures, de PCB, de pesticides, de peintures, de médicaments et d'autres toxiques ». L’organisation s’inquiète que les règles de triage pourraient ne pas être respectées. Du côté des autorités japonaises, c’est la formation d’un gaz corrosif dangereux qui inquiète. La construction de nouveaux incinérateurs particulièrement résistants est prévue dans la préfecture de Miyagi.

Sur mer

Une partie significative des déchets a également été emportée par la mer, comme le montre la simulation ci-dessous ainsi qu'une vidéo sur la présence de débris japonais dans le Pacifique ( voir ici).

Simulation du trajet maritime des déchets japonais post-tsunami
Simulation du trajet maritime des déchets japonais post-tsunami

Simulation du trajet maritime des déchets japonais post-tsunami ©Nikolai Maximenko, International Pacific Research Center

(Source: voir ici)

B. Les Réseaux d’électricité et de transport inégalement perturbés au Japon

***Réduction de consommation d’électricité dans les zones sinistrées * **

Les réseaux d’électricité et de transport au Japon sont toujours perturbés, avec des conséquences importantes pour les ménages et pour l’industrie. La fermeture d’une quinzaine de réacteurs nucléaires (soit par précaution, soit suite à un endommagement) menace l’approvisionnement en électricité.

Selon LeMonde.fr, « la réduction de 15% de la consommation d'électricité sera obligatoire pour les grosses industries dont les contrats portent sur au moins 500 kilowatts. Les autres entreprises et les ménages seront, pour leur part, invités à réduire volontairement leur consommation dans ces mêmes proportions. Les objectifs sont moins élevés pour les hôpitaux et les transports publics »

On appelle réseaux critiques les infrastructures en réseaux vecteurs des fluides devenus indispensables au fonctionnement des sociétés industrialisées et complexes. On peut leur adjoindre les voies de communication terrestres, ainsi que les points terrestres des réseaux de transport aérien, fluvial ou maritime. Le niveau et les territoires de remise en état de ces réseaux donne une indication significative de la résilience de la société japonaise et de ses acteurs. La résilience, ou le retour à l’état antérieur. On est frappé par la brièveté temporelle avec laquelle les principaux axes de communication et de réseaux ont été remis en état. En revanche, explique Marie Augendre, cet effort de remise à l’état antérieur à la catastrophe ne s’est pas porté sur les villages et les petites villes côtières du Tohoku, la région frappée de plein fouet par le séisme et le raz de marrée. Ils sont retournés dans une situation de marginalité territoriale dont plusieurs décennies d’aménagement du teritoire les avaient sorti (y compris par des pratiques clientélistes).

Les ventes en détail et le secteur automobile particulièrement touchés

Dans l’ensemble, le commerce aurait moins souffert que prévu. Les pénuries concernent d’abord les pièces détachées et affectent surtout l’automobile, suivi par l’électroménager et l’électronique. La hausse de la demande alimentaire et vestimentaire est liée surtout au nombre de personnes qui doivent reconstruire leur vie loin de chez eux.

L’industrie automobile s’adapte tant bien que mal. Usinenouvelle.com rappelle que 44% du marché des microcontrôleurs et 80% des condensateurs aluminium sont détenus par le Japon, deux secteurs cruciaux pour l’automobile.

Alors que Toyota ( doublé par General Motors) et Honda ont vu leur production chuter de presque 50%, Nissan a du interrompre sa production pendant une semaine en Russie, faute de livraisons de moteurs.

III. Un impact économique global installé dans la durée

Dans son rapport du 25 mai 2011, cité par l'AFP, l’OCDE note que « la réduction immédiate des exportations japonaises a des effets marqués sur l’activité industrielle dans les autres pays, en raison du haut degré d’intégration des chaînes d’approvisionnement internationales (…) Plus de 10% de certaines catégories de produits électroniques utilisés aux États-Unis sont importés du Japon ». Le prix de certaines catégories ont augmenté, incitant la diversification des sources d’approvisionnement.

Sans oublier que les plans de licenciements d’entreprises japonaises extraverties ont des répercussions sur les travailleurs à l’international.

Le déploiement de la catastrophe à l’échelle mondiale se saisit également à l’aune de la remise en question de l’énergie nucléaire. L’Allemagne et l’Italie n’y retourneront donc pas. La Suisse y renonce. Ce n’est peut être que le début d’un mouvement planétaire, contre coup d’un événement très localisé sur le globe.