Les Idées Claires. Un mouvement LGBT dicte-t-il ses revendications à l'oreille du gouvernement ? C'est la question au cœur des Idées Claires, notre programme hebdomadaire produit par France Culture et franceinfo et destiné à lutter contre les désordres de l'information, des fake news aux idées reçues.
Les associations LGBT influencent-elles les commissions de l'Assemblée Nationale, les arrêtés de la mairie de Paris ou les instances du Front National ? Selon leurs détracteurs, ces associations exercent des pressions sur les organismes de décision et forment un lobby LGBT qui dicte son agenda aux dirigeants politiques.
Depuis les manifestations contre le mariage homosexuel en 2013, l'expression "lobby LGBT" s'est répandue le plus souvent avec une connotation négative, laissant entendre que ce lobby agirait pour le seul intérêt de la communauté gay et lesbienne. Une interprétation qui occulte le combat des associations LGBT pour l'égalité des droits entre hétérosexuels et homosexuels.
Pour en discuter, Sylvie Tissot, sociologue, enseignante à Paris-8 et auteure de Gayfriendly : Acceptation et contrôle de l'homosexualité à Paris et à New York (éditions Raisons d'Agir, 2018)
Le lobby LGBT existe-t-il ?
Sylvie Tissot : "Non il n'existe pas de lobby LGBT, pour comprendre pourquoi ce terme est encore utilisé il faut revenir un peu dans le passé pour comprendre que cette terminologie est partie prenante d’un discours qui vise à disqualifier les mouvements gay, lesbien, bi et trans depuis plusieurs décennies. C’est un discours empreint d’homophobie, que l’on voit se développer particulièrement après la Seconde Guerre mondiale alors qu’aux États-Unis, en France aussi mais beaucoup aux États-Unis, les homosexuels au moins autant que les communistes font figure d’ennemis intérieurs c’est-à-dire de forces souterraines, agissant en secret de façon malfaisante et sapant potentiellement les bases de la démocratie."
Qu’est-ce que ce fantasme représente ?
"Il y a le fantasme d’une force toute puissante agissant dans le secret, ne respectant pas les règles du jeu démocratique et visant à imposer son propre agenda. C’est tout particulièrement le cas en ce qui concerne la désignation du soi-disant lobby LGBT, c’est-à-dire que derrière cette expression on redoute, on fantasme des personnes qui chercheraient à être prosélytes, à convertir en quelques sorte les hétéros à leur propres orientations sexuelles et modes de vie."
Pourtant il existe une communauté LGBT structurée ?
"Il y a des associations communautaires qui regroupent des individus qui sont sensibilisés aux même questions, de fait ils subissent les mêmes types d’oppressions. Ils sont réunis par un combat pour l’égalité des droits, le droit par exemple d’avoir accès au mariage, aujourd’hui à la Procréation Médicalement Assistée pour les lesbiennes, mais aussi des droits très basiques qui sont le droit de ne pas être discriminé dans la vie quotidienne, le droit de ne pas être tabassé ce qui est toujours le cas comme le rapport SOS Homophobie de cette année le constate encore, le droit de ne pas être assassiné en ce qui concerne les trans du monde entier."
Une association ou un lobby c’est la même chose?
"Un lobby, on peut penser au lobby des chasseurs, au lobby du tabac, au lobby des armes, renvoie à un groupe qui est dominant, qui combat pour des intérêts et qui pour cela met au service des ressources qui peuvent être considérables, des ressources économiques, en termes de réseau politique alors que les LGBT forment encore un groupe très largement discriminé. Donc il y a des différences en termes de statut qui sont fondamentales et qui déterminent des modes d’actions qui ne sont pas les mêmes."
Les associations LGBT reçues à l’Élysée, c’est du lobbying ?
"C’est pour faire avancer une cause mais de façon tout à fait démocratique, c’est fait de manière complètement transparente, de manière tout à fait visible contrairement à l’action de lobbies qui, loin d’être visibles et transparents, agissent souvent dans les couloirs, qu’il s’agisse des couloirs de l’Élysée, de Matignon ou des autres ministères."
Les gays sont-ils surreprésentés dans les milieux politiques ou culturels ?
"J’apporterais tout de suite un bémol pour le champ politique puisque la France, contrairement à d’autres pays comme les États-Unis, dans le milieu politique les gays et les lesbiennes ont été invisibilisés et ont pu être visibles en tant que gays et lesbiennes de manière très tardive. Il est vrai que dans d’autres secteurs, culturels, artistiques on peut considérer qu’ils sont plus visibles mais je dirais que c’est avant tout lié aux ressources dont ils peuvent disposer et qui leur permettent dans un environnement peut-être plus “gay-friendly”, de faire face à la stigmatisation, à la discrimination, contrairement à d’autres milieux qu’il ne faudrait pas caricaturer comme étant des milieux homophobes mais où, sans ressources économiques ou avec de moindres ressources culturelles, il est plus difficile de faire face à la stigmatisation."
Les personnes LGBT se pistonnent entre elles, non ?
"Je crois qu’il s’agit très largement d’un fantasme, un fantasme qui consiste à appréhender ces personnes-là comme étant surdéterminées par leur orientation sexuelle ou par leur identité de genre comme si quand on est gay et lesbienne on n’est que cela, alors qu’on peut être aussi journaliste, artiste, enseignant, de gauche, de droite, parfois même d’extrême-droite… Et même s’ils ont une sensibilité commune à ces types de discriminations, ils peuvent avoir des comportements et des envies de se mobiliser tout à fait divers. Certains dans la communauté LGBT ont été très actifs dans la lutte pour le mariage pour tous, d’autres étaient plus réservés. Aux États-Unis, certains avaient très envie que l’armée soit ouverte aux gays et lesbiennes, d’autres affectionnaient moins cette institution militaire. Il y a une diversité que le terme lobby LGBT tend à gommer."
"Les Idées claires", un programme hebdomadaire vidéo et audio.
Parce que la vérité est plus lente que le mensonge, parce que la désinformation est plus séduisante que les faits vérifiés, Les Idées Claires démêle le vrai du faux. Chaque semaine, dans une vidéo et en podcast, un.e expert.e et Nicolas Martin (producteur de La Méthode scientifique sur France Culture) remettent de l’ordre autour d’une idée reçue. Retrouvez l'intégralité des épisodes dans le dossier "Les Idées Claires".
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Les Idées Claires : le lobby LGBT existe-t-il ?
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