L'origine des mondes culturels. L'American Museum of Natural History (AMNH) est une des grandes attractions touristiques de New York, connu notamment pour ses dioramas : ces scènes de la vie humaine ou sauvage. Un mode d'exposition ancien mais qui fait toujours recette malgré son côté désuet ou les préjugés qu'il a pu charrier.
C'est l'un des principaux musées de New York et des États-Unis : ouvert en 1877, le Musée américain d'histoire naturelle accueille aujourd'hui plus de 5 millions de visiteurs par an (avant la pandémie), finance des centaines d'expéditions scientifiques dans le monde et délivre aussi des formations et des diplômes du plus haut niveau avec ses masters et ses doctorats. Ce lieu est aussi très connu pour ses dioramas, notamment immortalisés dans le film " La nuit au musée" sorti en 2006, et dont l'intérêt est de recréer des scènes du passé ou de la vie sauvage avec des animaux dans leur environnement naturel.
Ce dispositif d'exposition créé au XIXe siècle perdure encore aujourd'hui malgré son côté un brin suranné. De nombreuses institutions en présentent : les musées d'histoire naturelle de Berne, Milan, Chicago... Au musée de New York, on compte plus de 150 dioramas créés à partir de la fin du XIXe siècle : méticuleusement réalisés, entretenus, rénovés mais aussi parfois critiqués et amendés... Ils racontent l'état des connaissances scientifiques de l'époque à laquelle ils ont été édifiés, l'état des préjugés aussi mais ils ont toujours autant de succès auprès du public, assure le Musée qui se targue de "la plus belle collection de dioramas dans le monde".
Un mode d'exposition novateur et moderne à ses débuts
Le mot "diorama" est un terme français apparu au début du XIXe siècle et désigne à l'origine un appareil d'illusion optique créé par Louis Daguerre (inventeur de la photographie) et proche du panorama. Tel qu'on l'entend aujourd'hui, le diorama est un dispositif d'exposition qui vise à recréer des scènes réelles dans une vitrine à l'aide de décors, de mannequins ou d'animaux naturalisés. "On en trouve dès le XIXe siècle en France, en Allemagne, en Égypte ou en Turquie", explique Noémie Étienne, professeure en histoire de l'art à l'université de Berne et spécialiste des dioramas, sur lesquels elle a écrit plusieurs articles et ouvrages.
Proches des musées de cire ou des 'Period Rooms', voire des 'Zoos humains', ces dispositifs sont utilisés dans les foires, les expositions universelles, les vitrines de magasins ou encore les musées. Dans les musées de science, les dioramas doivent instruire et divertir à la fois. Indirectement, ils reflètent aussi les objectifs politiques des acteurs qui les fabriquent et des institutions qui les financent.
Noémie Étienne, spécialiste des dioramas
À New York, le Musée Américain d'histoire naturelle possède des dioramas depuis la fin du XIXe siècle mais certains ont depuis été retirés. Les premiers représentaient des Hommes et notamment des Amérindiens, créés par l'anthropologue allemand Franz Boas, considéré comme le père de l'anthropologie culturaliste aux États-Unis. "D'autres installations, toujours en place, présentent des animaux naturalisés dans des biotopes recréés", ajoute Noémie Étienne, "Ils sont l’œuvre du chasseur, sculpteur et taxidermiste Carl Akeley. Enfin, dans la deuxième moitié du XXe siècle, d’autres dioramas ont encore été ajoutés et sont toujours visibles aujourd’hui".
Mode d'exposition novateur à ses débuts, le diorama est ensuite plébiscité par le AMNH qui multiplie ces présentations, "très attractives notamment pour le jeune public, mais aussi pour des personnes récemment arrivées dans le pays à une période de migration intense, et qui ne parlent pas encore la langue anglaise", complète Noémie Étienne.
"Aujourd'hui, le hall des mammifères d'Amérique du Nord compte 30 dioramas, celui des mammifères africains 28... Notre musée a été l'une des premières institutions dont la mission principale était éducative", explique Tom Baione, directeur de la bibliothèque de recherche de l'AMNH. "Auparavant, la plupart des musées d'histoire naturelle exposaient des animaux empaillés en rangées. Et le diorama a tout changé en présentant ces spécimens ensemble dans un arrière-plan réaliste, permettant au visiteur d'imaginer la vie de cet animal. Cela a fait une énorme différence et il a fallu _allier l'art à la science__"._
Un travail à la lisière de l'art, de la science et de la politique
La fabrication de ces vitrines impliquait effectivement un travail conséquent, long et coûteux : il fallait financer et mener les expéditions qui partaient dans le monde entier pour saisir les paysages, prélever les animaux qui finiraient naturalisés et repérer fidèlement les lieux. Le plus souvent, les financeurs participaient aux voyages en échange de leur mécénat. "Les dioramas d'un musée comme l'AMNH étaient donc le résultat d'un travail scientifique important et qui impliquait aussi des artistes, des taxidermistes ou encore des anthropologues", précise Noémie Étienne.
"Cela ne se résumait pas à ramener la fourrure d'un animal et fabriquer un décor à la va-vite !", tient à dire Tom Baione. "Tous nos dioramas sur la vie sauvage sont basés sur des lieux réels à une heure précise de la journée, à un moment précis de l'année ; ce sont des portraits de ces lieux. Le musée envoyait des scientifiques qui documentaient le comportement des animaux et leur environnement. Les artistes chargés de reproduire l'arrière-plan procédaient à des relevés tout aussi poussés pour créer leurs peintures et leurs décors une fois revenus à New York".
Une partie des dioramas que vous pouvez voir aujourd'hui ont mis dix ans à être réalisés, entre l'envoi des équipes en Afrique et la révélation officielle au public. La documentation et la réalisation des vitrines étaient extrêmement méticuleuses et détaillées...
Tom Baione, directeur de la bibliothèque de recherche de l'AMNH
Mais même si ces dispositifs visent à retranscrire la réalité le plus fidèlement possible, "ils demeurent des fictions", rappelle la professeure Noémie Étienne.
Les dioramas construisent une certaine vision de l’humain ou de l’animal, qui n’est pas la réalité. Le diorama des lions à l'AMNH en donne un exemple. Ce dispositif présente un mâle dominant entouré de plusieurs lionnes plus ou moins assoupies. Or le choix d’une telle scène ne va pas de soi : on aurait pu montrer, par exemple, les lionnes en pleine chasse, puisque ce sont elles qui ramènent les proies. L’iconographie retenue est toujours un choix qui n’est pas anodin.
Noémie Étienne, professeure en histoire de l'art à l'université de Berne.
Pourtant, l'intention de Franz Boas, qui crée les premiers dioramas de l'AMNH, est claire. Il veut inventer une nouvelle muséographie et rompre avec les préjugés de son époque. "En ce qui concerne les dioramas anthropologiques", poursuit Noémie Étienne, "il s’agissait pour Boas de montrer les artefacts amérindiens 'en contexte', dans de petites cellules culturelles cohérentes, et non suivant un accrochage linéaire proposant une thèse évolutionniste. L’idée était de rompre avec une muséologie décontextualisée qui affirmait toujours la supériorité de l’homme blanc".
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La démarche de Boas pourrait presque aujourd'hui être qualifié de progressiste. Néanmoins, son approche était elle aussi empreinte des représentations et des contradictions de son époque d'après Noémie Étienne :
En ce qui concerne les dioramas d’histoire naturelle, l’idée était de préserver des habitats et des spécimens, quoique paradoxalement en les détruisant, puisque les animaux ont été abattus volontairement pour créer ces installations. Comme la chercheuse Donna Haraway l’a montré, ces dispositifs résultent d’un idéal écologique de préservation, si l’on peut dire, mais aussi d’une pensée eugéniste qui correspondait bien au contexte de l’époque : il s’agissait de trouver le spécimen le plus représentatif de sa 'race', quitte à en abattre plusieurs jusqu’à obtenir celui qui serait naturalisé pour être transporté à New York. On construisait ainsi une image de l’espèce conformément à des critères relativement abstraits et qui ne reflétaient pas la diversité des animaux. La même ambition sous-tendait les représentations humaines sous forme de mannequins : elles sont ainsi problématiques car elles prétendent montrer une vision scientifique de types 'raciaux' - construisant ainsi une image factice et préconçue de l’altérité.
De son côté, Tom Baione insiste sur la mission éducative du musée. "L'idée d'origine était d'amener des visiteurs et de leur montrer ce qu'était la nature sauvage, alors qu'eux-mêmes vivaient à New York, une très grande ville ! Ils pouvaient observer des scènes proches ou très lointaines. Le but du musée était de leur donner envie d'apprendre de cette nature et de la protéger. On avait dès le début du XXe siècle ce sentiment que le monde naturel était menacé et qu'il reculait face à l'avancée de l'Homme. Certaines scènes reconstituées dans nos dioramas ont d'ailleurs disparu dans la réalité".
Au fond, les dioramas sont l'une des premières formes de réalité virtuelle et je ne crois pas du tout qu'ils soient démodés ! Il faut voir encore aujourd'hui le regard des enfants et des plus grands lorsqu'ils observent nos animaux naturalisés.
Tom Baione
Le temps des critiques et de l'inventaire
Le diorama n'est donc pas une présentation neutre et les critiques finissent par avoir raison de la plupart des installations présentant des humains à l'AMNH. "Les représentations des Amérindiens, par exemple, ont été démantelées car elles ne reflétaient pas la réalité, mais donnaient dans la majorité des cas une image stéréotypée des populations autochtones, asiatiques ou encore africaines, notamment par l’utilisation de mannequins en plâtre représentant ces corps de manière inadéquate. Aujourd’hui, l’un des dioramas (plus tardifs que les exemples de Boas) qui reste au AMNH a été conservé mais amendé", explique Noémie Étienne.
À l'AMNH, un diorama "problématique" a ainsi été conservé mais amendé avec des plaques explicatives sur la vitrine. L'histoire a été racontée dans un article du New York Times en mars 2019 : "What's wrong with this diorama ?" ("Qu'est ce qui ne va pas avec ce diorama ?"). La vitrine créée en 1939 montre la rencontre entre des Amérindiens de la tribua Lenape et des colons néérlandais au XVIIe siècle mais elle comporte des erreurs historiques et des clichés sur les populations autochtones. Plusieurs pancartes ont donc été ajoutées pour informer le visiteur sur le caractère complexe et violent de la colonisation européenne puis américaine.
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Mais globalement, la plupart des dioramas anthropologiques construits dans la première moitié du XXe siècle en Europe et aux États-Unis ont été démantelés.
À mon sens, il s’agit aujourd’hui de savoir quoi faire de ces objets. Les démonter car ils ne correspondent plus aux standards scientifiques contemporains ? Les détruire car leur sous-texte raciste n’est plus supportable ? La question est difficile. Dans mon livre, je cherche à les étudier et à reconstituer les contextes de leur production pour mieux les comprendre et restituer toute leur complexité. Je pense qu’il est important de ne pas mettre tous les dioramas présentant des humains dans le même panier : les dioramas créés par Boas à l'AMNH sont des produits complexes, résultants de nombreuses interactions, et portent en eux une dimension patrimoniale. D’autres dioramas ont été utilisés aux Etats-Unis par des activistes amérindiens ou afro-américains. Quoi qu’il en soit, il importe de les regarder clairement pour ce qu’ils sont : les témoins d’une époque, des installations au croisement entre art et science, esthétique et politique".
Noémie Étienne.