Le musée sous-marin de Cancún : une harmonie artistique et écologique

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Le musée sous-marin de Cancún : une harmonie artistique et écologique

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Le Musée d'art contemporain sous-marin de Cancun, une Atlantide écologique
Le Musée d'art contemporain sous-marin de Cancun, une Atlantide écologique
© Maxppp - Mauricio Collado

L'origine des mondes culturels. Sous la surface de l’océan, le musée d’art contemporain de Cancún (MUSA) déroute les touristes. Depuis onze ans, le plus grand musée subaquatique du monde a pour vocation d’attirer les plongeurs loin du véritable récif corallien. Un idéal environnemental donc, au-delà de son originalité.

Une fausse voiture coccinelle abritant des bancs de poissons dorés, une femme aux cheveux d’algues qui ondulent délicatement dans l’océan, une ronde d’hommes aux visages crispés se tenant la main : les fonds marins au large de Cancún débordent de surprises. Depuis novembre 2009, les visiteurs de Cancún, pointe au sud-est du Mexique, peuvent s’aventurer en bateau à fond transparent ou avec masque et tuba dans le musée d’art contemporain sous-marin ( MUSA). Entre quatre et dix mètres de profondeur, s’étendent trois galeries d’art, la plus grande comportant 450 sculptures.

Des hommes recouverts par les algues à perte de vue
Des hommes recouverts par les algues à perte de vue
© Getty - Jeremy Jones

Une Atlantide à visée écologique

Cette Atlantide, pensée par le directeur du parc national de la côte occidentale mexicaine regroupant l’île Mujeres, Punta Cancun et Punta Nizuc, a été réalisée grâce au sculpteur britannique Jason deCaires Taylor, coutumier des fonds marins. A l’origine, Jaime Gonzalez Canto, directeur du parc national, souhaitait renforcer l’attractivité du récif corallien de Cancún en y immergeant des sculptures colossales. C’est en apprenant que le récif corallien à l’est du Mexique est l’un des plus pollués et des plus abîmés qu’il révise son projet. Avec le partenariat de Jason deCaires Taylor, il décide de placer leurs galeries d’art à l’écart du récif, dans les fonds blancs, afin d’attirer les touristes dans une zone moins menacée. Le musée a nécessité dix-huit mois d’installation, 120 tonnes de béton, de sable et de gravier, et 120 heures de travail sous-marin pour ses sculpteurs et ses ouvriers.

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Des sculptures sont régulièrement ajoutées au sein de ces galeries afin de préserver leur intérêt auprès des touristes réguliers. En plus de détourner les plongeurs du récif en danger, les statues en ciment alcalin, un matériau au pH neutre, permettent à l’écosystème sous-marin de se développer. Les poissons ont colonisé les œuvres pouvant former des abris et les algues ont envahi les statues, créant aux formes humaines des cheveux, des vêtements ou des sortes de branchies. 

Des algues commencent à coloniser une statue du MUSA
Des algues commencent à coloniser une statue du MUSA
© Maxppp - Jason deCaires Taylor

Pour Pascale Joannot, docteure en océanographie et directrice des expéditions du Muséum national d’Histoire naturelle, cette technique s’apparente à celle développée par certains scientifiques : 

Il serait intéressant de connaître précisément l’impact de ce musée sous-marin afin de le comparer aux recherches en cours aujourd’hui qui utilisent des blocs implantés dans des fonds blancs. L’autre méthode utilisée aujourd’hui est celle de la transplantation : nous déplaçons quelques coraux dans des fonds blancs pour voir s’ils peuvent prendre et étendre ainsi leurs espaces de développement. Pour ce faire, il faut que les courants soient calmes et surtout, qu’il n’y ait pas trop de turbidité (le caractère plus ou moins trouble d’un liquide, ndlr). Bien sûr, ce genre de travaux est une goutte d’eau dans la préservation de l’écosystème océanique mais cela peut donner des résultats pertinents pour nos recherches.

Le musée sous-marin d’art contemporain revendique sa vocation écologique. Une démarche muséale pertinente selon Serge Planes, directeur de recherches au CNRS, spécialiste de la préservation des océans, pour qui "on ne protège bien que ce qu’on connaît bien". Mais le directeur du LabEx Corail et de l’Institut des Récifs Coralliens du Pacifique estime aussi que "le risque est souvent dans des opérations de ce type l'aspect économique : il y a une rentabilité économique à l'aquarium, au musée, avec des systèmes un peu pervertis par cela" :

Serge Planes : La réalité virtuelle dans une démarche muséale

1 min

Jason deCaires Taylor, sculpteur pour les poissons

Jason deCaires Taylor n’en était pas à son coup d’essai lorsqu’il a investi les fonds marins du large de Cancún. Ce sculpteur britannique mordu de plongée a commencé par être grapheur dans sa région de naissance, le Kent. Il a gardé de ses années de street-art sa veine acerbe envers notre société. 

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Depuis 2006, il immerge ses monumentales sculptures dans les fonds marins, des Antilles aux Maldives, en passant par le large du Maroc et la Tamise. En 2015, c’est en effet devant le Parlement britannique qu’il fait camper ses quatre cavaliers de l’Apocalypse pour alerter sur le dérèglement climatique. Le 3 février 2016, il ajoute au Museo Atlantico, immergé dans les fonds de Lanzarote, une œuvre saisissante : Le radeau de Lampedusa. Selon le sculpteur, ce n’est absolument pas "un mémorial aux nombreuses vies perdues" dans les mouvements migratoires qui se jouent sur les eaux méditerranéennes, mais "un rappel brutal de notre responsabilité collective". En 2018, les Maldives accueillent son Coralarium : une structure métallique visible à la surface des eaux et qui s’enfonce jusqu’à cinq mètres de profondeur. Mais deux jours avant les élections municipales de septembre 2018, le gouvernement a retiré et détruit les trente structures à l’intérieur de la cage ajourée, arguant que les formes humaines étaient semblables à des idoles, s’opposant donc aux valeurs islamiques. 

Les autorités maldiviennes détruisent les statues de Jason deCaires Taylor
Les autorités maldiviennes détruisent les statues de Jason deCaires Taylor
© AFP - AFP

La spécificité sous-marine de son art octroie à Jason deCaires Taylor une certaine reconnaissance et de l’écho lorsqu’il dénonce des problématiques sociétales ou écologiques. Mais cela lui permet aussi de travailler de façon inédite avec la luminosité et les reflets de couleur créés par l’eau. Au large d’Oslo, douze sculptures sont ainsi placées de façon à ce que les couleurs et les rayons de lumière qu’elles reçoivent rappellent les nuances des aurores boréales. L’artiste assure que son but est que ses œuvres se mêlent à l’écosystème sous-marin et que chacun apporte quelque chose à l’autre : 

J’aime la beauté de ce qui se transforme, fane et se délabre... Les éponges ou les madrépores qui se fixent sur mes statues leur font comme un réseau sanguin, des cheveux, une chair, leur insufflent une vie qu’elles n’auraient jamais eue ailleurs. Tant mieux s’ils finissent par tout recouvrir !, expliquait-il dans un article qui lui était consacré dans Télérama, en août 2015.

Jason deCaires Taylor semble inébranlable quand il s’agit d’alerter sur la préservation des océans et particulièrement des récifs coralliens. Selon une étude du 23 juin 2017, menée par l’Unesco, ces derniers pourraient tous disparaître d’ici 2050 si les émissions de carbone ne diminuent pas suffisamment. Sur les 29 zones de récifs classées à leur patrimoine mondial, au moins 25 seraient victimes de phénomènes de blanchissement. Selon d’autres prévisions de l'IPCC (le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), 90% des récifs coralliens auraient disparus d'ici 2040. Serge Planes se veut mesuré sur ces études : "Elles ont comme considération première qu’une adaptation est impossible. C’est un point de départ radical. Ce qui est plus sûr, c'est que les structures coralliennes seront bien différentes, avec une perte importante de diversité et d'écosystème". Pour Pascale Joannot, docteure en océanographie et directrice des expéditions du Muséum national d’Histoire naturelle, il est primordial de préciser les dangers auxquels font face les coraux, la pollution d’une part, mais surtout le dérèglement climatique, et leurs conséquences :

Pascale Joannot : Le blanchissement des coraux et l'acidification des océans

5 min

Le MUSA, installation artistique sans pareil

Aujourd’hui, il existe trois musées semi-immergés dans le monde : le musée de Baiheliang en Chine, le musée de la route maritime de la Soie de Guangdong, aussi en Chine, et le musée de l’USS Arizona, à Pearl Harbor, à Hawaï. En Egypte, un projet de musée semi-immergé dans la baie d’Alexandrie est en discussion depuis 1998, afin que tous puissent contempler les vestiges de la Cité engloutie d’Alexandre et de Cléopâtre. Les galeries d’art complètement immergées de Jason deCaires Taylor sont donc uniques et celles de Cancún, les plus grandes de toutes. La politique mexicaine envers la culture est un terreau favorable à l’installation de musées, ainsi que l’explique Elodie Bordat-Chauvin dans son essai De la mobilisation à l’institutionnalisation : une analyse comparative historique des politiques culturelles au Mexique et en Argentine

Au Mexique, les intellectuels et artistes sont proches des arcanes du pouvoir et forment un groupe auquel l’élite politico-bureaucratique s’identifie. Le département chargé de la culture dépend du Secrétariat à l’Éducation Publique. Nombre de Présidents et de cadres du parti ont fait de hautes études et montrent un intérêt pour les arts et les lettres.

Entendimiento, une oeuvre de Jason deCaires Taylor
Entendimiento, une oeuvre de Jason deCaires Taylor
© Radio France - MUSA

Le MUSA a progressivement acquis une réputation mondiale et quelques-unes des cinq cents sculptures de Jason deCaires Taylor mais aussi d’artistes mexicains qui ont rejoint par la suite le projet sont devenues célèbres. L’une des galeries retrace, selon le site du musée, l’évolution de la culture maya. Selon Éric Taladoire, archéologue méso-américaniste et spécialiste de la civilisation et de l’histoire maya, il n’y a aucun lien entre la culture maya et la préservation des océans mais il est cohérent de consacrer une galerie à cette civilisation car un site archéologique maya se situe à dix minutes de Cancún. 

Je ne connais pas les motivations de l’artiste britannique mais il est possible que son intérêt soit en partie lié au fait que le Mexique a été un territoire britannique et que les archéologues anglais ont beaucoup écrit sur cette civilisation.              
Éric Taladoire

L’historien insiste sur la représentation certainement schématique de l’évolution de la civilisation maya avec les œuvres immergées de Jason deCaires Taylor, ne correspondant pas à une présentation historique, archéologique, puisque leur évolution comporte encore d’importantes zones d’ombre.  

Reclamation, une oeuvre de Jason deCaires Taylor exposée au MUSA
Reclamation, une oeuvre de Jason deCaires Taylor exposée au MUSA
© Radio France - MUSA

Éric Taladoire suppose que cette salle sous-marine consacrée à la civilisation maya répond à une curiosité des touristes au Mexique, qui associent pour beaucoup, à tort précise l’historien, les civilisations mexicaines et mayas. En effet, selon Julieta Anzaldo Lopez, administratrice du MUSA, les visiteurs sont majoritairement des touristes, venant des quatre coins du monde. Les recettes du musée, en moyenne autour d’un million de pesos mexicains par an, précise l’administratrice, sont utilisées à 30% pour l’administration du musée et les 70% restants sont reversés à une association pour la défense des récifs naturels. Pascale Joannot est enthousiaste vis-à-vis de notre capacité à préserver les trésors de nos océans et réagit à une sculpture de Jason deCaires Taylor, de cinq mètres de haut et de plus de soixante tonnes, représentant une petite fille qui porte l’océan : 

Je suis une fervente défenseuse de la jeunesse et de l'éducation, affirme l’océanographe. Ma génération, celle d'avant, tous ceux qui ont environ ou plus de cinquante ans doivent reconnaître que nous avons fait des erreurs par méconnaissance. Bien sûr, corriger ces erreurs aujourd’hui alors que nous avons des lobbys économiques énormes qui vivent sur celles-ci, c'est compliqué. C'est donc à la génération qui vient de faire un choix. Je ne veux pas être trop optimiste mais je suis assez confiante.