L'utilisation de l'énergie nucléaire pour produire de l'électricité fait débat auprès de l'opinion publique en France. Cette technologie peu émettrice de CO2 est également au cœur des questionnements des climatologues, des physiciens ou encore des membres d'ONG de protection de la planète.
En novembre 2018, Emmanuel Macron a détaillé le programme français de fermetures progressives de 14 réacteurs nucléaires d'ici 2035. Dès 2020, les deux réacteurs de Fessenheim seront mis à l'arrêt, puis, entre 2020 et 2028, deux réacteurs supplémentaires seront fermés, et 2 autres encore entre 2028 et 2030. Enfin, entre 2030 et 2035, six à huit réacteurs cesseront de produire de l'électricité. Le but n'est pas de renoncer au nucléaire mais de faire baisser la part du nucléaire dans le mix énergétique, qui passerait de plus de 70% à 50%.
Cette volonté politique ne fait pas l'unanimité au sein de l'opinion publique. Dans u ne étude parue en mars 2018, 57% des sondés se disaient "défavorables" à l'énergie nucléaire. Le sujet fait également débat au sein la communauté scientifique, alors que se tient en ce moment la COP24. Certains climatologues voient d'un bon œil la conservation et le développement d'une énergie qui n'émet que peu de CO2. D'autres défenseurs du climat arguent du fait que l'argent investi dans une technologie à risque ne l'est pas pour les énergies renouvelables. Revues des arguments.
Le nucléaire face aux énergies renouvelables
Pour les scientifiques pro-nucléaires, il ne fait aucun doute que les énergies renouvelables ont encore des progrès à faire pour être aussi performantes que la technologie de fission de l'atome. Tout d'abord le nucléaire "n'émet quasiment pas de CO2" selon François-Marie Bréon, membre du Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), chercheur au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement et contributeur pour le GIEC. Mais ce n'est pas tout : "Par rapport à l’hydraulique, le seul avantage du nucléaire est que celui-ci utilise moins de surface. Si l’on parle de l’éolien et du photovoltaïque, mis en avant comme deux sources d’électricité propre, le gros avantage du nucléaire est qu’il peut fournir une électricité à la demande alors que l’éolien et le photovoltaïque sont des énergies dites « fatales ». Elles produisent parfois mais pas en continu et pas en fonction des besoins." Au sein du laboratoire du climatologue François-Marie Bréon, les avis divergent sur la question des avantages comparatifs entre nucléaire et énergies renouvelables. "Il n’y a pas de consensus dans la communauté des climatologues. Si je regarde autour de moi, dans mon laboratoire, je suis un des seuls à être pro-nucléaire convaincu. Je me suis amusé à faire un petit sondage dans mon laboratoire et c’était du 50/50."
Yves Balkanski, chercheur lui aussi au Laboratoire des Sciences du Climat et de l’Environnement, qui indique parler en son "nom propre et non au nom de son employeur", ne partage donc pas les analyses de son collègue sur l'avenir du nucléaire. Selon ce climatologue qui les énergies renouvelables seront bientôt aussi performantes que la technologie nucléaire. Et ce grâce à la notion de stockage : "Le stockage permet d’éviter l’intermittence des énergies renouvelables : le solaire dépend du cycle diurne, l’éolien de la force du vent et l’hydraulique du niveau de l’eau. L’idée du stockage consiste à faire une moisson de l’énergie pendant les périodes d’abondance pour les redistribuer ultérieurement. Nos capacités à stocker de l’énergie ont crû considérablement ces cinq dernières années. Des progrès récents ont été faits concernant la densité de stockage, c’est-à-dire la quantité de stockage par unité de volume. On devrait rapidement multiplier cette capacité par cinq, sans utiliser de lithium, une matière dont la quantité est limitée aujourd’hui."
Le nucléaire de moins en moins compétitif
La question du coût des centrales nucléaires françaises est également au cœur des débats. Deux semaines après l'annonce du Programme pluriannuel de l'énergie (PPE), présenté par Emmanuel Macron, l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (ADEME) a rendu publique une étude dont les conclusions sont catégoriques : "D’un point de vue économique, le développement d’une filière nucléaire de nouvelle génération ne serait pas compétitif pour le système électrique français. La construction d’un EPR en 2030 nécessiterait 4 à 6 milliards d'euros de soutien public. À plus long terme, le surcoût de développement d’une filière industrielle EPR serait au minimum de 39 milliards d'euros pour la Nation." Toutefois, l'ADEME se prononce en faveur d'une fermeture progressive des centrales qui permettrait d'allier, pendant les trente prochaines années, énergies nucléaire et renouvelables : "Le prolongement d’une partie du parc nucléaire historique, avec l’atteinte de l’objectif de 50 % de nucléaire entre 2030 et 2035, permet une transition efficiente d’un point de vue économique et climatique. Pour les scénarios étudiés, une fermeture de 30 % des réacteurs à l’âge de 40 ans, puis à nouveau de 30 % des réacteurs restants à 50 ans est possible avec un coût nul pour la France sur la période 2030-2044."
Autre facteur important : le prix du mégawattheure d'électricité que doivent payer les consommateurs. Concernant le nucléaire, ce prix est fixé par arrêté ministériel et il s'établit, depuis 2012, à 42 euros le MWh. Cependant, le prix de l'électricité que pourra produire un réacteur EPR en France est estimé à 120 euros le MWh. Or, selon les derniers appels d'offre étudiés par le ministère de la transition écologique, les installations solaires les plus performantes permettent de fixer le prix de cette énergie à 52 euros le MWh. "Le coût du solaire a décru de manière considérable, indique le climatologue Yves Balkanski_, contredisant ainsi certaines publications scientifiques qui disaient que jamais on ne pourrait produire de l’énergie solaire moins chère que les énergies fossiles. Or, c’est déjà le cas. Ces énergies renouvelables sont beaucoup moins chères qu’elles ne l’ont été._" Célia Gautier, responsable climat et énergie à la Fondation pour la nature et l'homme, va même plus loin en affirmant que "le nucléaire empêche le développement d’autres énergies." Selon elle, "l’Etat injecte des ressources sur ce marché du nucléaire alors que cette énergie est devenue très coûteuse parce qu’il y a de nouvelles normes, parce que des investissements sont nécessaires et n’ont pas été faits depuis des décennies, parce qu’il faut intégrer le coût de la gestion des déchets et du démantèlement, parce que l’EPR est un trou financier. Si ce marché n’était pas pris en main par l’Etat, il ne tiendrait pas une seconde."
La sécurité en question
En juillet 2018, l'Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (ANDRA) a estimé que 1,54 millions de mètres cubes de déchets radioactifs étaient entreposés sur le sol français. Les déchets les plus radioactifs doivent être enterrés à Bure, dans la Meuse ; la durée de leur radioactivité est estimée à des centaines de milliers d'années. Là encore, deux camps s'affrontent chez les défenseurs du climat. "Je ne comprends pas cette focalisation sur les déchets, tonne le climatologue François-Marie Bréon. On envisage d’enfouir les déchets, en France, sous une couche géologique stable, à 500 mètres de profondeur. Je n’ai aucun problème avec cette solution. Si la couche géologique est bien choisie, ces déchets vont rester en profondeur pendant des millions d’années, ça ne passera pas en surface, ça ne passera pas par la biosphère." Une analyse que tempère ici le physicien nucléaire de formation Bernard Laponche, connu pour son engagement contre l'énergie nucléaire : "Il est aventureux de prétendre « imaginer l’inimaginable » quand il s’agit de « garantir » un stockage sans encombre pendant plus de cent mille ans. Certes, les expériences réalisées sur les couches géologiques devraient permettre de calibrer des modèles complexes, mais nul ne peut s’engager sur des événements géologiques inattendus, et aujourd’hui probablement inimaginables."
Les deux camps, pro et anti-nucléaire, s'écharpent également sur la sûreté des installations françaises. En novembre 2018, quatre ONG anti-nucléaire ont déposé un recours devant le Conseil d'Etat contre le démarrage de l'EPR en construction dans la Manche. L'Autorité de sûreté du nucléaire (ASN) avait remarqué en 2015 "une anomalie sérieuse" sur le couvercle de la cuve. Selon Dominique Leglu, directrice de la rédaction de Sciences et Avenir et docteure en physique nucléaire, interrogée en octobre 2016 sur France Culture, ce n'est pas la première alerte émise par l'ASN : "Il y a eu une mise en exergue par l’ASN de ce qu’elle appelle des « irrégularités », une vingtaine concernant des réacteurs en fonctionnement. L’autorité dit que ces irrégularités pourraient être embêtantes pour la sûreté. L’exemple le plus marquant étant celui d’une des pièces du réacteur de Fessenheim, sur le générateur de vapeur. L’autorité l’a fait remarquer à EDF mais aussi à Areva concernant les futures constructions de centrales." La gestion du parc nucléaire se doit d'être irréprochable abonde de son côté le climatologue Yves Balkanski : "Tant que nous avons une maîtrise excellente, tant que nous respectons le cahier des charges des constructions des centrales nucléaires, tant que l’on ne dépasse pas des durées de vie excessives, on restera dans des zones à très faibles dangers. Toutefois, on peut être moins vertueux pour des raisons économiques, en allant trop vite pour que des centrales coûtent moins chères. Là, on rentre dans une zone à forts risques. Voilà pourquoi il est très important qu’il y ait des autorités indépendantes capables de juger de cette bonne gestion."
Divisions anciennes
La communauté scientifique est depuis longtemps divisée sur la question du nucléaire en France. D'après les travaux de Sezin Topçu, chargée de recherche au CNRS et auteure d'une étude intitulée " Les physiciens dans le mouvement antinucléaire : entre science, expertise et politique", la contestation du développement massif et rapide de la technologie nucléaire par les physiciens atteint son apogée en réaction au Plan du "tout électrique tout nucléaire" lancé par le gouvernement Messmer en 1974. Ainsi, en février 1975, 400 scientifiques signent un Appel, évoqué dans son étude par Sezin Topçu : "L’Appel des scientifiques, signé par plus de 400 chercheurs en une semaine, parvient à recueillir 4 000 signatures en trois mois. Si environ la moitié des premières signatures appartiennent au milieu des physiciens nucléaires, l’Appel brasse aussi un large éventail de disciplines, de l’économie à la zoologie, de la biologie à la psychiatrie."
En 1977, la construction du surgénérateur de Creys-Malville, en Isère, la filière à neutrons rapides, fait également polémique. Un manifestant anti-nucléaire meurt dans des affrontements avec les forces de l'ordre. Alain Beltran, historien de l’électricité, directeur de recherche au CNRS et président du Comité d’histoire de l’énergie, a travaillé sur cette période. "Je me souviens qu'à l’époque, les physiciens qui travaillaient pour EDF ou pour le CEA étaient pour la plupart favorables au nucléaire. A l’inverse, les physiciens universitaires, ou ceux du Collège de France, étaient souvent hostiles au surgénérateur et avaient des doutes sur la viabilité du nucléaire."
Toutefois, cette critique du développement massif du nucléaire s’essoufflera rapidement, indique Sezin Topçu : "Mais c’est l’arrivée de la gauche au pouvoir qui changera définitivement la donne. La déception générée par le Parti socialiste qui, après avoir « récupéré » les votes écologistes, renonce aussitôt à ses promesses pré-électorales, accélère le reflux de la critique. Le militantisme dans le milieu physicien ne fera pas exception à ce recul qui s’opère, on le sait, non seulement au sein du mouvement antinucléaire mais dans l’ensemble de la critique sociale issue de Mai 68".
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