Le prince de "La Belle au bois dormant" est-il un prédateur sexuel ?

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Le prince de "La Belle au bois dormant" est-il un prédateur sexuel ?

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Le baiser du prince à la Belle au bois dormant (1959)
Le baiser du prince à la Belle au bois dormant (1959)
- Walt Disney

Les contes pour enfants sont aussi une caisse de résonance à la culture du viol. Une mère de famille britannique dénonce "La Belle au bois dormant" pour ce baiser sans consentement. Mais la version d'origine était plus trash encore.

#Balancetonporc dans le monde des enfants ? Ne cherchez plus, c'est tout simplement le prince de La Belle au bois dormant, affirmait récemment une mère de famille britannique. Pour elle, pas question de laisser son fils de 6 ans découvrir ce conte où un prince, aussi charmant soit-il, embrasse sans son consentement une Belle endormie à qui on n’a rien demandé :

Je pense que ce conte traite aussi de comportement sexuel et de consentement. Il montre à quel point ce type de comportement est ancré dans notre société.

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Les prédateurs sexuels chez Walt Disney

Dans un tweet accompagné du hashtag #metoo faisant référence à la campagne de dénonciation des prédateurs sexuels comme Harvey Weinstein, Sarah Hall ne décolérait pas :

Tant que de telles histoires sont discutées en classe, la société ne changera jamais.

Les Matins
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Cette mère de famille réclame que les programmes scolaires pour les plus jeunes soient expurgés de La Belle au bois dormant. Qu’il s’agisse de la version Disney en dessin animé, qui date de 1959, ou du conte traditionnel, dont on connait plusieurs versions, et parmi les plus connues, celle de Charles Perrault (1697) puis celle des frères Grimm (1812).

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Ce conte n’est pas le seul à véhiculer des schémas archaïques sur l’inégalité entre hommes et femmes. C’est d’ailleurs une bonne part du rayon jeunesse des bibliothèques qui peut se voir reprocher de perpétuer une vision ancestrale et dépréciative de la femme sous couvert d’universalité, comme le faisait remarquer l’universitaire Florence Gaiotti dans un article que nous avons récemment consacré à l’anthropomorphisation des animaux des livres pour enfants.

Faut-il s'en tenir à une lecture littérale de La Belle au bois dormant et bannir tout ce qu'on peut regarder comme du sexisme littéraire voire une culture du viol sous-jacente ? Ou préférer une lecture intermédiaire de ces contes, en décryptant leur mécanisme ? 

Bettelheim et la fonction des contes

L'Autrichien Bruno Bettelheim, dans sa Psychanalyse des contes de fées de 1976, relit La Belle au bois dormant comme un récit initiatique. C'est du destin de femme qu'il serait bien question, avec une histoire censée préparer les petites filles à ce qui les attend.  Les règles sont une malédiction, qui sera suivie d'un repli sur soi symbolisé par ce fameux sommeil de cent ans dont le prince sera le libérateur. De prédateur sexuel il n'est point question, car Bettelheim s'attachait plutôt à décrypter la fonction des contes de fées sur le psychisme des enfants.

Dans "Les Chemins de la philosophie" consacrés au célèbre essai de 1976 de l'Autrichien, le psychanalyste Paul Denis expliquait la lecture qu'en faisait Bettelheim. C'était le 29 mars 2012 sur France Culture :

Paul Denis disait alors ceci de la fonction narrative du conte, “qui donne à l’enfant une prise sur son monde interne” :

Ce que les contes apprennent aux enfants, ce n’est pas une incitation, c’est un modèle qu’on lui donne, une inspiration. Ce que les contes apportent à l’enfant, c’est de s’intéresser à ses propres images et à ce qui se passe en lui. Ça l’aide à trouver des solutions psychiques à ce qui peut l’angoisser. C’est en cela que les contes de fées ont une vertu tout à fait importante.

Le genre exacerbé 

Dans cette archive, le psychanalyste souligne que “les contes qui marchent” sont ceux qui ont une portée “quasiment universelle”. Il évoquait déjà l’hyper-sexualisation des femmes, et en tous cas l’exacerbation du genre, par l’entremise de la fée, “capable de transformer une citrouille en carrosse, c’est-à-dire capable de transformer la petite fille garçon manqué en une superbe jeune fille capable de séduire”. En revanche Paul Denis taisait la question du consentement chez la Belle endormie. Or de nombreux essais psychanalytiques se réfèrent à ce conte pour relater ce que livrent les patients.

Dans les revues académiques, une abondante littérature existe ainsi autour de La Belle au bois dormant. Le plus souvent, pour y décrypter rapports de rivalité, d'agressivité ou désirs de vengeance. Pas pour débusquer les traces d'une culture du viol. La psychanalyste Claude de la Genardière, elle, relate dans un article sur le conte l’histoire d’une de ses analysées, qui lui avait confié son incapacité à jouir autrement qu’à moitié endormie. Or ce n’est pas sur la version popularisée par Walt Disney que la psychanalyste a alors fondé son écoute mais sur des versions antérieures, originelle, de ce conte qui daterait du XIVe siècle avant d'être repris par Charles Perrault puis disséminé plus largement par les frères Grimm. Et ce que Sarah Hall, la mère de famille britannique féministe, ignore peut-être, c’est que la version de La Belle au bois dormant à la sauce Disney, qu’elle réprouve, est en réalité une version tronquée et édulcorée du conte d’origine. Voici comment Claude de la Genardière résume l’affaire pour ceux qui, eux aussi, l’auraient oublié :

Je rappelle juste qu’après le réveil de la Belle par le Prince, les deux amants ont deux enfants en cachette, puis finalement après la mort du roi, le Prince annonce son mariage à sa mère et le célèbre en grande pompe. Mais devant bientôt s’absenter à la guerre, il confie sa femme, ses enfants et son royaume à sa mère, laissant le champ libre à ses appétits d’ogresse. Elle veut alors manger tour à tour les deux enfants et les faire préparer ; mais le maître d’hôtel essaie de ruser en lui offrant à leur place des animaux. Puis elle demande finalement à manger la reine elle-même et elle est à nouveau trompée. Quand la reine-mère découvre la tromperie, elle prépare un grand châtiment ; mais le roi rentrant alors de guerre arrive à temps pour remettre tout cela en bon ordre et faire châtier sa mère. J’ajoute que l’écriture de Perrault déploie des raffinements extrêmes dans ces affaires de cachotteries entre fils et mère, et d’amour dévorant qui oscillent sous sa plume entre humour et dérision, aux accents tour à tour cruels et délicieux.