Le Qatar au centre du monde avec le football, une stratégie assumée

Un ballon avec le logo de la Coupe du monde au stade Lusail à la périphérie de Doha, la capitale du Qatar, le 15 août 2022.
Un ballon avec le logo de la Coupe du monde au stade Lusail à la périphérie de Doha, la capitale du Qatar, le 15 août 2022.

Le Qatar au centre du monde avec le football, une stratégie assumée

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Le Qatar au centre du monde avec le football, une stratégie assumée

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Avec la Coupe du monde de foot, le Qatar se retrouve au centre de l’attention internationale. L'aboutissement d’une diplomatie sportive méthodique. Mais pas seulement. Le petit émirat s’affirme plus largement et veut se poser comme un acteur incontournable. Mais il est critiqué et son succès agace.

C’est l’aboutissement d’une diplomatie sportive méthodique. Mais pas seulement : le petit émirat du Golfe s’affirme, plus largement, sur la scène internationale, on l’avait déjà vu avec son rôle diplomatique central lors de l’évacuation de Kaboul en Afghanistan.
Fort de son immense richesse gazière, il veut se poser comme un acteur incontournable qui parle à tout le monde, mais il n’a pas que des amis : son succès agace.
Il veut aussi apparaitre comme un symbole de modernité au Moyen-Orient, mais là aussi c’est un pari, il est très critiqué pour le sort qu’il réserve aux travailleurs migrants.

En tout cas, c’est un vrai rebond pour ce pays, un temps accusé de liens avec le terrorisme et montré du doigt pour ses liens avec les Frères musulmans.

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Analyse en six points clés pour " Le regard de l'autre" : géographie, Histoire, économie, droit, psychologie et sociologie.

La géographie

Le Qatar est minuscule par la taille mais il est très bien situé.

11 500 km2, c’est à peine plus qu’un département français. C’est une petite péninsule désertique, qui s’avance un peu comme un doigt dans le golfe Persique. Un positionnement idéal sur le plan commercial.
160 kms de long sur 80 de large, le pays est densément peuplé : près de 3 millions d’habitants, dont pas loin de la moitié se trouve à Doha, ou autour de Doha, la capitale truffée de gratte-ciels futuristes.
Le Qatar a de grands voisins tout proche : l’Arabie saoudite d’abord, son voisin par la terre, à 50 km de Doha. Bahrein au Nord, les Émirats au Sud.
Et l’Iran, voisin par la mer, à 300 km, comme la distance entre la Corse et Nice. L’Afghanistan se trouve un peu plus loin, juste après l’Iran.
C’est enfin une terre d’immigration, la moitié de la population est étrangère, avec de nombreux employés venus du sous-continent indien.

Bref, un emplacement parfait pour jouer les médiateurs.

L’Histoire

L’Histoire du Qatar est indissociable de celle d’une famille, les Al Thani, et de leur volonté affichée d’indépendance.

Comme tous les pays de la région, le Qatar est structuré depuis des millénaires par des tribus, il a connu de nombreuses influences (assyrienne, grecque, perse, chrétienne, musulmane, turque, britannique).
Mais à partir du XVIIe siècle, une famille locale, les Al Thani s’impose progressivement.

Lorsque le protectorat britannique s’achève dans le Golfe, le Qatar prend son envol.
En 1971, il proclame son indépendance et renonce à s’associer avec les autres émirats, qui vont devenir les Émirats arabes unis, voisins et concurrents.
Les Al Thani se succèdent au pouvoir. C’est une monarchie familiale et absolue, mais les derniers souverains sont désireux de renvoyer une image de modernité, en particulier l’émir actuel, Tamim Ben Hamad Al Thani.

Les liens du Qatar avec l’organisation des Frères musulmans l’ont aussi conduit à soutenir le mouvement palestinien Hamas, puis les soulèvements arabes à partir de 2011. 
Les monarchies voisines sunnites et wahhabites, les Émirats, l’Arabie saoudite l’ont mal pris, d’autant que le Qatar a aussi des relations avec le rival chiite, l’Iran. En 2017, elles ont donc imposé un blocus commercial au petit émirat. Il s’est avéré improductif et a été levé début 2021. 
Succès du Qatar qui a tenu bon.

L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte, ont annoncé lundi 5 juin 2017, la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar.
L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte, ont annoncé lundi 5 juin 2017, la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar.
© Visactu

L’économie

C’est le socle de la puissance qatari : l’immense richesse liée aux matières premières, une richesse mise au service du projet géopolitique.

La découverte de pétrole dans les années 40 et plus encore de gaz, à la fin XXe siècle, ont transformé un pays pauvre en pays riche. Une ascension fulgurante.
L’un des 10 plus riches au monde, si l’on examine le PIB par habitant. Un chômage inexistant, une espérance de vie de 80 ans en moyenne.

Le Qatar est le premier producteur au monde de gaz liquéfié et possède avec la Russie et l’Iran les plus grandes réserves de la planète. 
Le gaz représente 60% des exportations du pays. Et la volonté des Occidentaux de couper avec le gaz russe, a encore renforcé le poids du Qatar, toujours plus courtisé.

L’émirat a eu l’intelligence d’investir les milliers de milliards qui en découlent dans un fonds souverain gigantesque, l’un des plus grands au monde. 
En achetant à l’étranger des grands magasins, des hôtels, des clubs de foot (le PSG, et une partie du Sporting Braga au Portugal). En lançant il y a vingt-cinq ans une chaine de télévision, Al Jazeera, devenue la plus puissante du monde arabophone : 80 bureaux dans le monde.
En développant une compagnie aérienne, Qatar Airways, forte de 230 appareils, et très impliquée dans les opérations d’évacuation en Afghanistan.
En achetant beaucoup d’armes et des avions, notamment à la France, des Mirage, des dizaines de Rafale.

Il y a des zones d’ombre : les circuits de financement sont accusés d’opacité par certaines ONG.
Et puis l’économie du Qatar repose aussi sur une forte communauté de travailleurs immigrés surexploités, notamment des Indiens, des Bangladeshis, des Népalais. Soumis jusqu’à récemment à la Kefala, une sorte de soumission à l’employeur. 
Le système a été officiellement aboli sous la pression internationale. Mais dans les faits, les droits des migrants restent sommaires.
Amnesty International estime que des milliers de morts de travailleurs immigrés restent inexpliquées, entre autres sur les chantiers de la Coupe du Monde de football. Le Qatar dément.

En tout cas, l’émirat utilise donc son immense richesse financière avec un but précis : s’imposer comme un acteur international incontournable.

Le droit

Sur le plan intérieur, le droit au Qatar est d’abord celui d’une famille et d’une religion.
La charia est la base de la loi. Et même s’il y a une Constitution censée refléter la volonté populaire depuis 2004, même si des élections législatives ont eu lieu en 2021, c’est bien la dynastie Al Thani qui tient les rênes. Elle nomme un tiers des députés.
Aucune femme n’est élue, même si elles sont nombreuses à l’université. Les relations entre personnes de même sexe sont interdites.

Sur le plan international, il faut retenir un accord important. Celui, militaire, qui lie le Qatar aux États-Unis.
Washington y possède sa principale base au Moyen-Orient, la base d’Al Udeid qui peut abriter jusqu’à 10 000 hommes.
C’est un partenariat clé. Le Qatar est diplomatiquement lié aux États-Unis.

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Psychologie et sociologie

Il y a d’abord, l’ambition forte de cette famille des Al Thani.

C’est le père de l’émir actuel, qui le premier, a développé l’influence mondiale du Qatar.
Son fils, Tamim, aujourd’hui au pouvoir, a encore accéléré le processus. Formé en grande partie à Londres, anglophone et francophone, âgé de 41 ans, c’est un homme cultivé et adroit. 
Il cherche donc à faire du Qatar l’interface de la diplomatie mondiale, le pays qui parle à tout le monde, des talibans aux Américains, en passant par les Iraniens, les Européens, les Chinois. Et aussi la Russie de Poutine.
Il voit Doha comme un Genève du XXIe siècle.

Mais cette ambition possède des facettes plus opaques. 
Sur la nature exacte des relations avec les groupes islamistes, le Hamas, le Hezbollah, le Front Al Nosrah. Sur les circuits de financement de l’Islam en Occident, en France en particulier.
Et le pouvoir admet assez mal la critique. Par exemple sur l’impact climatique global de l’organisation de la Coupe du monde (construction des stades, des logements, des transports).

Et puis, comme la famille Al Thani contrôle tout le pouvoir (par exemple le Premier ministre ou le ministre des Affaires étrangères sont aussi des Al Thani), il est difficile de savoir ce que pense la population qatarienne. Même si le niveau de vie élevé garantit un certain soutien populaire, avec des sommes importantes investies depuis quarante ans dans l’éducation ou la santé.

Au stade de Lusail. Inauguré le 22 novembre 2021, il accueillera le match d'ouverture et la finale de la Coupe du monde de football de 2022
Au stade de Lusail. Inauguré le 22 novembre 2021, il accueillera le match d'ouverture et la finale de la Coupe du monde de football de 2022
© Maxppp - Jean-Luc Flémal / Belpress

Post scriptum : le rôle central du sport

Depuis quinze ans, le Qatar a misé délibérément sur le sport, comme un outil d’influence, de "soft power", de création d’une image propre et lisse.
C’est la traduction de la passion personnelle de l’émir pour le sport, mais c’est surtout devenu une clé de voûte diplomatique, un outil de notoriété.

Le pays a déjà organisé les Jeux asiatiques de 2006, les Jeux panarabes de 2011, le championnat du monde de handball masculin en 2015, les Mondiaux d’athlétisme en 2019.
Cette diplomatie passe aussi par l’audiovisuel via le groupe BeIN Sports.

En devenant le premier pays arabe à décrocher la Coupe du monde de football, l’émirat marque des points vis-à-vis de ses voisins et rivaux du Golfe.
Donc il a dépensé sans compter dans ce but : 7 milliards pour les stades, 36 milliards pour le métro.
Le Qatar organisera aussi la Coupe d’Asie de football en 2023. Et son objectif suivant, ce sont les Jeux Olympiques en 2036.

Les stades de la Coupe du monde au Qatar.
Les stades de la Coupe du monde au Qatar.
© AFP - Laurence Saubadu, Vincent Lefai

En résumé, l’organisation de la Coupe du monde de football n’est qu’une étape pour le Qatar.
Il n’entend pas en rester là, il est animé d’une ambition forte. 
Sa  richesse lui donne les moyens d’une diplomatie du carnet de chèques.
Il voit sa notoriété nouvelle et son rôle de médiateur comme une source de légitimité, voire une assurance vie.

Mais se retrouver au centre des regards comporte des risques : cela attire aussi l’attention sur les faces cachées (le sort des travailleurs migrants, l’impact sur le climat).
Et c’est un pari qui fait des jaloux : les voisins, l’Arabie saoudite, les Émirats, Bahreïn, ne seraient pas mécontents de voir le Qatar échouer.

Avec la collaboration d'Éric Chaverou et de Chadi Romanos

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