Le regard et la main du Hamas sur la bande de Gaza

Un militant des Brigades Izz al-Din al-Qassam, branche armée du Hamas. Lors de la célébration de la Nakba ou "Jour de la catastrophe" à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, en 2014.
Un militant des Brigades Izz al-Din al-Qassam, branche armée du Hamas. Lors de la célébration de la Nakba ou "Jour de la catastrophe" à Rafah, dans le sud de la bande de Gaza, en 2014.

Le regard et la main du Hamas sur la bande de Gaza

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Le regard et la main du Hamas sur la bande de Gaza

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Le regard de l'autre | Le mouvement islamiste palestinien Hamas, qui contrôle la bande de Gaza, a donc fait le choix d’un nouveau conflit armé avec Israël. Le septième du genre. Avec deux objectifs : nuire directement à Israël, son ennemi juré, et affirmer son leadership sur la cause palestinienne.

Des milliers de combattants cagoulés des Brigades Ezzedine al-Qassam, la branche militaire du mouvement palestinien Hamas, ont défilé ce vendredi dans la bande de Gaza. Un déploiement de force avec des lance-roquettes, des roquettes et un drone, une semaine après l'entrée en vigueur d'une trêve avec Israël. Du 10 au 21 mai, jour de l'entrée en vigueur du cessez-le-feu, 254 Palestiniens ont été tués par les frappes israéliennes sur la bande de Gaza, parmi lesquels 66 enfants et des combattants, selon les autorités locales. En Israël, les tirs de roquettes depuis Gaza ont fait 12 morts dont un enfant, une adolescente et un soldat, d'après la police.

Le bilan nettement plus lourd en vies humaines côté palestinien est la conséquence de la supériorité militaire israélienne, en tous cas dans les airs. Mais le Hamas montre qu’il est en possession d’un arsenal d’une puissance inattendue.

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En justifiant ses hostilités par réaction à l’intervention israélienne sur l’esplanade des Mosquées à Jérusalem, le mouvement islamiste déclenche un conflit qu’il ne peut pas gagner.

Mais, au pouvoir à Gaza depuis 2007 et ennemi juré d'Israël qui le considère comme une organisation "terroriste", le Hamas a deux objectifs :

-         Nuire directement à Israël, son ennemi juré

-         Et affirmer son leadership sur la cause palestinienne

A****nalyse en six points clés pour " Le regard de l'autre" : géographie, Histoire, droit, économie, psychologie et sociologie.

La géographie

Le Hamas contrôle un confetti géographique. La bande de Gaza, au Sud-Ouest d’Israël, est très étroite : 6 à 12 km de largeur sur 41 km de long. 360 km2 de superficie. Seulement 3 fois la taille de Paris intra muros.

A l’Ouest, la mer Méditerranée. Au Nord et à l’Est, Israël. Au Sud l’Égypte.

Gaza est quasiment coupé du monde, et totalement séparé de l’autre territoire palestinien, la Cisjordanie. Il n’y a que 3 points d’entrée : Au Nord, Eretz avec Israël. Au Sud, Kerem Shalom avec Israël et Rafah avec l’Égypte.

Carte de la bande de Gaza.
Carte de la bande de Gaza.
© Radio France - Chadi Romanos

Et puis Gaza est surpeuplé : 2 millions d’habitants (contre 3 millions en Cisjordanie) ; plus de 5000 habitants au km2, c’est l’une des plus fortes densités au monde.

C’est une population très jeune : âge médian 21 ans.

Les 2/3 des habitants ont le statut de réfugié. Et le niveau de vie est très bas : Gaza a très peu de ressources.

C’est donc un confetti. Mais sur ce confetti, le Hamas est quasiment seul maître des lieux. Ni Israéliens, ni Palestiniens du Fatah, le rival de Cisjordanie. Et c’est là l’essentiel pour lui.

L'Invité(e) des Matins
40 min

L'Histoire

L’histoire du Hamas est indissociable de Gaza.

Hamas, est un acronyme de Harakat Al Muqawarma Al Islamiya. Traduction : Mouvement de résistance islamique.

Le Hamas a été officiellement fondé en 1987 par le cheikh Ahmed Yassine. Le Hamas est alors proche des Frères Musulmans égyptiens. Il prône un État islamique palestinien et la destruction d’Israël. Sa charte comporte aussi de forts accents antisémites. Il s’implante dès le début essentiellement à Gaza, où se sont réfugiés de nombreux Palestiniens après la création de l’État d’Israël en 1948.

Né le 28 juin 1937 et tué lors d'un raid israélien le 22 mars 2004 à Gaza, cheikh Ahmed Yassine était le fondateur et dirigeant spirituel du Hamas. Ici le 23 juillet 2002 en visite dans le centre de Gaza à la suite d'une frappe aérienne israélienne.
Né le 28 juin 1937 et tué lors d'un raid israélien le 22 mars 2004 à Gaza, cheikh Ahmed Yassine était le fondateur et dirigeant spirituel du Hamas. Ici le 23 juillet 2002 en visite dans le centre de Gaza à la suite d'une frappe aérienne israélienne.
© AFP - Mohammed Saber

Au départ, sa stratégie militaire passe essentiellement par des attentats suicides contre les civils israéliens, actes commis par sa branche militaire, les Brigades Al Qassam.

Politiquement, le Hamas s’oppose aux accords israélo-palestiniens d’Oslo en 1993.

A partir des années 2000, il change de stratégie et commence à tirer des roquettes depuis Gaza vers les villes israéliennes.

Sa structuration politique s’affirme pendant la seconde Intifada toujours au début des années 2000.

En 2006, il remporte les élections législatives palestiniennes avec 56% des suffrages. C’est un séisme. Les relations se tendent avec le Fatah, l’autre grande organisation palestinienne. Cela se termine par une guerre civile intra-palestinienne en 2007 : le Fatah quitte Gaza, dont le Hamas prend le contrôle total.

Plusieurs conflits vont suivre entre le Hamas et Israël : 2008, 2009, 2012, 2014. En 2014, cela se termine par un cessez le feu. Israël estime avoir détruit l’essentiel de la capacité militaire du mouvement islamiste. Mais Gaza reste totalement contrôlé par le Hamas.

Sept ans plus tard, l’Histoire se répète donc.

Mais entre-temps, le Hamas a non seulement reconstitué sa capacité militaire, il l’a accrue, avec des roquettes plus nombreuses et de plus longue portée pouvant viser la totalité du territoire israélien. En dix jours cette fois-ci, le Hamas a tiré presque autant de roquettes qu’en 45 jours en 2014. Il compte aujourd’hui environ 40 000 combattants.

En face, Israël a développé son "Dôme de fer", un système anti missiles très sophistiqué.

Portée des missiles du Hamas.
Portée des missiles du Hamas.
© AFP - Gal Roma, Jean-Michel Cornu

Le droit

Selon le point de vue adopté, le Hamas n’a évidemment pas le même statut. Pour Israël et les Occidentaux (les États-Unis, l’Union européenne), c’est une organisation terroriste. L’Égypte voisine qualifie également de terroriste la branche militaire du Hamas, en raison de ses liens avec les mouvements djihadistes sunnites situés dans le Sinaï à proximité.

A l’inverse, le Hamas se considère comme le plus légitime des mouvements palestiniens. Une légitimité renforcée par les élections de 2006, les dernières à avoir eu lieu dans les territoires palestiniens.

Le Hamas voit dans la "libération de la Palestine" un devoir religieux. Et il est soutenu dans cette quête par plusieurs pays musulmans, notamment le Qatar et plus récemment l’Iran.

Même si l’Iran est une puissance chiite et non sunnite, Téhéran soutient militairement le Hamas, forme ses spécialistes en balistique, lui fournit une grande partie de son arsenal. Au nom de la lutte contre l’ennemi commun : Israël.

Les armes arrivent le plus souvent par des tunnels de contrebande dans la zone Sud de Gaza.

Sur le plan intérieur, le Hamas entend créer un État religieux et il gère Gaza de façon autoritaire : arrestations arbitraires, tortures, exécutions sommaires, violations multiples des droits de l’homme, atteinte à la liberté de la presse.

Il est aussi régulièrement accusé d’utiliser des boucliers humains, notamment des enfants, pour protéger des bâtiments des bombardements israéliens.

De son point de vue, tout cela se justifie par la lutte "sacrée" contre Israël.

Affaires étrangères
58 min

L'économie

La situation économique à Gaza est catastrophique : c’est à la fois la raison du succès du Hamas et son plus grand échec.

Le revenu moyen est inférieur à 2 dollars par jour. C’est deux fois moins que dans l’autre territoire palestinien, la Cisjordanie.

Le chômage atteint 50%. L’électricité est souvent coupée, l’accès à l’eau potable limité. Et la pandémie de Covid n’arrange rien : difficile d’avoir des chiffres fiables en la matière.

Le seul filet de sécurité, c’est la présence des agences humanitaires de l’ONU.

Gaza manque de ressources propres. La principale c’est la pêche, mais Israël restreint régulièrement l’accès à la zone située entre 10 et 20 milles au large des côtes, qui est la plus poissonneuse.

Israël et l’Égypte (dont l’actuel président, l’ex maréchal Sissi est très opposé aux Frères Musulmans) imposent de facto un blocus économique à Gaza.

Cette situation nourrit la colère sociale, qui elle-même nourrit les rangs du Hamas. Mais elle témoigne aussi de l’incapacité du mouvement islamiste à développer économiquement la zone.

La survie de Gaza dépend donc en grande partie des trafics informels dans la zone Sud de Rafah. Et de l’aide financière massive du Qatar : des centaines de millions d’euros chaque année. Le Qatar, lié au Hamas par les Frères Musulmans.

Journal de 18h
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Psychologie et sociologie

Le Hamas aujourd’hui à Gaza, c’est d’abord un homme : Yahya Sinouar, 59 ans.

Le chef officiel du Hamas, c’est Ismail Haniyeh, mais il est réfugié à Doha, au Qatar. C’est donc Sinouar le vrai chef de Gaza. Il a passé 22 ans dans les prisons israéliennes avant d’être libéré en 2011 dans le cadre d’un échange de prisonniers.

C’est un politicien adroit, qui connait bien ses ennemis, et sait aussi négocier. Il est parfaitement capable, tout en envoyant des roquettes sur Israël, de discuter avec l’État hébreu.

Yahya Sinouar, qui a pris la tête du Hamas début 2017, tient un enfant en costume de soldat sur scène avec une arme pour les caméras, lors d'un rassemblement de partisans le 24 mai 2021 à Gaza.
Yahya Sinouar, qui a pris la tête du Hamas début 2017, tient un enfant en costume de soldat sur scène avec une arme pour les caméras, lors d'un rassemblement de partisans le 24 mai 2021 à Gaza.
© AFP - Majdi Fathi / NurPhoto

En initiant cette nouvelle guerre, le Hamas de Sinouar cherche donc surtout à affirmer son leadership moral sur les Palestiniens. A un moment où les élections ont été à nouveau reportées et où le président de l’Autorité Palestinienne, Mahmoud Abbas, en Cisjordanie est usé et vieillissant.

En se posant en défenseur de l’esplanade des Mosquées de Jérusalem, même à distance, le Hamas revendique aussi un leadership religieux.

Enfin, il en profite pour renforcer son leadership politique sur la bande de Gaza, où il fait face à des organisations concurrentes, notamment le Jihad Islamique qui compterait un millier de combattants.

Défilé dans Gaza des Brigades Al-Qods, la branche militaire du Jihad islamique, le 29 mai 2021.
Défilé dans Gaza des Brigades Al-Qods, la branche militaire du Jihad islamique, le 29 mai 2021.
© AFP - Ashraf Amra / Anadolu Agency

Il est difficile de savoir ce que pense exactement la population de Gaza du Hamas, compte tenu de l’autoritarisme de sa gouvernance. En 2019, le mécontentement social s’était clairement exprimé avec Gaza avec plusieurs manifestations.

Mais il faut mesurer aussi que le Hamas a su développer à Gaza tout un programme social et éducatif, dans la tradition des Frères Musulmans.

En affrontant une nouvelle fois Israël, le Hamas déclenche donc une guerre asymétrique mais qui se neutralise. Avec au milieu des victimes essentiellement civiles. Et un calcul politique évident : s’affirmer comme l’interlocuteur central, le porte-parole de la cause palestinienne.

Avec la collaboration d'Éric Chaverou et de Chadi Romanos

Le Temps du débat
38 min
Le Reportage de la rédaction
4 min

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