Le "signe fort" de pouvoir enfin vendre des livres en braille sans surcoût

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Le "signe fort" de pouvoir enfin vendre des livres en braille sans surcoût

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Transcription par le Centre de Transcription et d'Edition en Braille du Grand prix du roman de l'Académie française et Prix Goncourt des Lycéens 2012.
Transcription par le Centre de Transcription et d'Edition en Braille du Grand prix du roman de l'Académie française et Prix Goncourt des Lycéens 2012.
- CTEB

Depuis la journée mondiale du braille de mercredi, plus de 2 000 livres en braille papier sont pour la première fois en France vendus au prix unique du livre. Un défi économique et un symbole pour le Centre de transcription et d’édition en braille (CTEB) à l'origine de cette petite révolution.

Association basée à Toulouse, à la fois principale imprimerie en braille de France par sa capacité de production, maison d'édition et librairie braille en ligne, le Centre de transcription et d’édition en braille vient d'aligner l'intégralité des prix de son catalogue avec les tarifs classiques du marché. Jusqu'ici vendus entre 60 et 122 euros, ses plus de 2 000 titres transcrits sont désormais proposés à des prix compris entre 11 et 30 euros pour les particuliers hors livres spéciaux, quelque soit le nombre de volumes pour chaque ouvrage.

" Après 40 ans d’attente et de combats, les livres en braille passent au prix unique librairie !" se réjouit le CTEB, rappelant que la loi Lang date du 10 août 1981. Même si l'opération ne peut être pour l'instant financièrement envisagée au-delà de deux ou trois ans. Sachant que, selon la fédération des aveugles de France, entre 1,7 et 2 millions de personnes sont déficientes visuelles en France métropolitaine. Et environ 15%, soit entre 255 000 et 300 000 personnes, lisent le braille. Quand, en moyenne, on estime que 8% des ouvrages sont accessibles aux personnes déficientes visuelles.

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Denis Guérin adapte des journaux en braille pour cet éditeur imprimeur qui emploie 10 salariés et 25 bénévoles et en est le responsable de la communication.

Pourquoi cet ajustement ne peut-il intervenir que maintenant ?

Pour les voyants comme vous et moi et pour le grand public, avoir des livres adaptés en braille papier vendus au même prix qu'un livre classique en librairie peut paraître anodin. Mais comme toutes les adaptations, cela demande un travail en plus de l'oeuvre originale. On ne pouvait donc pas répercuter le prix éditeur par exemple de 10 euros pour un Harry Potter, en sachant que nous allions ensuite devoir développer un travail conséquent de plusieurs semaines.

Un format poche de 250 pages requiert au minimum une semaine de travail à plein temps pour un salarié qualifié. Et je vous passe le temps de relecture et de correction qui peut mettre une, deux ou trois semaines, puisque nous faisons appel à des bénévoles non-voyants qui vérifient le braille et les possibles coquilles. En comptant aussi sur un fichier d'origine en bon état car la loi permet à tous les acteurs de l'édition adaptée - c'est un bel acte démocratique - de bénéficier de ces textes sans payer de droits d'auteur.

Mais nous devons embosser chaque livre sur un papier particulier. Il va faire plusieurs volumes, cela entraîne davantage de façonnage, avec des machines et des compétences particulières. Et nous l'envoyons sur commande, sans faire de stock, sinon nous aurions des coûts de stockage incroyables. Car un Harry Potter, par exemple, va représenter en braille six ou huit volumes. Une transcription en braille nous coûte ainsi entre 600 et 800 euros. Nous ne pouvons évidemment pas vendre à ce prix là et nous avons usé jusqu’à présent de stratagèmes pour vendre à bas prix.

Et comment pouvez-vous opérer une telle bascule aujourd’hui ?

Cela tient avant tout à notre bonne gestion. Nous travaillons à ce changement depuis un an et il se fait sur nos fonds propres, grâce à un ou deux partenariats interassociatifs, de petites subventions au départ et aussi parce que notre association a d'autres activités rémunératrices. Une activité en particulier nous soutient depuis longtemps : nous éditons en braille les relevés bancaires des grandes banques françaises. Chaque personne non voyante peut en effet recevoir gratuitement son relevé bancaire, en le comprenant pour le vérifier et ainsi consulter ses dépenses en toute intimité. C'est cette activité-là qui nous rapporte de l'argent et nous permet de vendre à perte des livres. Et en plus, nous réalisons cet ajustement à un moment où le prix du papier est excessivement cher. Il a augmenté pour nous 55 % sur un papier très spécial. Nous sommes d'ailleurs reconnus pour la qualité de notre braille, mais aussi de notre papier.

[Sur Franceinfo, la directrice du CTEB, Adeline Coursant, a dit espérer "des soutiens financiers forts pour pouvoir pérenniser ce qu'on est en train mettre en place. Je pense qu'on va pouvoir tenir deux ans, trois au grand maximum".]

Cela concerne donc désormais votre catalogue entier, mais que prévoyez-vous ensuite ?

Cela représente pour l’instant plus de 2 000 titres, avec tous les prix littéraires, et nous ignorons pour la suite car cela dépendra de la réaction de la communauté des déficients visuels. Nous espérons évidemment que cela engagera sur le long terme les gens à acheter un petit peu plus de livres. Il y a 107 000 nouvelles parutions par an en France et nous ne pouvons pas toutes les adapter, c'est bien trop long. C'est pour cela que nous essayons d'avoir un catalogue très éclectique qui permette à chacun de piocher dans son genre et surtout pour tous les âges. Car nous avons compris il y a quelques années que les non-voyants manquaient d'une offre jeunesse notamment. Les ventes les plus importantes dans l'édition classique restent quand même les mangas et les livres jeunesse. Cela manque énormément aux familles qui ont un enfant ou un parent non-voyant et c'est évidemment aussi mettre ces ouvrages à la portée du paramédical ou des enseignants et travailleurs spécialisés.

S'aligner sur le prix unique éditeur représente un symbole fort pour vous.

C'est effectivement réaliser un signe fort en disant que l'on arrive au bout de quarante ans à ce que la loi Lang soit appliquée dans l'édition adaptée en braille ! C'est aussi une considération apportée aux gens avec un handicap visuel qui se disaient toujours "Mais alors, on a du mal à accéder à l'emploi, on a du mal à accéder aux études, et en plus, il faut débourser 50 euros pour le moindre petit livre". Là, nous leur disons : "Non, c'est comme chez le libraire. Vous en aurez pour 25 ou 15 euros. C'est particulièrement important pour eux. C'est quelque chose émotionnel aussi de dire "Ouf, je peux commander un livre sans être forcément riche".

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Ce changement vous permet de mettre en avant le braille et peut-être aussi de le redynamiser ?

Oui, nous espérons que cela va développer un peu l'envie d'apprendre le braille, évidemment, pour développer l'accès à la lecture, donc à la culture. On connaît tous de l'école le mot braille. Un aveugle, on connaît. Mais en fait, personne n'a jamais vu un livre en braille. On ne sait pas trop à quoi cela ressemble. On n'a jamais vu l'écriture sur du papier. Qui sait qu'il existe du braille intégral, abrégé, mathématiques ou musical ? On n'en voit pas le volume, on ignore comment cela se construit et on ne voit pas beaucoup de personnes qui en lisent dans le train ou ailleurs.

C'est donc livre moins commun que le livre classique, mais que l'on ne voit pas, que l'on ne croise pas. Et on en vient presque à penser que si l'on est aveugle, c'est que l'on ne peut plus lire. C'est faux, complètement faux. Donc oui, nous espérons bien dynamiser le braille, en sachant qu'il s'agit d'une offre de niche qui répond à une population non-voyante qui lit le braille et à condition qu'elle trouve une référence chez nous. Il faut savoir qu'un livre vendu à vingt exemplaires est un best-seller pour nous, comme récemment notre record avec Le Petit prince. En général, c'est plutôt un, trois, cinq, six exemplaires.

Et dans quelle mesure le braille papier et ces livres ont souffrent du développement de l'audio ?

Les deux apportent vraiment des choses très différentes. L'audio n'engage pas d'apprendre le braille, donc on peut faire une lecture plaisir, écouter la radio, du podcast, etc., c'est parfait. Heureusement que c'est là, cela donne une chance de se documenter et de s'informer. Mais un livre audio est un livre auquel on a donné une voix, une interprétation d'acteur. Vous êtes donc coincé avec cela. Cela veut dire que votre imaginaire est moins grand, et si vous n'aimez pas la voix qui lit votre livre audio, vous pouvez avoir un phénomène de rejet de l'histoire.

Le braille est utile à l'école et quand on est seul devant Internet avec une plage braille. On ne peut pas tout retranscrire à l'audio. Et le braille est une écriture aussi. On écrit en braille autant qu'on peut lire en braille. Toutes les personnes non-voyantes faisant partie de notre société, avec un métier à peu près choisie, ont besoin de faire des documents, d'en lire.

Et le braille et l'audio ne sont pas pareils à plusieurs niveaux. Un livre, c'est une liberté spatiale. Avec vos deux mains comme avec vos yeux, vous pouvez vous balader dans les deux pages ouvertes devant vous. Vous pouvez revenir à la ligne d'avant très facilement pour relire. Vous pouvez revenir au paragraphe antérieur parce que vous n'avez pas mémorisé quelque chose à propos d'un personnage. Cette balade est très très importante pour le confort de lecture. L'audio, lui, passe par la contrainte d'un curseur qu'il faut retrouver et mettre au bon endroit pour revenir en arrière ou pour aller en avant. Le braille favorise évidemment le sens du toucher, la lecture tactile. Et quand on est non-voyant, il faut affiner ce sens du toucher. Enfin, pour en avoir discuté avec beaucoup de non-voyants, le livre audio fait intervenir l'ouïe, ce qui convient à certains cerveaux, à certaines mémoires, quand un livre en braille fait intervenir ceux qui sont plutôt tactiles. On m'a ainsi souvent dit : "Moi, si j'écoute de l'audio, je peux m'endormir assez vite. Parce que la concentration demandée ne me va pas".

> À lire également :  Concurrencé par les assistants vocaux, le braille est de moins en moins appris, par Hélène Chevallier, France Inter

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