Le syndrome de Kessler : piégés sur Terre

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Le syndrome de Kessler : piégés sur Terre

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**C’est une perspective inquiétante : à force de débris gravitant autour de la Terre, l’être humain pourrait se retrouver piégé sur la planète bleue, sans possibilité d’envoyer des satellites en orbite basse. Ce scénario catastrophe, dont le film Gravity s’est inspiré, est envisagé très sérieusement par la Nasa et a pour nom le “Syndrome de Kessler”. Les 23 octobre et 12 novembre derniers, la Station spatiale internationale (ISS) a dû effectuer deux manoeuvres d’urgence pour changer d’orbite afin d’esquiver des débris à peine plus grands qu’une main. **

Le module ATV George Lemaître, sur l'ISS.
Le module ATV George Lemaître, sur l'ISS.

Malgré leur petite taille, ces objets, lorsqu’ils atteignent une vitesse avoisinant les 28 000 kilomètres/heure, peuvent provoquer des dégâts considérables. Détectés sur le tard en raison d’une trajectoire difficile à établir, ces débris ont contraint l’ISS à changer d’orbite en un temps record, moins de 6 heures, quand la station est ordinairement prévenue plus de 24 heures avant un possible impact. Déplacer une station spatiale de 420 tonnes n’est pas une mince affaire. C’est grâce au véhicule automatique de transfert (ATV) Georges Lemaître que la manoeuvre a pu être effectuée dans les temps.

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Ce qui a été particulier sur ces deux manoeuvres, c’est qu’on a eu l’avertissement d’une trajectoire de collision relativement tardivement ”, précise Jean-Michel Bois, directeur des vols à l'ESA :

Kessler - Manoeuvres ISS

2 min

L'origine des débris Les débris qui ont manqué heurter l’ISS sont des morceaux de Cosmos-2251 . Ce satellite russe hors d'usage a percuté en 2009 le satellite parfaitement fonctionnel Iridium-33. Résultat : plus de 600 fragments dispersés dans l'espace.

Depuis Spoutnik-1, en 1957, les lancements de plus de 4600 satellites ont généré énormément de débris spatiaux, polluant l’orbite terrestre basse, celle située en dessous des 2000 km d’altitude. Deux cents de ces lancements se sont soldés par des explosions, et trois quarts des 2 400 satellites encore en orbite en 2007 ne seraient plus utilisés.

Jusqu’ici, quatre collisions entre objets référencés et surveillés ont été relevées, mais la pire génération de débris provient de l’essai par la Chine d’un de ses missiles anti-satellites : en détruisant le satellite Fenguyn-1C en 2007, 2300 débris de taille observable (plus de quelques centimètres) furent générés, ainsi qu'environ 35 000 débris d’au moins 1 cm, et plus d’un million de débris de taille millimétrique.

Les débris de quelques centimètres sont les plus dangereux , explique Jean-Michel Bois. On a du mal à les suivre, à prévoir leur trajectoire et ils ont une énergie cinétique folle ” :

Kessler - Débris

1 min

Le site du CNES explique simplement la problématique posée par ces débris de taille infime :

Une sphère d'aluminium d'un diamètre de 1mm se déplaçant à une vitesse de 10 km/s peut perforer une paroi d'aluminium de 4 mm d'épaisseur. Cette sphère a alors la même énergie cinétique qu'une boule de pétanque lancée à 100km/h.

Au total, des dizaines de millions de débris orbitent autour de la terre, dont 500 000 d’un diamètre supérieur à 1 cm et 16 000 de plus de 10 cm . Or, si les débris d’une taille inférieure à 1 cm peuvent être contrés à l’aide de blindages, ceux d’une taille se situant entre 1 et 10 cm sont à la fois difficiles à repérer et susceptibles de causer des dégâts considérables, les protections s’avérant inefficaces. D’où la nécessité absolue d’éviter de créer plus de débris… et de risquer le syndrome de Kessler.

Une représentation des débris spatiaux autour de la Terre
Une représentation des débris spatiaux autour de la Terre

Prévenir le syndrome de Kessler Ce n’est qu’en 1978, que Donald J. Kessler, consultant à la Nasa, envisage le scénario qui porte maintenant le nom de “Syndrome de Kessler” . Le principe en est simple : plus il y a de débris en orbite, plus ils vont heurter des objets ou d’autres débris, provoquant une réaction en chaîne qui augmentera le nombre de débris de façon exponentielle . A terme, l’exploration spatiale et le lancement de satellites seraient impossibles.

Cette perspective inquiète très sérieusement les différentes agences spatiales. Pour éviter de générer plus de déchets spatiaux, la première mesure consiste donc à prévenir les collisions. C'est ce qu'est amenée à faire l’ISS, de plus en plus fréquement :

Pour ce faire, les agences spatiales surveillent les débris spatiaux. “Il y a un catalogue international des débris permettant de les identifier ”, assure Jean-Michel Bois :

Kessler - Débris

1 min

Aux Etats-Unis c’est donc le centre de Commandement de la défense aérospatiale de l'Amérique du Nord (NORAD) qui référence les différents débris. En Europe, l’ESA (l’Agence spatiale européenne, également responsable de la mission Rosetta) surveille un catalogue de 26 000 objets. En répertoriant et calculant leurs trajectoires, le Norad et l’ESA peuvent modifier les orbites des satellites et diminuer les risques de collisions.

Mais prévenir ces indésirables rencontres n’est qu’une partie de la solution. Pour éviter une aggravation de la situation, les satellites doivent maintenant être désorbités une fois mis hors service : les dernières réserves de carburant sont ainsi utilisées pour provoquer une entrée dans l’atmosphère, transférer le satellite sur une orbite le ramenant sur Terre en moins de 25 ans, ou encore l’emmener vers une orbite dite “cimetière”, bien au delà des 2000 km de l’orbite basse. Toutes les sources d’énergie à bord des appareils doivent également être “passivées”, afin de réduire autant que possible tout risque d’explosion.

Ces solutions pourraient pourtant ne pas suffire. On a beau être encore loin du scénario du manga “Planète ”, qui dresse le portrait de “nettoyeurs de l’espace” chargés de récupérer les débris en orbite basse, plusieurs hypothèses sont envisagées pour débarrasser l’espace de ces déchets, de la création d’une décharge orbitale à un satellite à câble.

“C*’est un vrai problème qui a été pris à bras le corps par les différentes agences, mais le nombre de débris continue à augmenter par cet effet de collision* ”, prévient Jean-Michel Bois.

Kessler - solutions

2 min

Si le scénario de* Gravity* venait à se réaliser, il rendrait celui du plus récent Interstellar , aussi improbable soit-il, complètement bancal. L'Homme aurait alors réussi à se piéger lui-même sur Terre à l'aide d'un infranchissable mur de débris, et ce pour plusieurs générations.