Le jardin zoologique est une évidence pour tous. Tout le monde est allé au zoo, en tant qu’enfant et en tant que parent. Chaque année, ce sont plus de 600 milions de personnes qui visitent un jardin zoologique. Cette pratique universelle, parce qu'elle est évidente, est par conséquent hautement problématique. Pourquoi aller voir des animaux ? Pourquoi des lions, des tigres ou des éléphants et non des vaches ou des chiens ? L’organisation spatiale des jardins zoologiques, le dispositif spatial des zoos, la mise en scène du sauvage et de l’exotisme, disent quelque chose de notre rapport à la nature, et révèlent une certaine vision du monde qui nous entoure.
Vous pouvez réécouter :
- l'émission du 11 juillet 2012 "Que se passe-t-il dans les jardins zoologiques ?" avec Jean Estebanez
- l'émission de Planète Terre du 13 janvier 2010 "Géographie post-coloniale: les désirs d'exotisme mis à nu" avec Jean-François Staszak
Vous pouvez relire le billet de Globe du 25 mai 2010 "Fêter la nature ??"
Et la page de Clioweb consacrée aux " Trésors photographiques de la société de géographie".
Un aperçu des zoos dans le monde
"D’après la stratégie de conservation mise en place par les zoos du monde (IUDZG/CBSG, 1993), il y aurait environ 1200 zoos « centraux », désignés comme tels en tant que membre d’une des 50 associations zoologiques reconnue."
Pour sa part, Jean Estabanez arrive à un total de de 1153 zoos . Ce chiffre est obtenu "en recoupant les données de l*’International Zoo Yearbook* (2007), de l’Encyclopedia of the World’s Zoos (Bell (ed.), 2001), de Zoo and Aquarium History (Kisling (ed.), 2001), Zoos allover China (Chinese Association of Zoological Gardens, 1995) et des recherches sur internet complétées par une localisation par l’intermédiaire de Google Earth".
(Jean Estebanez)
"Cette carte de localisation des zoos dans le monde, par établissement, fait apparaître un modèle attendu de Triade , avec cependant une présence particulièrement marquée de la Chine et dans une moindre mesure de l’Inde."
"La concentration des zoos est assez conforme à leur histoire. Maximale en Europe, où ils ont étés inventés, elle est forte dans des territoires qui ont étés sous influence, d’une manière ou d’une autre : Japon sous l’ère Meiji, Australie, Nouvelle Zélande, Inde ou Etats-Unis, du fait d’héritages coloniaux contrastés. La colonisation aurait alors dû, en toute logique, assurer une présence massive des zoos dans de nombreuses régions. Plusieurs biais apparaissent cependant. Tout d’abord, le volume de population impose qu’on ne compare pas les quarante millions d’habitants de l’Argentine avec les 305 millions des Etats-Unis. Ensuite, les pays riches ont généralement beaucoup plus de zoos que les pays pauvres."
(Jean Estebanez)
"Les zoos sont en premier lieu visités par les gens du pays dans lequel ils sont implantés - en Australie les deux tiers des visiteurs sont Australiens (ABS, 1998) - voir dans la région immédiatement environnante –comme c’est le cas de beaucoup de zoos de taille moyenne"
"Une enquête (Fiedler et Wheeler, 1985) au zoo de Seattle (Woodland Park ) demandait ainsi aux visiteurs : « Venez vous habituellement ici seul ? », 92% d’entre eux répondant par la négative. La même enquête montrait que 40% des visiteurs venaient au zoo pour faire « une sortie avec les enfants »"
(Jean Estebanez)
**Le dispositif spatial : **
La notion de « dispositif spatial légitime », a été proposée pa
r Michel Lussault en 2003 qui en donne la définition suivante : « Agencement spatial produit par un (des) acteur(s) à capital social élevé, doté d’une fonction opérationnelle et normative. […] Le dispositif est une configuration stabilisée dans laquelle l’espace joue un double rôle : celui d’opérateur de traduction qui permet la transformation et la mise en scène de faits bruts en problème(s) social(aux) et politique(s). […] et celui d’un support de délégation, à savoir un objet spatial organisé — matériel et chargé de valeurs — sur lequel on se repose pour qu’une action atteigne ses objectifs ».
Ce dispositif spatial nous le retrouvons tous les jours. Ce sont par exemple les accoudoirs sur les bancs censés empêcher aux SDF de dormir. Ce sont aussi des petits crans pour empêcher la pratique du skateboard ou du roller. Tout détournement de la fonction première de l’espace et du mobilier urbain est proscrit. Le dispositif spatial impose une norme d’usage de l’espace.
Le dispositif spatial au zoo : la fabrication du sauvage et de l'exotisme
"Au zoo, on vient voir des animaux sauvages. « Ceux-ci ne le sont, bien sûr, pas par essence, mais dans le cadre d’une longue construction culturelle dont le zoo participe : une même espèce (le lion, le gorille) peut, en fonction de l’installation dans laquelle elle est présentée, prendre un sens très différent. »
"L’architecture même des cages - avec des barreaux sur-dimensionnés - ou des fosses, entourées de pointes acérées, mettent en scène la puissance et la dangerosité des espèces présentées. Plus que le comportement ou la forme des animaux, c’est le spectacle de l’enfermement et de la domination matérielle et symbolique qui s’expose. Ces ressorts guident certains spectacles."
"Le sauvage, dans une seconde version où il est très positivement connoté, c’est l’authentique ou le naturel - entendu comme ce qui n’a pas été modifié par l’humain. Dans ce cadre, il n’est plus question de présenter des spécimens dans des cages en bétons mais des individus, avec leur histoire personnelle, leur caractère, dans leur environnement. Puisqu’un animal sauvage est libre et indépendant, les clôtures et les constructions doivent se faire discrètes."
"La deuxième caractéristique majeure des animaux du zoo est leur exotisme . Il s’agit là d’une forme d’altérité géographique qui ne provient pas d’une localisation mais de l’écart à une norme non-explicite, construite par les groupes dominants qui ont le pouvoir de l’imposer. L’Occident dominant progressivement le Monde, c’est son quotidien qui en devient la norme. L’exotisme est ainsi dissymétrique : les vaches normandes ne seront pas plus exotiques au zoo de Vincennes qu’à celui de Niamey, les lions le seront dans les deux cas."
(Jean Estebanez, "Le zoo : un espace politique et métaphysique", Vox Geographi , Les Cafés Géographiques, 2011)
La mise en scène du sauvage et de l'exotisme au zoo
Les photos (sauf mention contraire) et les commentaires sont de Jean Estebanez
La juste distance entre les visiteurs et les ours polaires au zoo de San Diego (2 juillet 2008). Les systèmes d'enclos évoluent au zoo avec les technologies disponibles mais aussi l'évolution de notre rapport aux animaux : des barreaux qui mettent en scène la domination d'animaux puissants, on arrive à des vitres, assurant une parfaite séparation, une proximité maximale et un effacement de l'idée d'enfermement.
La reproduction d'un village Somba au zoo du Bronx (11 août 2008). Le zoo, renvoyant à un système de pensée du monde situé (essentiellement en Occident), présente le sauvage et l'exotique. Dans ce grand discours opposant modernité et tradition ; progrès et archaïsme, l'Afrique est toujours présente, quand l'Europe ne s'expose jamais.
L'enclos des lions au zoo d'Alger (11 août 2008). Les zoos existent dans le monde entier mais ne sont pas universels pour autant : ils renvoient à un modèle de pensée, situé et diffusé principalement lors de la vague de colonisation du XIXe siècle. Pas de vaches suisses dans leurs alpages au zoo d'Alger, mais exactement les mêmes types d'animaux qu'au zoo de Vincennes ou de Berlin.
Une visiteuse portant un couvre-chef en forme de tête de panda au zoo de Beijing (30 mars 2012). Le zoo est un lieu où est testée la division entre humains et animaux à travers divers dispositifs.
Zoo de Cordoba, Argentine, 16 mars 2003. La joie du visiteur, au centre de l'image, s'explique par le contact qu'il a pu nouer brièvement avec l'orang-outang que nous voyons ici. Le soda qu'il a laissé couler le long de la paroi devient le moyen de provoquer une rencontre en conduisant le singe à s'intéresser personnellement au visiteur.
Zoo de Tama, Japon, 9 juillet 2009. Un des grands discours que mettent en scène les zoos est celui de l'exploration et de la découverte. Le face-à-face avec des félins procure une excitation liée au plaisir de la peur. C'est la fonction de médiation du zoo qui est ici manifeste : ni trop près, ni trop loin.
Classer, organiser : quand la politique s'invite au zoo
"D’autres façons d’organiser le vivant relèvent de choix de nature éminemment politique. Le zoo est un modèle du découpage du monde situé (produit essentiellement en Occident), mondialisé (ce découpage a été diffusé dans les zoos du monde entier, en grande partie durant les épisodes de colonisation), mais qui prend les traits de l’universel (en n’étant jamais présenté, ni interrogé comme un modèle construit en Occident)."
"Au zoo d’Albuquerque les animaux sont répartis en quatre parties inégales : l’Amérique tropicale (« Tropical America ») qui couvre environ un quart de la superficie du zoo, l’Asie, en construction (« Future Asia »), L’Afrique (« Africa »), représentant entre le tiers et la moitié du zoo, l’Australie, porte-étendard de l’Océanie (« Australia, under construction »). Enfin, environ un quart des animaux n’est pas directement rattaché à une section, le plus souvent parce que d’anciennes logiques de classement avaient décidé de leur installation en fonction d’autres critères. La taxonomie, par exemple, peut rendre compte du regroupement de singes aux origines très variées (orangs-outangs et gorilles qui sont tous les deux à proximité immédiate de l’entrée) les économies d’échelles peuvent elles rendre compte du regroupement des espèces aquatiques, disperser de petits aquariums dans tout le parc étant très coûteux."
(Jean Estebanez, "Le zoo : un espace politique et métaphysique", Vox Geographi , Les Cafés Géographiques, 2011)
"C’est donc une sorte de miniature du monde animal qui est présentée au zoo avec toute une série de biais très notables. En premier lieu, si on suit le découpage généralement admis par continents, point d’Europe ici. L’Amérique du Nord est également exclue."
"Deuxième point important, par la surface qu’elle occupe dans le zoo, l’Afrique est largement surreprésentée. Cette tendance se vérifie dans la plupart des zoos, même en Afrique, sans doute parce que le continent est pensé comme le parangon de l’exotisme et du sauvage. Le regard ici construit est clairement orienté depuis un centre qui s’affiche peu en représentation (Europe puis Amérique du Nord), parce qu’il est essentiellement le même, le quotidien pour les spectateurs et qui porte sur l’altérité du monde."
(Jean Estebanez, "Le zoo : un espace politique et métaphysique", Vox Geographi , Les Cafés Géographiques, 2011)
Pour aller plus loin :
Site officiel
World Association of Zoos and Aquariums
Articles et revues en ligne
Olivier Milhaud,
"Bénabar géographe ? A propos du zoo de Vincennes", brève de comptoir, cafés géogragrpahiques, 2005
Eric Baratay , « Liliane BODSON [dir.], Les animaux exotiques dans les relations internationales : espèces, fonctions, signification s, Liège, Université de Liège/Institut de zoologie, 1998, 232 p. », Cahiers d'histoire [En ligne], 44-1 | 1999
Garry Marvin, « L’animal de zoo », Techniques & Culture [En ligne], 50 - 2008/1 | 2008, mis en ligne le 31 décembre 2010
Frédéric Joulian & et Christophe Abegg, « Zoos et cause animale », Techniques & Culture [En ligne], 50 - 2008/1
"Autour des zoos humains" (colloque au musée du quai Branly)
Publications de Jean Estebanez
Estebanez J., 2011,
"Le zoo : un espace politique et métaphysique", Vox Geographi , Les Cafés Géographiques
Estebanez J., "Les zoos comme dispositif spatial : pour une géographie culturelle de l'animalité", Carnets de géographes
Estebanez J., 2012, "Faire société avec les animaux. Un compte-rendu critique de Porcher J., 2011, Vivre avec les animaux", Espaces Temps.net
Estebanez J., 2011, "le zoo comme théâtre du vivant : un dispositif spatial en action", Les Carnets du Paysage , 21, pp. 170-185
Estebanez J., Staszak J.-F., 2011, "Animaux humains et non-humains au zoo. L’expérience de la frontière animale",*in * Dubied A., Gerber D. et Fall J., (éd.), Aux frontières de l’animal. Mises en scènes et réflexivité , Genève, Droz, pp. 149-174
Estebanez J., 2010, "Le zoo comme dispositif spatial : mise en scène du monde et de la juste distance entre l’humain et l’animal", L’Espace Géographique , 2, pp. 172-179
Estebanez J., 2010, "Ceux qui sont proches : les soigneurs au zoo", Société , 108, 2, pp. 47-57
Estebanez J., 2009, "Les fonctions de la micro-distance dans le jardin botanique de Naples", Cybergéo
Estebanez J., 2008, "Les jardins zoologiques ou l’exotique à portée de main", Le Globe , 148, p. 89-105
Estebanez J., 2008, "Poser un regard de géographe sur l’anthropologie des abattoirs", Il paraît in Espaces Temps.net
Estebanez J., 2008, "Construire un ordre du monde : le jardin botanique de Naples comme miniature", in Demain la géographie. Géopoint 2006 , p. 87-92
Estebanez J., 2008, "Le pique-nique comme ’haut lieu’. Le Champs de Mars un 14 juillet" *in * Barthe-Deloizy F. (dir.),Le pique-nique ou l’éloge d’un bonheur ordinaire , Paris
Estebanez J., 2006, "Les jardins zoologiques et la ville : quelle nature pour le Biodôme de Montréal ?", Annales de géographie , 652, p. 708-731
Autres médias :
Libération , 1 juillet 2011, "Dolly la brebis bouscule la frontière"
Livres sur la voie publique, le 2 mars 2011, avec Cécile Morin
"Dispositif spatial", le 17 janvier 2011, entretien avec Guillaume Gorgeu