La génération née après la guerre a-t-elle profité aux dépens de ses enfants ? C'est la question au cœur des Idées Claires, notre programme hebdomadaire produit par France Culture et Franceinfo destiné à lutter contre les désordres de l'information, des fake news aux idées reçues.
"Ok boomer", l'expression est utilisée par les plus jeunes pour signifier aux anciennes générations qu'elles sont dépassées. "Ok boomer", deux mots révélateurs d'un phénomène plus général : le sentiment dans la jeunesse que leurs prédécesseurs sont des privilégiés, une génération d'égoïstes qui auraient profité sans compter, laissant derrière eux une planète en ruines et une société inégalitaire.
Les baby-boomers, nés entre 1946 et 1964 ont-ils vraiment eu une vie plus douce ? Sans chômage, sans difficultés pour devenir propriétaire et surtout sans réchauffement climatique ?
Pour répondre aux questions de Nicolas Martin, Hippolyte d'Albis Directeur de recherche au CNRS Professeur à l'école d'économie de Paris
Les baby-boomers sont-ils des privilégiés ?
Hippolyte d'Albis : "Privilégiés, oui, par rapport à leurs parents, mais ça ne veut pas dire qu’ils ont mieux vécu que leurs enfants. Lorsqu’on regarde le niveau de vie ou le niveau de santé, ils sont plutôt moins bien que leurs enfants."
Ils n’avaient pas de problème pour trouver du travail ?
Hippolyte d'Albis : "Le problème du chômage, ou du chômage des jeunes, n’existait pas. Aujourd’hui, il existe, mais il existe particulièrement pour ceux qui ne sont pas qualifiés. C’est un défi des générations présentes qui est lié au contexte plus mondialisé des économies, qui est aussi lié au fait qu’on a eu des révolutions technologiques et qu’aujourd’hui si vous n’avez pas de qualification vous avez vraiment du mal à vous insérer sur le marché du travail."
Donc, c’était plus facile avant ?
Hippolyte d'Albis : " Non ce n’était pas plus facile, ce n’est pas vrai. Le taux d’emploi des femmes était beaucoup plus faible, il y a une véritable révolution depuis les années 1960-1970 et l’arrivée des femmes sur le marché du travail. Et je ne dis pas du tout que c’est ça qui a causé les problèmes que l’on pourrait avoir aujourd'hui, c’est tout le contraire. Il y a des côtés positifs et il y a des difficultés qui sont propres aux générations présentes. Il faut imaginer qu’en 1960 le taux de bacheliers ne représentait que 11%, c’est extrêmement faible. C’est vrai que lorsque vous n’aviez pas le bac à l’époque, vous pouviez avoir un emploi mais c’est un emploi dont aujourd’hui plus personne ne voudrait : c’était des travaux qui étaient extrêmement durs. Il n’est pas clair que les générations présentes veuillent ce type d’emploi."
Les baby-boomers ont-ils détruit la planète ?
Hippolyte d'Albis : "Les baby-boomers ont vécu, ce n’était pas leur problématique. Lorsque vous aviez 20 ans dans les années 1960, la question du changement climatique, de la pollution ce n’est pas ce qui intéressaient. Aujourd’hui, c’est vrai que les jeunes font face à une planète qui est très dégradée, je ne le nie pas du tout. Maintenant, dire que c’est la faute de leurs parents c’est un peu faible, c’est un discours qui ne sert à rien.
L’accès à la propriété était plus facile ?
Hippolyte d'Albis : " Aujourd’hui, certes, l’immobilier dans les grandes agglomérations et en particulier à Paris, est très cher. Aux alentours des années 2000, les prix immobiliers ont très fortement augmenté. À Paris, entre 2000 et 2008, les prix immobiliers ont été multiplié par 3. Ça n’a rien à voir avec les baby-boomers, ils ne sont pas en cause, ce ne sont pas eux qui ont fait monter les prix. C’est le résultat de politiques monétaires, c’est-à-dire de décisions notamment des banques centrales, du ministère des Finances, qui ont fait que les prix immobiliers, et les prix des actifs de façon générale, ont très fortement augmenté."
La nouvelle génération est la première à vivre moins bien que ses parents...
Hippolyte d'Albis : "Ça, c’est un phénomène qui a accompagné la massification de l’enseignement, au cours de toutes ces années, le niveau d’études a très fortement augmenté et en moyenne une personne avait une situation professionnelle qui était meilleure que ses parents. Depuis quelques années on a atteint un espèce de palier dans la diffusion de l’enseignement. Et ça, c’est particulièrement vrai pour les hommes. Toutes ces études ont été faites généralement en comparant la situation d’un fils par rapport à la situation professionnelle de son père, donc on remarque ce ralentissement. Mais si on fait la même chose pour les jeunes filles, on n’aurait pas du tout la même image. L’amélioration pour les jeunes filles est encore très forte, les filles des baby-boomeuses ont une situation bien meilleure que celle de leur mère."
D’où vient la mise en cause des baby-boomers ?
Hippolyte d'Albis : "Il y a une partie des économistes américains qui ont beaucoup porté l’idée qu’il y avait une responsabilité des baby-boomers et c’est souvent des gens qui défendent l’idée que la dette est une mauvaise chose, et que les baby-boomers auraient bien vécu en endettant la société, qu’ils ont ruiné leurs enfants qui vont être obligés de rembourser les dettes. C’est une façon assez naïve de percevoir la dette publique. La dette publique elle finance aussi le système éducatif qui a permis justement cette massification de l’enseignement, elle finance aussi la santé. Il faut bien imaginer que le taux de mortalité après la guerre de ces jeunes baby-boomers était bien plus élevé qu’il ne l'est aujourd’hui. Globalement, entre 1960 et aujourd’hui, l’espérance de vie qui mesure le nombre d’années que vous allez vivre, a augmenté de 20%. C’est-à-dire une vie qui commence aujourd’hui, va être ⅕ plus longue qu’elle ne l’était lorsque vous naissiez dans les années 1960. Tout ça, ce sont des progrès fantastiques qui ont aussi été financés avec la dette publique. Donc ramener la dette publique simplement au confort des baby-boomers au dépend de leurs enfants, je pense que c’est très biaisé."
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Les baby-boomers sont-ils des privilégiés ?
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