Les Balkans occidentaux sont-ils les bienvenus dans l'Union européenne ?
Par Bruno CadèneEn refusant les négociations d'adhésion de l'Albanie et de la Macédoine du Nord dans l'Union, le 18 octobre dernier, Emmanuel Macron a gelé l'ambiance à l'ouest des Balkans. Depuis, la position française s'est adoucie, mais à Tirana, Skopje, Podgorica et Belgrade, l'inquiétude s'est installée.
Six mois après le "non" français à l'ouverture des négociations d'adhésion à l'Union européenne de l'Albanie et de la Macédoine du Nord, le 18 octobre 2019, Paris aurait dû mettre de l'eau dans son vin lors du sommet UE-Balkans ce mercredi en visioconférence. L'ordre du jour à néanmoins changé : il n'y est pas question d'élargissement, mais seulement de crise sanitaire.
La France n'est pas le seul État membre à hésiter sur les candidatures de l'Albanie et de la Macédoine du Nord. D'autres, comme les Pays-Bas et le Danemark, y sont très défavorables, même s'ils se font plus discrets. Lors du Conseil européen du 18 octobre 2019, alors qu'il refusait lui-même d'ouvrir les négociations, le Président français leur a d'ailleurs adressé un message :
Je salue le grand courage qui consiste à se cacher derrière la France quand il y a un désaccord, mais je peux vous dire que plusieurs États étaient contre l'ouverture des négociations avec l'Albanie et la Macédoine du Nord.
Mais que pensent l'Albanie, la Macédoine du Nord, mais aussi le Monténégro et la Serbie, qui, eux, n'en sont qu'au tout début des discussions en vue d'une adhésion ?
Très largement, les Albanais souhaitent rejoindre l'Union européenne, où vivent déjà de très nombreux expatriés. Le pays en a pris le chemin dès le 28 avril 2009. Passé son dépôt de candidature, l'Albanie est reconnue par l'Union le 27 juin 2014, et en 2019, la Commission recommande que les États membres ouvrent les négociations d'adhésion avec elle.
Pauvreté, communisme, criminalité
Mais l'image de l'Albanie n'est pas bonne pour tous. Pour les occidentaux, pauvreté, communisme – les stigmates du régime du dictateur stalinien maoïste Enver Hoxha – et criminalité sont trois facteurs qui minent le pays. Une vision qui n'est pourtant pas celle des voisins d'Europe centrale et orientale.
Si l'image du pays fait débat, sa réalité, elle, n'est pas contestable : Tirana traverse une grave crise politique. Entre le gouvernement socialiste d'Edi Rama et l'opposition du Parti démocrate de Luizim Basha, c'est l'affrontement. L'opposition manifeste depuis des mois, boycotte les élections municipales et refuse de parler au Premier ministre. Et en parallèle, des milliers d'Albanais demandent l'asile politique en Italie, en Allemagne, en France et en Suisse, où vivent déjà des compatriotes.
La Macédoine a déposé sa candidature européenne le 20 mars 2004, mais, déplore son président, Stevo Pendarovski, "rien n'a bougé pendant quinze ans". Un gel qui tient au refus grec d'accepter le nom du pays, qui désigne, en Grèce, la région de Salonique. En 2019, pourtant, le Premier ministre grec Alexis Tsipras et son homologue macédonien Zoran Zaev trouvent un compromis : la Macédoine s'appellera désormais Macédoine du Nord. La marche vers l'Union européenne peut donc reprendre, pense alors Skopje.
Le nom de la discorde
C'est dire le choc ressenti après le "non" d'Emmanuel Macron à son projet d'adhésion. Le ministre des Affaires étrangères de la Macédoine du Nord, Nikola Dimitrov, résume bien l'incompréhension de ses compatriotes :
Nous n'avons pas d'autre choix que de vivre en Europe.
Une position que ne contredit pas Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, inquiète de voir le pays se tourner vers la Russie ou la Chine :
Si nous ne leur offrons pas une perspective, d'autres viendront combler ce vide.
Le gouvernement macédonien n'est pas sorti indemne de cette crise. Zoran Zaev a démissionné de son poste de Premier ministre, ouvrant la voie à des élections anticipées, prévues en avril mais reportées pour cause de pandémie au coronavirus.
Le signal n'est pas bon pour les pays des Balkans qui se rapprochent actuellement de l'UE. À commencer par la Serbie, qui craint que les Européens ne profitent de l'arrêt des négociations avec l'Albanie et la Macédoine du Nord pour renoncer aux négociations qui la concernent (avec le Monténégro).
La tentation orientale
Belgrade espère fortement l'adhésion à l'Union européenne pour 2025. 18 chapitres sur 35 ont été ouverts dans les négociations, et deux chapitres sont déjà clos. Mais les choses iront-elles assez vite à son goût ? La Serbie a en effet signé en octobre dernier un accord de libre-échange avec l'Union économique eurasiatique – la Russie et ses satellites.
Le Monténégro, lui, se fait beaucoup plus discret. Le petit pays de 650 000 habitants se présente en très bon élève européen : il ne signe pas d'accords avec la Russie, ne critique pas la France, pas plus qu'il ne commente les positions des Pays-Bas et du Danemark sur les Balkans. Podgorica espère passer entre les gouttes et continuer son chemin vers l'UE, entamé en juin 2012. Le Monténégro a ouvert 32 chapitres sur 35 et en a bouclé deux. Mais il doit encore stabiliser sa vie politique, canaliser son opposition pro-serbe et pro-russe, ménager ses deux églises orthodoxes, une serbe et une monténégrine.
Difficile, dans ce contexte, de sortir les Européens de l'Ouest de leur pessimisme et de les relever de la fatigue de l'élargissement. D'autant que déjà, ils n'étaient très désireux d'accueillir la dernière vague, avec les adhésions de la Bulgarie, de la Roumanie et de la Croatie.