Les coulisses du prologue de "La Guerre des pauvres" d'Eric Vuillard
Par Yann LagardeLITTÉRATURE | La révolte populaire du XVIe siècle que raconte Eric Vuillard dans son dernier livre ressemble au mouvement des "gilets jaunes". Le Prix Goncourt 2017 explique pourquoi il a choisi de commencer ainsi son dernier livre, "La Guerre des pauvres".
Dans La Guerre des pauvres, Eric Vuillard relate une révolte populaire qui a embrasé l’Allemagne au XVIe siècle. Elle est menée par Thomas Müntzer, un prêtre radical qui appelle le peuple à se révolter contre l’Église et les princes. Le récit débute avec les origines misérables du personnage.
Eric Vuillard : "Les gens sont mécontents de leur sort et surtout ils veulent s’en saisir eux-mêmes."
Histoire de Thomas Müntzer. Son père avait été pendu. Il était tombé dans le vide, comme un sac de grains. On avait dû le porter la nuit sur l’épaule puis il était resté silencieux, la bouche pleine de terre."
Eric Vuillard :"Thomas Müntzer, tout d’abord est d’une famille pauvre, mais il se trouve qu’être orphelin jeune aggrave la situation et la famille va tomber dans l’indigence."
Cette révolte, que les historiens nomment soulèvement de l’homme ordinaire, fait écho à un autre mouvement, celui des "gilets jaunes".
Eric Vuillard : "Des petits artisans, des commerçants, des petits bourgeois, des paysans, un ensemble hétérogène de gens se sont soulevés en 1524 et 1525. Aujourd’hui, on assiste à quelque chose de comparable. On peut écrire l’histoire et même un roman de deux manières. On l’écrit en général comme quelque chose de terminé. Les romanciers connaissent la fin de leur histoire, ils ont déjà écrit le plan. Et puis les historiens travaillent sur une période alors bien sûr, elle s’effrange dans le passé et dans ce qui lui succède, mais au fond ce sont des périodes closes. Le sentiment que j’ai eu au contraire, c’est d’écrire une histoire qui n’est pas terminée. C’est ça qui a déterminé la façon même de l’écrire, le style. En écrivant une histoire qui n’est pas terminée, vous en tant que lecteur et moi en tant que j’écris, on est fatalement embarqué."
Alors tout avait pris feu. Les chênes, les prés, les rivières, le gaillet des talus, la terre pauvre, l’église, tout."
Le livre raconte aussi l’émancipation des peuples grâce à l’invention de l’imprimerie, qui permet d’apporter la contradiction face au dogme de l’Église.
Dès l’âge de 15 ans, il avait fondé une ligue secrète contre l’archevêque de Magdebourg et l’Église de Rome. Il lisait les Épîtres de Clément, le Martyre de Polycarpe, les Fragments de Papias."
Eric Vuillard : "Au fond l’élément important n’est pas tant de quoi il parle que cet élément de culture. Ça signifie au fond que la culture, la lecture, peuvent être émancipatrices. Dans le cadre d’une culture très encadrée qu’est la culture chrétienne du XVIe siècle, d’une culture hégémonique, qui a le monopole du savoir et de la vérité, on peut trouver au fond des ressources en elle et contre elle."