Alors que le président américain Joe Biden est en Europe et que de nouvelles sanctions contre la Russie sont en discussion, les Émirats arabes unis en général et Dubaï en particulier sont devenus le refuge des fortunes russes.
Des yachts, des avions privés, des villas, des voitures de luxe… Au moins une quarantaine d’hommes d’affaires ou d’officiels liés à Vladimir Poutine ont mis ou sont en train de mettre leurs avoirs à l’abri à Dubaï, selon l’ONG Center for Advanced Defense Studies, qui les a recensés.
Parmi eux, plusieurs oligarques déjà visés par des sanctions – un magnat de l’acier, un roi du pétrole, un ancien gouverneur de région élu à la Douma – mais aussi des fortunes qui s’inquiètent de nouvelles sanctions ou de l’effondrement de l’économie russe.
Grande lessiveuse
"Il est tout à fait possible de faire des virements et d’envoyer des capitaux aux Émirats arabes unis sans aucun justificatif, il n’y a aucun contrôle sur l’origine des fonds. Par ailleurs, on a pu assister depuis plusieurs jours à des vols privés, de jets, qui se sont rendus directement de Russie aux Émirats", explique Sébastien Boussois, docteur en Science politique et auteur du livre Les Émirats à la conquête du monde.
En réalité, [les Émirats arabes unis] acceptent tout le monde dès lors qu’il y a beaucoup de capitaux.
"Ils se sont fait une tradition du blanchiment d’argent et du contournement des sanctions internationales", ajoute le chercheur en relations internationales, en énumérant les pays et les dirigeants qui ont bénéficié de "la grande lessiveuse" des Émirats pour masquer corruption ou contournement de sanctions.
Avec des dizaines de zones franches où installer des sociétés, avec des projets immobiliers sans fin où investir discrètement, avec des facilitées de séjour et de résidence offertes aux investisseurs, avec une coopération judiciaire internationale très limitée pour la chasse aux flux illicites, Dubaï – aussi bling-bling qu’opaque – était déjà une destination privilégiée des nouveaux riches russes.
La ville-monde est désormais la "porte de sortie" d’une Russie asphyxiée par des sanctions américaines et européennes, que les Émirats, à cinq heures de vol de Moscou, n’appliquent pas jusqu’à présent. Officiellement, parce qu’elles ne viennent pas de l’ONU, qu’il n’y a donc pas d’obligation, ni de violation du droit international. Officieusement, parce que les Émirats se sont considérablement rapprochés de la Russie ces dernières années, à la faveur du désengagement américain de la région, des critiques occidentales sur la répression des opposants ou la guerre menée au Yémen avec l’Arabie saoudite.
Vases communicants
"L’existence de paradis fiscaux amoindrit l’efficacité des sanctions", rappelle Sara Brimbeuf, responsable du Plaidoyer grande corruption et flux financiers illicites au sein de Transparency International.
Pendant que la France, le Royaume-Uni, les États-Unis, la Commission européenne mettent en place des task-forces pour cibler les avoirs des oligarques russes, et plus généralement les avoirs russes, ces avoirs sont délocalisés vers des paradis fiscaux comme Dubaï.
"Un phénomène de vases communicants" accéléré par la guerre en Ukraine, qui implique de "lutter contre ces paradis fiscaux pour que les sanctions soient efficaces".
Comme un avertissement, début mars, le Groupe d’action financière (Gafi) – le gendarme international anti-blanchiment – a placé les Émirats sur sa liste grise. Mauvaise publicité pour Dubaï ou Abou Dhabi, très sensibles lorsqu'on touche à leur réputation. Mais qui restent néanmoins à l’abri des pressions, selon le chercheur Sébastien Boussois : "Ce sera très difficile tant les occidentaux ont d’intérêts communs avec les Émirats, à commencer par la France, qui a des contrats militaires énormissimes… Aucune des puissances occidentales n’est prête à ce stade à faire pression."